La théorie du complot explique-t-elle la défaite de Fenech ?

De peur de passer pour un mauvais perdant, Georges Fenech n’a pas justifié sa défaite par une ingérence socialiste commanditée depuis l’hôtel de ville. La théorie du complot tente pourtant des élus, à droite comme à gauche. Pour eux, elle s’étend à d’autres partis et à une montée de stress des réseaux économiques liés à Gérard Collomb que le candidat Fenech avait promis de faire “exploser”.

Lundi matin, les politiques lyonnais se sont réveillés avec une question : comment Michel Havard a-t-il pu contrecarrer la dynamique de Georges Fenech créée au gré des alliances ? Même pour certains membres de l’entourage du vainqueur de la primaire, la victoire est qualifiée d’“inespérée”. Il y a bien sûr les explications politiques. La première d’entre elles tend à rappeler qu’en jouant Lyon contre Paris Michel Havard a endossé le costume du gentil trahi, et qu’auprès de l’électeur cette dose de pathos a été payante. Il convient aussi de souligner que, durant l’entre-deux tours, le vainqueur de la primaire a opéré un énorme travail de phoning auprès des électeurs de son ancienne circonscription (5e, 2e, 7e, 8e et 9e arrondissements). Derrière la noblesse politique de ces arguments, d’autres adhèrent à la théorie du complot. Elle prend les allures d’une conjuration d’alliés tout aussi différents que motivés. Des intérêts aussi particuliers que collectifs auraient formé un front “tout sauf Fenech”.

“Merci, Collomb !”

Les premiers cités sont bien évidemment les socialistes de Gérard Collomb. Georges Fenech pointait le danger avant même le second tour : “Les socialistes auraient fait un choix : voter Michel Havard”, dénonçait-il lors du débat d’entre-deux tours organisé par Lyon Capitale. Dès le dimanche après-midi, l’entourage du député de Givors signalait avoir repéré des intrus de gauche dans leur scrutin. Le soir même, la netteté du succès de Michel Havard – plus de 400 votes d’avance – les empêchera de brandir cet argument pour contester sa défaite. Le candidat malheureux aurait automatiquement été taxé de mauvais perdant. Quelques militants entonnèrent pourtant, après l’arrivée de Michel Havard à la fédération UMP du Rhône, des “Merci, Collomb !” Dès lundi, les deux camps confiaient avoir vu des socialistes dans les bureaux de vote : qui rapporte avoir aperçu l’épouse de Richard Brumm – ce qui, vu le pedigree de droite de son adjoint de mari, n’a dans le fond rien de choquant –, qui pense avoir reconnu des employés de mairie d’arrondissement le couteau sous la gorge.

Une alliance hétéroclite, du FN aux patrons

“Nous avons été voter pour Michel Havard, mais nous ne sommes pas assez nombreux pour avoir pu fabriquer un écart de 400 voix”, réplique un cadre fédéral du PS. “La théorie de centaines de votants socialistes me paraît incohérente. Un mec qui passe cent coups de fil à des petits soldats qui vont immédiatement voter sans réfléchir, ça n’existe pas”, réfute un socialiste pourtant habitué des petites combines politiques. “D’autres gens d’autres horizons ont été voter Havard. Il y a les millonistes de Broliquier, le FN qui ne voulait pas d’un Fenech qui les aurait privés d’espace d’expression durant la campagne. L’UDI aussi a fait le travail pour Michel Havard, un candidat qui leur convient mieux que Georges Fenech. Et puis je pense qu’il a fait une grosse erreur en déclarant lors du débat de Lyon Capitale qu’il allait faire exploser le système entre les chefs d’entreprise et Collomb. Georges Fenech est allé trop loin, il n’aurait pas dû s’en prendre aux chefs d’entreprise lyonnais et aux réseaux d’affaires. Tous ceux qui vivent grâce à Collomb ont eu un instinct de survie. Tous ces intérêts convergents ont pu réunir assez de voix pour faire battre Georges Fenech”, note une socialiste.

Chez le militant PS, la question de l’identité du candidat à battre différait aussi. Pour les uns, Georges Fenech aurait été une cible très facile puisque trop à droite. D’autres pointent le manque de charisme de Michel Havard et donc l’assurance d’une campagne à l’abri des coups. “Il est plus à droite et peut-être trop à droite, mais il va cogner beaucoup plus fort que Michel Havard sur Gérard Collomb. Il ne va pas lâcher le maire de Lyon sur les conflits d’intérêts, et c’est un sujet qui peut se retourner contre nous”, confiait à quelques jours du second tour un socialiste. “Havard n’est pas dangereux. C’est un gentil garçon. Avec lui, la campagne sera plus propre qu’avec Georges Fenech. On s’ennuiera plus aussi, mais je préfère ça”, rigole une élue PS.

Havard gagne là où l’UMP est faible

Pour donner du corps à cette théorie des intérêts convergents, les tenants de cette thèse pointent la géographie électorale du second tour de la primaire. La participation a progressé en moyenne de 25 % sur la ville. Trois arrondissements ont particulièrement voté : le 5e (+ 42 %) de Michel Havard et les 7e (+ 39,3 %) et 8e (+ 31,6 %). Paradoxalement, ce sont aussi les territoires où l’UMP compte le moins de militants en proportion du nombre de votants. Un constat qui entretient les fantasmes.

Dimanche soir, les équipes de Michel Havard expliquaient la victoire de leur champion par l’afflux massif de nouveaux électeurs. L’entourage du vainqueur souligne que ces arrondissements sont ceux de l’ancienne circonscription de Michel Havard. “J’ai vu des gens de l’UDI faire campagne dans le 7e et le 3e pour Havard, mais de façon discrète. Dans le 2e, Broliquier savait que Fenech avait donné l’arrondissement à Hamelin, donc il a tout fait pour qu’il soit battu. Dans le 6e, les cadres du FN qui avaient fait voter contre Perben aux cantonales ont remis ça. Dans le 8e, les socialistes maîtrisent bien les coups de billard à six bandes, ils sont habitués. Pareil dans le 7e et le 9e”, décrypte un socialiste qui croit volontiers au concours de circonstances et d’alliances pour monter un front anti-Fenech. D’autres assurent que le député de Givors l’a monté lui-même par ses propos et son positionnement durant la campagne. Cette explication a, au moins, le mérite d’enterrer pour de bon la théorie du complot.

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