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Kamel Kabtane : “Nous avons atteint nos limites”

Entretien – Le recteur de la grande mosquée de Lyon, Kamel Kabtane, appelle à ce que la présence musulmane ne soit pas qu’anecdotique demain, lors de la grande manifestation prévue à 14h au départ de la place Ambroise-Courtois (Lyon 8e). Responsable important de la communauté musulmane, il remet en cause les institutions représentatives du culte musulman et dénonce leurs limites.

Lyon Capitale : Vous avez demandé à rencontrer le préfet Carenco après les trois jours de cauchemar vécus par le pays. Quelles étaient vos intentions ?

Kamel Kabtane : Nous avons rencontré le préfet pour montrer que la communauté musulmane, dans sa grande diversité, condamne avec la plus grande fermeté ce qui s’est produit. Il y avait des responsables de mosquée, des responsables du conseil régional du culte musulman, des élus, des avocats, des personnes de la société civile, des chefs d’entreprise, tous de confession musulmane. Nous voulions montrer que la communauté était multiple et que, dans sa diversité, elle était prête à apporter sa contribution pour traiter les problèmes qui se posent à l’ensemble des musulmans.

Quels sont désormais les enjeux pour les musulmans, après ce qui s’est passé ?

Tout est à revoir ! Je pense en premier lieu au mode de fonctionnement des institutions représentatives des musulmans, sur lesquelles nous devons opérer un gros travail. Nous avons montré nos limites. Je crois que les instances représentatives ne doivent plus évoluer dans les salons mais sur le terrain. Il faut avoir conscience que ces actes contre Charlie Hebdo ont été faits par des musulmans. Dans nos centres cultuels, nous éduquons des enfants de 7 à 14 ans. Mais après, pour des raisons d’infrastructures essentiellement, nous perdons ces jeunes, qui s’évaporent dans la nature. Comme la nature a horreur du vide, d’autres, avec des intentions malfaisantes, la comblent mieux que nous. Mais il faut également que l’État prenne conscience que l’on ne peut pas dire incessamment non aux musulmans. La laïcité ne peut être l’argument prétexte pour toujours tout refuser aux musulmans.

Mais, à vous, on vous dit oui. L’État s’est engagé à accompagner votre projet de centre culturel musulman...

C'est vrai. Mais je suis comme saint Thomas, je ne crois que ce que je vois.

Il y a souvent des appels pour que les musulmans se démarquent clairement des actes terroristes. Faut-il organiser une action spécifiquement musulmane pour dire non au terrorisme ?

J’ai reçu des mails de mise en demeure de me justifier ! Quand vous recevez de telles injonctions, ça fait mal, parce qu’on nous place à côté de la communauté nationale et on nous exclut. L’autre jour, lors des vœux du préfet, un député m’a dit : "Allez, après tout, je vous présente mes vœux." Ce sont des termes et des attitudes lourds de conséquences. Nous sentons bien que des regards se portent sur nous. Ça m’indispose. Je sens bien que le message implicite est que je doive présenter des excuses pour les initiatives folles de quelques abrutis.

Lorsque Breivik, qui revendiquait être catholique, a perpétré la tuerie d’Utoya en Norvège [Anders Breivik avait assassiné 77 personnes et fait 151 blessés le 22 juillet 2011, ndlr], personne n’a mis en demeure l’Église catholique de dénoncer ces actes. Tout le monde avait bien perçu qu’il s’agissait d’un terroriste, d’un déséquilibré.

Mais je reçois également des messages de compatriotes qui disent savoir faire la part des choses. Rien n’est perdu et il y a beaucoup de choses à construire ensemble. Les musulmans ont un rôle important à jouer. Il est nécessaire qu’ils s’investissent dans ce pays et dans aucun autre.

Les actes islamophobes se sont multipliés après l’attentat. Sentez-vous la communauté musulmane particulièrement inquiète ?

Nous sommes sous le coup d’une psychose. Hier, lors de la traditionnelle prière du vendredi, la mosquée était à moitié pleine. Les musulmans ont peur. 34 mosquées en France ont été visées. Il faut en parler. D’autant que celles qui seront en première ligne, ce sont les femmes, dont certaines ont déjà été agressées. L’État doit se montrer ferme et adopter l’attitude d’une tolérance zéro.

Appelez-vous les musulmans à venir manifester massivement demain ?

Hier [vendredi 9 janvier], l’imam a fait son prêche en disant qu’il fallait venir manifester. Il faut que les musulmans soient présents en nombre, car ce qui s’est passé s’est fait au détriment des musulmans. Notre présence à la manifestation de demain [dimanche 11 janvier] ne doit pas être simplement symbolique, nous devons nous déplacer en nombre.

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