C’est le projet culinaire le plus attendu de ces prochaines années à Lyon. La plus grosse transaction aussi. Deux restaurants, une cave de dégustation et une quinzaine de chambres d’hôte.
L’œil mouillé, Pierre Orsi passe la main sur son fourneau Molteni, la Rolls des pianos. Millésime 1975, celui de l’ouverture du restaurant. Un conservatoire de l’art de vivre à la française, une douce boîte à musique, un brin désuète, où l’on célébrait la grande cuisine bourgeoise. Boiseries, tentures, sols anciens de terre cuite cirée, émanations des châteaux du Bordelais, bronzes, immenses glaces, cristal de Baccarat, argenterie à tous les étages, la maison Orsi était une précieuse bonbonnière au cœur de Lyon, où le boléro des ballerines jouait l’accord parfait avec le ballet des assiettes clochées.

Gastro et bistrot
L’immense bâtisse de 2 000 m2 du chic quartier des Brotteaux a été rachetée par la holding familiale toulousaine Epicure Investissement (déjà positionnée dans la restauration et l’hôtellerie à Bordeaux, Montpellier, Toulouse, Sète ou Dijon). Cette dernière a été mise en relation avec Pierre Orsi par l’intermédiaire de Guillaume Gomez, ancien chef des cuisines de l’Élysée… et président du conseil de surveillance d’Epicure Investissement. La transaction tourne autour des 20 millions d’euros, murs et fonds, travaux compris.
Le groupe s’est associé au chef lyonnais doublement étoilé Christophe Roure (6e arrondissement) qui déménagera place Kléber pour ouvrir deux restaurants, dont il sera actionnaire (il ne sera pas salarié du groupe). Le premier, Le Neuvième Art, conservera son nom et son standing gastronomique et proposera vingt-cinq couverts ; le second typé bistrot/brasserie comptera une soixantaine de couverts, avec une terrasse sur la place pouvant accueillir une centaine de places. En sous-sol, la cave en pierre voûtée, seul reliquat de la maison d’origine de l’architecte Jean-Antoine Morand, l’homme qui a révolutionné les Brotteaux à la fin du XIXe siècle, sera réaménagée pour devenir un lieu de dégustation de (très) grands crus, avec un système de vins au verre accessible à tous. À l’étage, entre dix et quinze chambres d’hôte compléteront la nouvelle offre de “l’immeuble de Pierre Orsi”, nom donné en mémoire du chef resté quarante-huit ans place Kléber.

Gros moyens
“Nous voulons faire de la très haute gastronomie avec Christophe Roure, dont on connaît le potentiel fantastique, explique Julien Bernard, président d’Epicure Investissement. Nous nous donnerons les moyens pour aller jusqu’au bout des talents du chef et pousser encore un peu plus loin.” Avec l’ambition d’entrer dans le sacro-saint club des trois-étoiles français ? “Dire qu’on vise une troisième étoile serait présomptueux, coupe Christophe Roure. L’idée sera de récupérer rapidement les deux étoiles et après… les choses seront permises.”
Les travaux doivent commencer en début d’année 2026 pour une ouverture prévue les premières semaines de 2027.

Le parcours de Christophe Roure
‘ 1987 à 1989 : obtention de trois CAP (cuisine, charcuterie, pâtisserie)
‘ 1990 à 1991 : commis de cuisine à La Poularde (2*, Montrond-les-Bains)
‘ de 1992 à 1996 : chef de partie viande chez Pierre Gagnaire (3*, Saint-Étienne), chef de partie poisson chez Paul Bocuse (3*, Collonges-au-Mont-d’Or) et chef pâtissier chez Régis Marcon (2* à l’époque, Saint-Bonnet-le-Froid)
‘ 2003 : ouverture du Neuvième Art, à Saint-Just-Saint-Rambert (Loire)
‘ 2004 : 1re étoile Michelin
‘ 2007 : Meilleur Ouvrier de France (MOF)
‘ 2008 : 2e étoile Michelin
‘ 2014 : déménagement à Lyon (6e), avec retour des deux étoiles en 2015
‘ 2016 : Grande Table du monde
‘ 2027 : ouverture de deux nouveaux restaurants avec chambres d’hôte
Le “palais” de Morand
La bâtisse a été construite par Jean-Antoine Morand, l’architecte qui a révolutionné les Brotteaux (qui fut guillotiné place des Terreaux pour avoir participé au soulèvement de Lyon).
Le 3 juillet 1765, Michel Deschamps, marchand au faubourg de la Guillotière, vend aux époux Morand, pour le prix de 24 000 livres (autour de 265 000 euros, une somme pour l’époque), un grand pré de 50 bicherées (environ 6 hectares et demi) situé sur la rive gauche, à 500 mètres de la berge du Rhône. C’est à l’angle du Grand-Cours (actuel cours Franklin-Roosevelt) et du Petit-Cours (rue Boileau) que Morand fait construire son “palais”, comme il le surnomme. “Cette maison à la campagne n’a rien de rustique. C’est une grande et solide construction de deux étages de style néoclassique, en pierre de taille (…). À l’est, elle donne sur un vaste jardin à la française décoré de pelouses qu’encadrent des allées rectilignes et des haies bien taillées.”* La famille Morand s’installe le 17 juin 1776 dans La Paisible.
C’est aujourd’hui l’une des plus anciennes demeures du quartier des Brotteaux. Le 10 octobre 1784, la plus grande partie de La Paisible est vendue. Seule est conservée l’aile droite qui sera louée à une communauté protestante venue des Charpennes. L’acheteur est Joseph Balsamo, comte de Cagliostro, qui crée, sous le pseudonyme de Comte Phénix, la loge de la Sagesse Triomphante autour du “rite égyptien”. Il faut être franc-maçon pour y entrer. La loge est luxueuse, le cérémonial pompeux. La maison des Brotteaux disparaîtra dans un incendie en décembre 1793 (ne restera que la cave voûtée et quelques murs). Sur la cave et les fondations d’une des ailes de La Paisible, le négociant Ayné fera bâtir vers 1820 la maison qui borde le côté nord-est de la place Kléber (actuel restaurant). Pendant plus d’un siècle et demi, s’y succéderont un cabaret, des cafés, des habitations et plusieurs restaurants, dont Le Chateaubriand, tenu par Marcel Thibault (1926-1946) et Louis Lambert (1947-1975), avant de devenir le restaurant Pierre Orsi (1975-2023).