Culture : notre sélection littéraire…

… avec deux auteurs Lyonnais !

Stéphane Lanos © DR

Un cauchemar haletant

Les Sous-Traitants, le deuxième roman de Stéphane Lanos, auteur lyonnais édité par une maison d’édition lyonnaise, La Lanterne, nous propulse dans un futur pas si lointain : il débute en 2037. Notre monde ressemble à un cauchemar. Il y fait une chaleur de forge la plus grande partie de l’année ; sinon ce sont des orages antédiluviens qui se déchaînent. Côté politique, ce n’est guère mieux, la France n’est plus gouvernée par une présidente d’extrême droite mais par un consortium de grandes entreprises qui ont supprimé à peu près tous les services publics à part la police et l’armée. Et pour couronner ce tableau apocalyptique, une catastrophe nucléaire a ravagé le pays. Et nous sommes – vraiment ! – en guerre, avec la Turquie. Les plus riches vivent dans des résidences ultra sécurisées et les plus pauvres s’entassent dans des banlieues livrées à la violence et au trafic. La majeure partie des habitants sont défoncés du matin au soir grâce à des pilules, aux effets secondaires redoutables, qui les stimulent ou les calment. Dans ce monde ultra-connecté devenu fou, Stéphane Lanos nous colle aux basques d’un séduisant journaliste de DNews (toute ressemblance avec CNews n’est pas fortuite). Avec sa caméraman, aussi charmante que débrouillarde, ils enquêtent sur le meurtre d’un jeune homme responsable d’une tuerie de masse. Leurs investigations vont les mener au cœur des arcanes les plus louches du pouvoir. Là où grenouillent des milices douteuses, des mercenaires sans foi ni loi – autre que celle du plus offrant. Tout l’art de l’auteur est de nous tenir en haleine dans cet univers terrorisant. Il y parvient à merveille, grâce à des personnages crédibles et attachants. Ainsi qu’un récit rythmé, un suspense qui ne faiblit jamais, de la première à la dernière page.

C. M.

Les Sous-Traitants– Stéphane Lanos, éditions La Lanterne, 480 p., 22 €.


Élise Costa © Chloé Vollmer-Lo / Éditions Marchialy

Mazan, l’exceptionnalité du mal

On aurait pu craindre d’un livre sur les viols commis ou provoqués par Dominique Pelicot, dont fut victime sa femme, Gisèle, et du retentissant procès qui s’ensuivit, un caractère racoleur, surfant sur l’actualité “brûlante”. Ce n’est pas le cas du livre d’Élise Costa, Écrire Mazan. C’est même tout le contraire. Dans son précédent livre, Les Nuits que l’on choisit, la chroniqueuse judiciaire (sur Slate.fr) décrivait une demi-douzaine de procès, d’enquêtes mais aussi ses rencontres avec les protagonistes des différentes affaires criminelles et avec le milieu judiciaire. Dans ce nouvel opus, qui compte 273 pages, elle se concentre sur une seule, l’affaire Pelicot. Il faut bien ça pour décortiquer comme elle le fait, non seulement le procès mais aussi la longue enquête qui le précéda, plus de deux ans durant. Surtout qu’elle nous explique aussi comment elle écrit (d’où son titre, Écrire Mazan), pourquoi, dans ses articles, elle choisit de mettre en avant tel ou tel épisode, tel ou tel personnage (d’ailleurs elle se penche sur cette notion de personnage). Il y a même des schémas, des croquis (elle a, c’est indéniable, un bon coup de crayon) et la reproduction de quelques-unes de ses notes manuscrites. Ce double mouvement, cette dialectique, ces allers-retours entre ce dont elle est témoin, dans l’enceinte du palais de justice mais pas que, et ce qu’elle ressent, les réflexions qui la traversent ou la hantent rendent son livre passionnant. Elle nous invite à assister au procès mais aussi à ce qu’il se passe dans sa cuisine, dans son laboratoire. Mais c’est évidemment le récit, circonstancié, détaillé, exceptionnel, du calvaire de Gisèle Pelicot qui nous touche le plus.

C. M.

Écrire Mazan – Élise Costa, éditions Marchialy, 288 p., 22 €.


