Prisons : témoignages derrière les murs

Labellisée l'an dernier par l'Europe pour son quartier "arrivants", l'établissement a néanmoins fait l'objet d'un rapport assassin publié par le contrôleur général des lieux de privation de liberté. Décryptage d'un paradoxe et rencontre avec les acteurs de la détention, l'infirmière, l'enseignante, le surveillant. Jusqu'au détenu. (Article paru dans l'édition de mai de Lyon Capitale)

Bonjour, vous êtes en prison
C'est une zone de cellules à l'écart, aménagée dans ce qui était autrefois le quartier des mineurs (fermé à la suite de l'ouverture de l'EPM de Meyzieu). L'administration y reçoit chaque détenu, sans exception, dans des conditions dites "plus dignes". Pour comprendre l'intérêt d'un tel dispositif, sorte de sas d'entrée, il faut savoir que, "lorsqu'on arrive en prison, les gens n'imaginent pas le bruit qui y règne, la terreur que l'on peut ressentir, raconte Jean-Pierre Bailly, directeur du SPIP (service pénitentiaire d'insertion et de probation) du Rhône.

On est placé dans une cellule, sans rien, souvent après plusieurs heures de garde à vue. Alors que dans un quartier "arrivants", le détenu reçoit un kit avec des affaires de toilette. On lui sert un repas chaud. Il doit rencontrer dans les premiers jours de son arrivée le service médical, un travailleur social, les responsables du travail et de la formation, les surveillants. Tout le monde." A l'issue de ces entrevues, l'administration pénitentiaire met en œuvre pour chaque détenu "un parcours individualisé", avec des orientations en formation scolaire, dans les ateliers de travail, selon les places disponibles.

Pour le contrôleur général des prisons, cette initiative "paraît à première vue positive". Mais son fonctionnement constituerait en fait un outil discriminatoire. "On opère un tri parmi les condamnés, en proposant une évolution à certains d'entre eux et en laissant les autres sans espoir d'amélioration de leur sort", décrit-il. Autre son de cloche du côté d'Arnaud Moumaneix, directeur de la prison de Villefranche, qui estime que ces parcours "permettent à la personne d'être acteur de sa détention", assurant qu' "il ne s'agit pas du système du bâton et de la carotte". Pourtant, le contrôleur insiste dans son rapport : "l'illusion" du parcours peut se traduire "par une pure et simple ségrégation entre les différents bâtiments ou étages de l'établissement". Ce qui, matériellement, existe à Villefranche, avec notamment un bâtiment J, une zone dédiée aux détenus en fin de peine.

"C'est du suicide de ne rien faire en prison"
Baptiste (prénom d'emprunt) a été transféré de la prison Bonneville vers Villefranche, et il est incarcéré pour un an. "Mes journées ici ? C'est très ennuyeux. Il ne se passe rien. Je suis diabétique alors je vais à l'infirmerie trois fois par jour. Je n'ai pas encore eu accès à la bibliothèque, j'attends.

On a 56 chaînes de télé, elle est allumée en permanence. J'espère qu'on va m'autoriser à travailler, à mon avis, c'est du suicide de ne rien faire en prison. Vous ne savez pas à quel point ce rendez-vous avec vous était important : c'est enfin quelque chose qui se passe dans la journée.

Par rapport à Bonneville, ici, ça n'a rien à voir, c'est mieux. Sauf la nourriture, il faut qu'ils arrangent ça. Mais sinon il y a des toilettes et une douche, fermés au regard de l'autre. Je peux vous dire que ça change tout, à Bonneville, on faisait devant tout le monde. Je voudrais juste que le reste du séjour se passe de la même façon qu'ici. Je compte les jours."

"Heureusement que je ne suis pas un violeur"
L'administration pénitentiaire autorise les interviews de personnes sous écrou, à la condition que le journaliste ne révèle ni l'identité du détenu, ni la raison pour laquelle il a été incarcéré. Toutefois, dès le début de notre rencontre, Marsouin de son surnom, un détenu d'une quarantaine d'années, tient à préciser : "J'ai pris trois mois et là, je n'en ai plus que pour dix jours. Rien de très grave, des soucis d'alcool...

Mais heureusement que je ne suis pas un violeur. D'enfants, encore pire. Parce que ça, je peux vous dire que c'est vraiment mal vu, en prison." Le bonhomme, petit et sec, affiche avec un sourire édenté et des tatouages au bras. "Après le quartier arrivants, on va me mettre dans l'un des trois bâtiments : je sais qu'il y en a un pour les très durs, un deuxième pour les moins durs, et un troisième plus calme.

J'espère qu'on va me mettre là. Histoire que je finisse tranquille." La lumière au bout du tunnel commence à poindre. "Vous savez où est la gare SNCF à Villefranche ? C'est loin de la prison ? Je vous demande parce que quand je vais sortir, je ne sais même pas dans quelle direction je vais devoir aller."

La prison sous anxiolytiques
"En ce moment, il y a 650 détenus à Villefranche, et on livre chaque jour dans les cellules 420 plaquettes de médicaments, des anxiolytiques pour la plupart, des antidépresseurs, mais aussi des antibiotiques classiques. Et 50 enveloppes de subutex, à part.

Pour la méthadone et ce genre de substituts, il faut venir les prendre à l'infirmerie, pour éviter au maximum les trafics." Depuis cinq ans qu'elle travaille dans le milieu carcéral, Muriel Gaillard, infirmière somatique, a constaté une recrudescence des addictions à l'alcool, "le délit routier étant de plus en plus puni par la prison ferme".

La parole "libre"
Brigitte Fabregat, responsable d'enseignement, est contrainte de "travailler en terme de priorités". "Parce qu'on ne peut malheureusement pas accueillir tout le monde, il y a en moyenne cinq demandes de formation pour une seule place. L'une de nos premières missions, c'est la détection de l'illettrisme.

On ne peut pas laisser sur le carreau un jeune de 18 ans qui ne sait pas lire. Je n'ai jamais eu aucun incident en cours. Ici, la parole est très libre. Certains, pour venir, mettent de l'after-shave, sans doute aussi parce qu'il y a des femmes enseignantes, et surtout parce qu'ils retrouvent une certaine dignité à devoir ainsi se déplacer pour une activité. On produit un journal, diffusé en interne en prison. Il a un certain succès."

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