Dominique Hervieu, directrice de la Maison de la Danse © Blandine Soulage

Entretien avec Dominique Hervieu, directrice de la Maison de la danse de Lyon

Bousculée par de terribles contraintes budgétaires et la situation parfois très éprouvante des artistes, Dominique Hervieu a conçu une programmation qui donne à cette nouvelle saison une formidable cohérence artistique.

Malgré les difficultés liées à la crise sanitaire, Dominique Hervieu a créé une saison enthousiasmante articulée autour de trois temps qui témoignent d’une réflexion artistique profonde sur le sens de son projet chorégraphique pour Lyon. Septembre et octobre seront marqués par de nombreuses rencontres gratuites avec les danseurs et les chorégraphes qui permettront au public d’assister aux répétitions dans la grande salle, d’échanger sur les créations en cours et l’écriture de la danse. Suivra en novembre une programmation qui ressemble à une respiration libératrice avec toujours le festival Sens Dessus Dessous, transformé cette année en une pépite avec – et c’est inédit – 100 % de nouveautés. En mai 2021, la Biennale de la danse sera comme une sorte d’apothéose avec ses prises de risque artistiques salvatrices. Conçue comme un cycle de vie qui doit sans cesse se régénérer, l’ossature de cette saison est dotée d’une belle cohérence avec une offre complète que la Maison devrait normalement porter tous les ans avec des espaces et des moyens financiers en plus. Elle préfigure – espérons-le – ce que sera la Maison de la danse avec l’ouverture en 2023 des Ateliers de la danse (ancien musée Guimet).

Lyon Capitale : Qu’est-ce qui a été compliqué dans la mise en place de cette saison ?

Dominique Hervieu : Les artistes invités durant tout l’automne venaient du Brésil, de Corée, des États-Unis, certains faisant partie de la Biennale que l’on a déplacée en mai 2021. Il a fallu beaucoup jongler, j’ai pu reporter des spectacles à la saison prochaine mais je n’ai pas pu tous les sauver. Ce sont les incertitudes budgétaires qui sont très pesantes et les pertes sur 2020 seront de plusieurs centaines de milliers d’euros avec des conséquences sur 2021. La Maison de la danse est en autofinancement à 60 %, elle a un public fidèle et important depuis ses débuts, une renommée internationale, elle développe des missions de service public, elle est dans un modèle vertueux mais contraignant d’un point de vue économique. Si on ferme les portes, cela a un impact direct sur son fonctionnement contrairement à d’autres théâtres. La crise a révélé que ce modèle est trop fragile et qu’il ne résistera pas à d’autres crises quelles qu’elles soient. Une fois le déficit 2020 évalué, il faudra non seulement traiter les conséquences de cette crise mais relancer aussi une réflexion de fond avec nos partenaires sur ce modèle, d’autant que nous sommes le seul théâtre en France entièrement dédié à la danse.

Est-ce qu’il y a un avant et un après dans votre approche de la programmation ?

Il y a d’abord cette contrainte financière puisqu’une programmation se fait à partir d’un budget artistique et à cette heure je n’en ai pas. J’ai réfléchi en me disant que la Maison de la danse avait d’autres ressources liées au spectacle et que c’était le moment de mieux révéler au public ses missions. Puis personnellement, en tant que danseuse, cela m’a replongée dans l’essentiel, ce désir, cette nécessité de créer quand on est artiste et comment cela constitue notre identité en profondeur. J’ai eu beaucoup d’artistes au téléphone et je me suis rendu compte que la profession était à genoux, des artistes pleuraient, ils étaient perdus et je ne m’y attendais pas. Cet arrêt brutal imposé a entraîné une forme de violence inattendue. Ils se posaient les questions de fond par rapport à leur pratique. Les jeunes danseurs en formation ne pouvaient, quant à eux, ni passer leurs examens ni faire de stage dans des compagnies. Un danseur danse comme il respire, c’est son rapport au monde de façon viscérale. Faire une barre ou des étirements dans sa chambre ne sert plus à rien quand il manque cette dimension créative, réflexive, d’espace, de mise en jeu. Cela renvoie à notre utilité en tant que structure auprès des danseurs et j’ai décidé de leur donner le plateau pour qu’ils puissent rattraper le temps perdu, reprendre leur travail, finaliser leur création avec une équipe technique à leur disposition. Ce sont des sorties de résidence, ce n’est pas très original, mais c’est la première fois qu’on l’assume à ce point-là.