Lilian Auzas

Nordick, entre cul et culture

Dans son dernier roman, Nordick, Lilian Auzas mélange habilement sexe et culture, romantisme et porno trash. Il nous emmène au cœur de la Norvège. Nonobstant, ce n’est pas le froid et les paysages enneigés qu’il y rencontre mais une chaleur torride : nous sommes au début de l’été 1976, une vague de chaleur s’est abattue sur l’Europe. Richard, jeune Français, étudiant en histoire de l’art, débarque chez Bjørn, séduisant professeur de français, marié et père de deux enfants. Il est sur la trace d’un célèbre peintre nordique, Ravn Nygard, qu’il admire. Il a été contacté pour authentifier un de ses tableaux, miraculeusement sorti d’un chantier de rénovation. Entre étude picturale approfondie, coup de foudre pour son hôte, copulations effrénées et recherche sur une obscure légende scandinave, tout se mélange… Le séjour s’avère palpitant autant que sexuellement mouvementé. À l’image des péripéties traversées, l’écriture de Lilian Auzas alterne entre un registre littéraire parfaitement maîtrisé et un registre plus trash, débridé. Une réussite.

C. M.

Nordick – Lilian Auzas, éditions La Musardine, 205 p., 19 €.


Adrien Bosc © Patrice Normand

Tristan réinventé

On n’est bien sûr pas obligé de connaître Tristan Egolf. Mais si on aime vraiment la littérature, plus grande que la vie, plus grande que les mots eux-mêmes, on passe à côté d’un sacré truc. C’est même presque une faute. Et d’autant plus dommage qu’Egolf n’a publié que trois romans et que le premier, Le Seigneur des porcheries, a suffi à bâtir (et quasiment achever) sa légende : celle de l’écrivain maudit dont personne ne veut, qui a de l’or dans les mots mais les pieds dans la fange. Il est d’autant plus temps de rattraper ce manque qu’Adrien Bosc, alchimiste des récits de vie changés en romans, se colle au sujet de cet écrivain fascinant. Résumons-la donc, cette légende, puisque c’est elle qui s’imprime le mieux et qu’elle recouvre ici la plus parfaite réalité. La légende telle qu’elle nous fut contée à la parution du Seigneur des porcheries en 1998 : une jeune Parisienne, Marie, se promène sur le pont des Arts et s’arrête auprès d’un jeune Américain venu faire l’artiste en France et aussi un peu le clochard. Il lui raconte son histoire, lui montre un manuscrit qu’il désespère de faire éditer. Elle le lui prend, le lit et l’aime tant qu’elle le fait lire à son père, d’autant plus amateur de littérature qu’il s’appelle Patrick Modiano. La chose passe entre les mains de Gallimard qui le traduit et l’édite. D’où succès et édition aux États-Unis, retour du fils prodigue. Le Seigneur des porcheries est un miracle. En termes de littérature autant que de destinée. On compare Egolf à Steinbeck, John Kennedy Toole et même Faulkner et c’est mérité. Deux autres romans paraîtront dont l’un posthume. Car en 2005, Egolf, que le succès n’a pas soigné de ses noirceurs, se fait sauter le caisson d’un coup de fusil, histoire de boucler la boucle de la légende. Adrien Bosc lui consacre un de ces romans dont il a le secret : un roman qui colle à la vérité et en quelque sorte la libère, collant aux basques d’Egolf un jeune journaliste (narrateur fictif) Zachary Crane qui en retrace le parcours à travers une enquête (bien réelle, elle). Derrière le jeu de passe-passe, c’est une histoire de vie et aussi une histoire d’édition, qui raconte avec passion comment Le Seigneur des porcheries est arrivé dans les librairies par la bonne volonté d’une poignée de croyants. Il est fascinant de voir s’assembler un puzzle dont on n’avait que quelques pièces, sans d’ailleurs trop y croire tant l’histoire était folle. Fascinant aussi la manière dont Bosc ausculte le génie d’Egolf et la façon dont il s’est peu à peu évaporé avant son coup d’éclat fatal. “Il vaut mieux brûler franchement que s’éteindre à petit feu.” Cette phrase, citant My My Hey Hey de Neil Young, Kurt Cobain l’avait laissée en épitaphe. Elle va tout aussi bien à Egolf.

C. M.

L’Invention de Tristan – Adrien Bosc, Stock, 256 pages, 20,50 €.

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