Alain Bauer est professeur de criminologie appliquée au Conservatoire national des arts et métiers. Il évoque le rapport “Frères musulmans et islam politique en France”, rendu public par le ministère de l’Intérieur.
Soixante-seize pages qui dressent un état des lieux sur l’historique, l’implantation en France et les méthodes du mouvement, au sujet duquel les chercheurs alertent sur son “emprise sociale ou politique”.
Lyon Capitale : Le sujet n’est pas nouveau. Qu’apporte ce compte rendu commandé par le gouvernement sur l’islamisme politique et la mouvance des Frères musulmans ?
Alain Bauer : Comme souvent en France, le processus d’acceptation d’un phénomène passe par plusieurs phases. La négation : ce n’est pas vrai, c’est inventé, c’est politisé ; la minoration : c’est vrai, mais beaucoup moins grave, c’est exagéré ; et l’éjection : c’est vrai, c’est grave et on n’y peut rien, ou ce n’est pas de ma faute. Le temps perdu dans la détection puis la reconnaissance des faits étant ensuite “annulé” par la production d’un rapport, les “négationnistes du réel” feignant alors de découvrir la réalité et basculant dans un mode de tragi-panique, utilisant le triptyque imprécations/incantations/lamentations pour masquer leur désarroi. L’intérêt du rapport, même s’il reste très rétrospectif et sous-estime la relative perte d’influence du mouvement concurrencé et dépassé depuis les années 90 par des groupes plus “radicaux”, est indiscutable. Il aura fallu près de cent ans à l’État central pour, enfin, découvrir la portée des déclarations publiques des frères : “Allah est notre objectif, le Prophète notre chef, le Coran notre Loi, le Djihad notre voie, la mort sur la voie d’Allah notre plus cher espoir.” Mieux vaut tard que jamais.
“La France a beaucoup sous-traité les imams essentiellement aux Turcs ou aux Algériens”
Le sujet est particulièrement complexe à documenter. En quoi est-il intéressant que l’État publie un tel rapport ?
C’est en même temps une reconnaissance, un aveu et un rappel. Une reconnaissance pour le travail de terrain mené depuis des dizaines d’années, parfois par les académiques et chercheurs. Et aussi par celles et ceux qui, sur le terrain, signalent ou alertent sur l’emprise sociale ou politique d’un mouvement protéiforme qui a structuré une partie de la communauté musulmane autour du concept défendu par son fondateur Hassan el-Banna : “Une organisation complète qui englobe tous les aspects de la vie. C’est à la fois un État et une nation ou encore un gouvernement et une communauté. C’est également une morale et une force ou encore le pardon et la justice. C’est également une culture et une juridiction ou encore une science et une magistrature. C’est également une matière et une ressource ou encore un gain et une richesse. C’est également une lutte dans la voie d’Allah et un appel, ou encore une armée et une pensée. C’est enfin une croyance sincère et une saine adoration. L’islam, c’est tout cela de la même façon.”
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