Votre saison commence avec un temps comprenant trois thèmes : la Maison des artistes, la Maison des savoirs et la Maison solidaire autour de nombreux événements.

C’est un temps où l’on est avec les artistes avant les spectacles et la Biennale. Avec la Maison des artistes, les compagnies en résidence répéteront devant le public et discuteront avec lui. Parmi elles, il y a Amala Dianor avec un superbe trio hip-hop et le Galactik ensemble qui fait partie de la jeune mouvance circassienne. La Maison des savoirs sera créée avec Numeridanse et les autres structures qui font la danse à Lyon auxquelles j’ai demandé de transmettre au public un savoir de leur institution. Le Ballet de l’Opéra de Lyon montrera comment on reprend une pièce, en l’occurrence de Jirí Kylián, et Rachid Ouramdane répétera un solo avec un danseur du Ballet. Yuval Pick, chorégraphe et directeur du Centre chorégraphique national de Rillieux-la-Pape, présentera un travail sur le corps imaginaire, sur ce qu’est cette matière sensible pour le danseur, et avec le Centre national de la danse de Lyon, on explorera la danse thérapie, la danse qui fait du bien. Je suis heureuse car c’est la première fois que ces trois structures viennent sur notre plateau. Mourad Merzouki exposera, sur scène et avec des films, son musée imaginaire retraçant les influences de son univers. La Maison solidaire, pour sa part, s’inscrit dans notre travail éducatif et social en direction des personnes fragilisées avec par exemple l’hôpital du Vinatier ou des écoles. Je profite du plateau vide pour montrer ce que l’on fait en dehors des spectacles, ces projets seront développés aux Ateliers de la danse dont ce sera la fonction car je n’ai ni la place ni le financement pour les mener à la Maison de la danse tout au long de l’année. Avec ces trois Maisons, j’ai tenté d’inventer des choses malgré tout dans un esprit de solidarité avec nos valeurs fondées sur le soutien aux artistes.

A Passage to Bollywood du Navdhara India Dance Theatre.

Maison de la Danse : notre sélection  

Mourad Merzouki et Kader Attou, nos stars lyonnaises du hip-hop, chorégraphient ensemble Danser Casa pour de jeunes marocains virtuoses et pleins d’énergie. Inédit à la Maison de la danse, une comédie musicale indienne et délicieusement kitsch avec A Passage to Bollywood du Navdhara India Dance Theatre. Immanquable, la compagnie belge Peeping Tom qui, dans un univers surréaliste, clôt sa trilogie familiale avec Kind autour de la quête d’identité de l’enfant. Le Ballet du Capitole qui rend un hommage au génie de Rudolf Noureev et David Coria, figure montante du flamenco avec !Fandango!. Côté festival Sens Dessus Dessous, tout est à découvrir ! On citera cependant Muyte Maker de Flora Détraz, une pièce décapante qui mêle danse, théâtre et voix. À ne pas rater pour le jeune public mais aussi pour les adultes, Chotto Xenos d’Akram Khan, un chef-d’œuvre sur l’absurdité des guerres et les combattants indiens envoyés par les colons britanniques dans l’enfer des tranchées de la Première Guerre mondiale. Fouad Boussouf, jeune chorégraphe marocain, est programmé à Lyon pour la première fois avec Näss (les gens) dont le langage mêle gestuelle traditionnelle et hip-hop à partir d’un travail collectif menant la danse vers la transe. On aime également l’engagement politique de l’artiste burkinabé Serge Aimé Coulibaly qui aborde la manipulation avec Wakatt, sans oublier la folie et la joie de Qudus Onikeku, artiste nigérian qui revisite avec re:incarnation la culture et l’afrobeat des années soixante-dix.

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