Carlino, pizzeria mythique de Lyon sacrifiée sur l'autel de la spéculation

C'est une institution de la Presqu'Ile. Depuis 1965, toute la ville de Lyon y a déjà mangé une pizza. La pizzeria pourrait fermer prochainement. Faute à la spéculation immobilière et aux fonds de pension étrangers ?

"Le prince, l'émir et les Trois Gaules". Le titre d'un nouveau conte des Mille et Une Nuits ? Non,  la réalité immobilière et foncière lyonnaise. Comme le révélait Lyon Capitale en janvier 2013, un tiers de la rue de la République est passée dans le giron d'Abu Dhabi, le plus grand et le plus riche des sept émirats de la fédération des Émirats arabes unis. Vingt quatre immeubles hausmanniens, soit près de 60 000 m2 de bureaux, de commerces et d'appartements. Auxquels s'ajoutent une dizaine d'autres immeubles rue des Archers, rue Neuve, rue Confort; rue de l'Arbre Sec et rue Mulet, tous situés en Presqu'Ile.

Dans un contexte de globalisation des marchés immobiliers, les fonds internationaux occupent une place de plus en plus importante dans l'investissement immobilier. L'immeuble est devenu un actif financier. Contribuant à la financiarisation du secteur, ces acteurs modifient profondément la ville. Le cœur de la Presqu’île est déjà sous pavillon arabe, libérien, suisse, japonais, britannique, hollandais, nord-américain et des îles fiscalement paradisiaques de Jersey et de Guernesey.

Conséquence de ces nouvelles logiques financières, de cette politique du bulldozer, le risque de standardisation du centre ville. "L'intérêt de racheter des pans entiers de rue ou de quartiers,  c'est la maîtrise des loyers" explique un expert immobilier.

C'est ce qui semble arriver à la pizzeria Carlino, rue de l'Arbre Sec. Selon Mouvement Carré Nord Presqu'Ile, une association commerçante classique "mais militante activement pour la défense et la pérennisation du commerce indépendant", comme elle se présente, la pizzeria Carlino  a vu son loyer quintupler en sept ans. "Cette pizzeria connaît aujourd'hui des difficultés financières importante" explique l'association. Et de se demander si ce n'est pas la "fin annoncée pour la pizzeria ?".

Lyon au coeur de grands mouvements financiers internationaux

Le 30 juin 2017, date de cessation des paiements du restaurant, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte. Un an plus tard, un jugement a arrêté le plan de redressement d'une durée de dix ans. Selon l'association de commerçants de la Presqu'Ile, une procédure d'expulsion pour défaut de paiement des loyers serait ouverte.

"Bientôt, de nombreux fast-foods fleuriront la rue de la République, ses rues perpendiculaires et dévoreront un à un les derniers commerces indépendants qui s’y trouvent." déplore l'association.

Le centre ville se gentrifie, s'embourgeoise et seuls ceux qui peuvent payer restent. C'est la disparition des commerces indépendants, qui ne dégagent plus assez de marge pour payer les loyers. Le débarquement massif de "l'avant-garde du commerce franchisé" (David Mangin, architecte) avec ses Zara, Mango, Desigual, H&M que l'on retrouve dans n'importe quelle ville de la planète. "On assiste à la fois à une marchandisation des espaces collectifs et à une publiscisation des espaces privés" explique à Lyon Capitale  Arnaud Gasnier, maître de conférence en géographie et en aménagement au laboratoire Espaces et Sociétés/CNRS de l'Université du Mans. "Les groupes continuent d’ouvrir des magasins mais plus sur une stratégie de groupe, avec la possibilité de remplacer une enseigne du groupe par une autre, comme le fait par exemple Zara qui ouvre de nouveaux magasins de vêtements et implante des Zara home dans les anciens" estime David Bourla, resposable des études chez Cushman & Wakefield.

Le quartier Grolée-Carnot, anciennement sous pavillon suisse, libérien et offshore, est aujourd'hui propriété du tandem Grosvenor/Abu Dhabi; la rue de la Ré' est anglo-arabe, les centres commerciaux de la Part-Dieu et de Confluence, via Unibail-Rodamco, cachent des capitaux néerlandais, suisses et japonais.

Bref, Lyon est au coeur de grands mouvements financiers internationaux, au cœur d’un combat de géants. Preuve qu'elle séduit aujourd'hui les investisseurs étrangers. Mais cette "cote" à l'international a ses revers.

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