Antoine Coutrot, Chargé de recherche CNRS au Laboratoire d'informatique en image et systèmes d'information (CNRS / INSA Lyon / Université Claude Bernard lyon 1)
Antoine Coutrot, Chargé de recherche CNRS au Laboratoire d’informatique en image et systèmes d’information (CNRS / INSA Lyon / Université Claude Bernard lyon 1)

"Le jeu vidéo peut devenir un outil de repérage de la maladie d'Alzheimer" assure Antoine Coutrot

Antoine Coutrot, chercheur au Laboratoire d’informatique en images et systèmes d’information, médaille de bronze du CNRS 2025, est l'invité de 6 minutes chrono/ Lyon Capitale.

Et si un jeu vidéo pouvait contribuer au diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer ? C’est le pari d’Antoine Coutrot, chercheur CNRS, liant intelligence artificielle, neurosciences comportementales et sciences cognitives. Depuis 2018, il travaille sur le projet Sea Hero Quest, un jeu mobile où le joueur pilote un bateau dans des labyrinthes aquatiques.

L’objectif scientifique : recueillir, à grande échelle, des données sur la navigation spatiale, une fonction cognitive altérée dès les premiers stades de la maladie. Grâce à plus de quatre millions de joueurs, le projet a permis de constituer une base normative inédite croisant trajectoires de navigation et profils démographiques. Désormais, Antoine Coutrot collabore avec des médecins pour transformer ces données en un outil d’aide au dépistage capable d’identifier des troubles cognitifs pour ensuite orienter si besoin les patients vers des spécialistes.

"Actuellement, explique Antoine Coutrot, pour être diagnostiqué Alzheimer, le parcours est complexe : il faut un rendez-vous dans un CHU, voir des gériatres, des neurologues, passer des tests neuropsychologiques, des imageries cérébrales, parfois une ponction lombaire. Résultat : sur le million de personnes touchées en France, seules la moitié sont diagnostiquées. Le jeu vidéo peut devenir un outil de repérage accessible en dehors des grands centres hospitaliers : chez les médecins généralistes, en EHPAD, etc."

Une base de données massives

Avec plus de quatre millions de joueurs, le jeu vidéo Sea Hero Quest, créé pour la recherche sur Alzheimer, permet d'avoir une base de données massive, avec des milliers voire des millions de profils variés.

"On sait depuis plusieurs années maintenant que la navigation spatiale, où la perte de la navigation spatiale, est un des marqueurs les plus précoces de cette maladie. La maladie d’Alzheimer est généralement associée à la perte de mémoire, aux troubles du comportement, etc. Mais en réalité, quelques années, voire même une ou deux décennies avant l’apparition de ces symptômes bien connus, on peut déjà commencer à mesurer une altération de cette fonction cognitive qu’est la navigation spatiale."

Et d'ajouter : "l’objectif n’est pas de poser un diagnostic définitif, mais de trier les personnes selon leur niveau de risque, et d’orienter celles qui sont le plus à risque vers le parcours diagnostic classique. Cela permettrait aussi de désengorger les services spécialisés."

Lire aussi : Sept scientifiques lyonnais médaillés par le Centre national de la recherche scientifique


La retranscription intégrale de l'entretien avec Antoine Coutrot

Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouveau rendez-vous de 6 minutes chrono. Nous accueillons aujourd’hui Antoine Coutrot. Antoine Coutreau, vous êtes chargé de recherche CNRS au Laboratoire d’informatique en images et synthèse d’informations de Lyon (LIRIS). Cette année, il y a eu sept lauréats lyonnais distingués par le CNRS pour l’excellence de leurs travaux de recherche. Vous êtes l’un d’eux, vous avez reçu la médaille de bronze, qui récompense un travail prometteur. Vous menez des études sur la navigation spatiale comme marqueur du déclin cognitif, notamment à travers le jeu vidéo. Rappelez-nous ce parcours sur la navigation spatiale comme marqueur du déclin cognitif.

Oui, en particulier comme marqueur de la maladie d’Alzheimer. On sait depuis plusieurs années maintenant que la navigation spatiale, ou la perte de la navigation spatiale, est un des marqueurs les plus précoces de cette maladie. La maladie d’Alzheimer est généralement associée à la perte de mémoire, aux troubles du comportement, etc. Mais en réalité, quelques années, voire même une ou deux décennies avant l’apparition de ces symptômes bien connus, on peut déjà commencer à mesurer une altération de cette fonction cognitive qu’est la navigation spatiale.

Concrètement, c’est intéressant parce que je ne le savais pas : dix à quinze ans avant que la maladie se déclenche, ça peut se traduire comment ?

