Affaire Société Générale/Kerviel : fuites asiatiques ?

Mikael (*), responsable à Londres de l'activité "arbitrage d'indices" dans l'une des dix premières banques d'investissement du monde, raconte : "en quinze ans de métier, je n'ai pas connu de conditions de marché aussi brutales. Dans la nuit du dimanche [20 janvier] au lundi, j'ai reçu un coup de fil à quatre heures d'un de mes collègues à Tokyo qui m'indiquait que nos systèmes de surveillances des marchés détectaient des mouvements anormaux sur les marchés asiatiques". Au petit matin, le lundi 21 janvier, les dépêches tombaient : "L'indice Nikkei 225, moyenne non pondérée des 225 valeurs vedettes, a cédé près de 4%, soit 535,35 points à 13 325,94 points, son plus bas niveau depuis le 25 octobre 2005". La direction de la Société Générale a le sang glacé car elle sait que cette réaction inattendue des marchés asiatiques va entraîner les marchés européens et rendre plus difficile et plus cher le débouclage des positions de Jérôme Kerviel.

Les analystes invoquent alors une déception des marchés asiatiques face au plan Bush visant à contrer les craintes de plus en plus fortes d'une récession de la première économie mondiale. Mais pour Mikael cette déception ne suffit pas à expliquer la chute brutale de Tokyo. D'ailleurs à New York vendredi, juste après l'annonce du plan Bush, la baisse des marchés était modérée : le Dow Jones avait perdu 0,49% et le Nasdaq 0,29%. En revanche lundi 21 octobre à Tokyo - dimanche soir à Paris - des ventes massives ont eu lieu.

Avant même l'ouverture des marchés européens, Mikael convoque alors ses traders et leur demandent de se tenir prêts à vivre des "marchés de grands garçons" et "à déboucler les positions longues, voire prendre des positions shorts sur les indices européens". Dans la journée ces principaux indices perdaient 7% et pour Mikael et ses équipes une semaine de grand stress allait suivre, "à tel point que je devais forcer mes équipes à prendre des pauses pour boire, manger et même aller aux toilettes !"
Après la tempête, les sueurs froides et les interrogations
Le déroulement des évènements du week-end du 19 janvier est maintenant connu : du rappel de Jérôme Kerviel de son week-end à Deauville le samedi soir jusqu'à l'annonce à la presse le jeudi 24 janvier de la fraude et du montant des pertes associées, en passant par la découverte par Daniel Bouton de l'exposition de la banque pour un montant de 50 milliards le dimanche 20 janvier dans son bureau à 11h et le débouclage des positions en début de semaine en coordination avec les autorités de marché.

Mikael est rétrospectivement traversé de sueurs froides : "nous avons investi des sommes colossales pour attirer les meilleurs talents en salle de marché, nous les avons équipés de technologies les plus sophistiquées mais nous avons tous négligé des aspects moins glamour de notre métier : le contrôle interne. L'affaire Kerviel est une conjonction d'évènements peu probables, un évènement rare qui n'arrive qu'une fois tous les dix ans, un cygne noir ("black swan") ; aucun patron de salle de marché sur futures ne peut affirmer qu'il était à l'abri d'un évènement similaire". Mikael explique également que la Société Générale est passée au bord du précipice : "à 10 milliards de pertes, la banque ne se serait vraisemblablement pas relevée; une fois l'affaire aux mains de l'équipe de direction, Citerne, Mustier et Bouton, la confidentialité et la rapidité devenaient essentielles pour limiter les pertes - cette équipe a fait preuve d'une dignité et d'un sang froid exemplaire !"

Mikael souligne que si les marchés asiatiques n'avaient pas connu cette chute brutale avant l'ouverture des marchés européens le lundi 21 janvier, la Société Générale aurait vraisemblablement limité la perte à 2 milliards sur l'affaire Kerviel. "Y-a-t-il eu des fuites entre le vendredi et le dimanche soir ?" s'interroge Mikael.

Cette réaction des marchés asiatiques a permis à certains opérateur de gagner une bonne fraction de ce que la Société Générale a perdu en quelques jours... 5 milliards d'euros, quelques hôpitaux, quelques "plans pour la recherche", "plans Alzheimer" ou "plan Espoir Banlieue", des investissements à trois ans pour des milliers de PME, des dizaines de milliers d'emplois... L'affaire Kerviel n'a pas fini de faire parler d'elle.

(*) Prénom d'emprunt

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