Concrètement, ce sont les structures du cerveau impliquées dans la navigation spatiale, comme l’hippocampe par exemple, qui sont attaquées par cette maladie.

Donc on n’arrive plus à se repérer, on a des pertes d’orientation ?

C’est cela. Sur un trajet qui auparavant ne posait aucun souci, on commence à se perdre. Cela n’était pas le cas auparavant. Mais il est important de préciser que ce n’est pas parce qu’on a un mauvais sens de l’orientation que l’on est malade.

Oui, on ne va pas affoler tout le monde. Moi, je me perds tout le temps et je ne suis pas malade.

Il existe de nombreuses raisons non pathologiques qui expliquent pourquoi certaines personnes ont un mauvais sens de l’orientation. Ce qui est révélateur, c’est plutôt le changement dans le temps.

Et la médecine peut intervenir à partir de ce moment-là. Vous, scientifiques, vous étudiez notamment le jeu vidéo. En quoi le jeu vidéo peut-il contribuer au diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer ?

Le grand défi de l’utilisation du sens de l’orientation dans le diagnostic de cette maladie, c’est qu’il existe de fortes différences interindividuelles qui n’ont rien à voir avec la maladie. Elles sont liées à l’âge, à la culture, à nos habitudes de déplacement, etc. Pour que le médecin puisse poser un diagnostic ou du moins disposer d’une aide au diagnostic, il faut pouvoir comparer le comportement spatial de son patient à celui d’un groupe témoin, composé de personnes en bonne santé et similaires sur le plan démographique. Cela permet d’isoler la composante pathologique. Pour cela, il nous faut une base de données massive, avec des milliers voire des millions de profils variés, et c’est…

Et c’est le jeu vidéo Sea Hero Quest, qui a été créé pour la recherche sur Alzheimer, et sur lequel vous êtes très nombreux dans le monde à travailler. Vous, vous travaillez à Lyon dans votre laboratoire. En quoi ce jeu permet-il de diagnostiquer la maladie ?

Il permet surtout de mieux répartir le dépistage sur le territoire. L’objectif est de rendre possible le repérage des malades. Pas aujourd’hui, car la recherche est encore en cours, mais dans les années à venir, c’est l’ambition. Actuellement, pour être diagnostiqué Alzheimer, le parcours est complexe : il faut un rendez-vous dans un CHU, voir des gériatres, des neurologues, passer des tests neuropsychologiques, des imageries cérébrales, parfois une ponction lombaire. Résultat : sur le million de personnes touchées en France, seules la moitié sont diagnostiquées. Le jeu vidéo peut devenir un outil de repérage accessible en dehors des grands centres hospitaliers : chez les médecins généralistes, en EHPAD, etc. L’objectif n’est pas de poser un diagnostic définitif, mais de trier les personnes selon leur niveau de risque, et d’orienter celles qui sont le plus à risque vers le parcours diagnostic classique. Cela permettrait aussi de désengorger les services spécialisés.

Et en fait, ce jeu Sea Hero Quest, permet d’observer la personne qui évolue dans un univers 3D, c’est bien ça ?

Oui, exactement.

C’est-à-dire ?

C’est un petit jeu vidéo dans lequel on incarne le capitaine d’un bateau, qui doit résoudre des labyrinthes aquatiques. Ce que nous collectons, ce sont les trajectoires suivies par le bateau pour résoudre ces labyrinthes. Ces trajectoires nous permettent de comprendre quelles stratégies sont utilisées pour s’orienter. Cela nous donne une fenêtre sur le fonctionnement cérébral du joueur, et permet de classifier ceux qui sont à risque de maladie par rapport à ceux pour lesquels il n’y a aucun souci.

Et ce sera ma dernière question : vous avez un objectif dans ces recherches ? Où en êtes-vous ?

Nous sommes en train de collecter des données de patients qui ont été diagnostiqués de manière certaine avec la maladie d’Alzheimer, mais à un stade léger, c’est-à-dire au tout début de la maladie. Nous comparons leur comportement à celui de personnes témoins, qui leur ressemblent sur le plan démographique mais ne sont pas malades. L’idée est de trouver une signature dans leur manière de se déplacer qui permet de les distinguer de ces témoins. À long terme, c’est-à-dire dans 10 à 15 ans, l’objectif est que cet outil soit mis à disposition de l’ensemble des professionnels de santé pour permettre un repérage précoce de la maladie d’Alzheimer.

La maladie d’Alzheimer touche, rappelons-le, un million de personnes en France. Merci d’être venu nous expliquer vos travaux de recherche. Et pour plus d’informations, rendez-vous sur www.lyoncapitale.fr. À très bientôt, au revoir.

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