Christophe Pradier, délégé Unsa Police Rhône

"À Lyon, on ne fait que remplacer les départs. Il nous manque 400 policiers" alerte Christophe Pradier

Christophe Pradier, délégué Unsa Police Rhône, est l'invité de 6 minutes chrono / Lyon Capitale.

2005, année du tout premier règlement de comptes en France à l’arme de guerre. C'était à Marseille et à Lyon.

Cette année, le 12 juin, à Tassin-la-Demi-Lune, vers 2h40 du matin, Ahmed M. et Nordine G. sortent du casino le Lyon vert. Dix minutes plus tard, deux individus sur une moto s'arrêtent à leur niveau et ouvrent le feu sur les occupants de la voiture. Celle-ci percute alors violemment d'autres véhicules en stationnement tandis que les motards prennent la fuite. Une des victimes décède sur place tandis que l'autre perd l'usage de ses jambes. C’est la première affaire de guerre à Lyon sur fond de trafic de drogue.

Selon les derniers chiffres présentés (au Progrès) par le procureur de la République de Lyon Thierry Dran, 16 homicides et 58 tentatives ont été commis sur le seul premier semestre de l'année 2025, contre 22 et 92 sur l’ensemble de l’année précédente. Il ajoute qu'entre 40% et 50% de ces homicides seraient liés au trafic de drogue. Déjà en 2024, le nombre d’homicides avait augmenté de 42% par rapport à l'année précédente.

"On est arrivé aujourd’hui au niveau de Marseille, assure Christophe Pradier, délégué Unsa Police Rhône, vingt-cinq ans de terrain à Vaulx-en-Velin. Le narcotrafic a pris une telle importance que la violence s’est multipliée."

Luttes de territoires

En juillet 2023, Jérôme Pierrat, journaliste spécialiste du grand banditisme expliquait dans nos colonnes qu'à Lyon, le trafic était "plus atomisé" qu’à Marseille, avec des "banlieues de l’Est assez étalées". "On pourrait dire qu’il y a du travail pour tout le monde. De temps en temps, ils se flinguent car ils sont quand même dans un business où on ne vend pas des abricots, mais il y a moins de frictions car c’est moins concentré. Lyon est donc moins conflictuel. Si tu veux avoir une analogie avec Marseille, c’est comme si tu mettais toutes les cités de Lyon, tous les points de deal, à Bron. En quinze jours, tout le monde se tirerait dessus. Il y a aussi une dimension "culturelle". À Lyon, c’est plutôt un banditisme qui a toujours été assez discret, assez structuré. Et pourtant, depuis vingt-cinq ans, ce sont de gros intervenants à Lyon, parmi les plus gros importateurs de haschich de France, et de grosses équipes."

Deux ans et demi plus tard, force est de constater que les choses ont évolué. "On est vraiment dans des luttes de territoire dans le but de reprendre des trafics existants" constate Christophe Pradier.

"On ne voyait pas cela auparavant parce qu’on avait peut-être moins mis les pieds dans la fourmilière, comme on le fait aujourd’hui. On a régulièrement des opérations, même si on manque d’effectifs."

Effectifs réels et théoriques

Le manque de policiers est un cantique classique. Si Grégory Doucet a réaffirmé sa volonté, pendant l'été, "d'augmenter les effectifs partout dans la ville" pour atteindre l'effectif théorique de la police municipale lyonnaise de 364 agents, les fonctionnaires, eux, ne sont pas sur la même longueur d'onde et remettent en cause les chiffres annoncés par la mairie.

"En fait, poursuit Christophe Pradier, on ne fait que remplacer les départs depuis quatre ou cinq ans. C’est ça le problème à Lyon. On ne cesse de demander des effectifs supplémentaires. Lorsque la préfecture ou d’autres disent que des policiers arrivent à Lyon, c’est vrai : mais il y en a tout autant qui partent. Il nous manque toujours 400 fonctionnaires à Lyon pour travailler à peu près correctement."

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La retranscription intégrale de l'entretien avec Christophe Pradier

Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouveau rendez-vous de 6 minutes chrono. Nous accueillons aujourd’hui Christophe Pradier, bonjour. Christophe Pradier, vous êtes délégué UNSA Police Rhône. Vous avez été 35 ans sur le terrain, dont 25 à Vaulx-en-Velin. On va parler avec vous de manière globale de la délinquance, des mutations de la délinquance à Lyon, et aussi de la pénétration des réseaux numériques. On l’a vu il n’y a pas longtemps : à Vénissieux, beaucoup de gens parlaient de quartiers invivables. Il y a des agressions, des rodéos, des trafics de drogue. Le trafic de drogue, on en parle beaucoup. Il y a notamment ce qu’on appelle aujourd’hui des “tueurs à rage”, certains journalistes parlent de “shooters”, du mot anglais shoot, tirer. Aujourd’hui, qu’est-ce qu’on peut dire de la délinquance ? Comment cette violence, cette délinquance, a-t-elle muté à Lyon ?

On peut clairement dire qu’on est arrivé aujourd’hui au niveau de Marseille. Malheureusement, on craignait d’y arriver un jour, mais c’est le cas. Le narcotrafic a pris une telle importance que la violence s’est multipliée. Pour tout et pour rien, aujourd’hui, on prend des coups de kalachnikov. C’est le cas aux Minguettes, c’est le cas à La Duchère il n’y a pas si longtemps. On est vraiment dans des luttes de territoire dans le but de reprendre des trafics existants.

Et ça, finalement, on ne l’avait pas à Lyon. On l’avait moins, parce que, pourquoi ? Contrairement à Marseille, on m’a toujours dit qu’il y avait à Lyon une sorte de bonne entente entre narcotrafiquants : chacun avait son territoire.

Le problème à Lyon, sans refaire toute la genèse, c’est que depuis quelques années, malheureusement, on perd beaucoup d’effectifs de police. On est moins présents partout, y compris dans les banlieues, et le trafic en profite pour exploser. On a des luttes de territoire, je le répète, c’est bien là le problème. On ne voyait pas cela auparavant parce qu’on avait peut-être moins mis les pieds dans la fourmilière comme on le fait aujourd’hui. On a régulièrement des opérations, même si on manque d’effectifs. On met quand même les moyens à certains moments pour sortir de belles affaires. Vous savez qu’en matière de stupéfiants, un réseau démantelé est de retour dans les 48 heures. C’est ce qui se passe actuellement. Lorsqu’on veut reprendre un secteur mis à mal par la police, il faut faire du vide et reprendre littéralement le terrain.

Mais alors, cela signifie qu’il faudrait une présence policière constante sur le terrain ?

Je crois que c’est une évidence, et malheureusement ce n’est pas du tout le cas à Lyon. Vous allez à Meyzieu, où il y a eu une descente il n’y a pas longtemps : les habitants se plaignent de ne plus voir la police. Ils disent qu’il n’y a plus de police à Meyzieu. À Meyzieu, vous n’avez que des collègues qui sont dans le bureau d’enquête.

C’est vrai qu’on l’entend souvent. Dans certains quartiers, certaines zones, les gens se plaignent clairement. Ou alors, au Tonkin, à cheval entre Lyon et Villeurbanne, où ce sont carrément les habitants qui descendent pour protester contre le trafic et contre le manque de policiers.

Le souci, c’est qu’à Villeurbanne, il y a tout de même une BST qui a été mise en place. C’est une bonne chose. On ne critique pas, au contraire : les BST sont très positives. Mais lorsqu’on crée ces unités, on prend les effectifs déjà présents sur le terrain pour les remplir. On déshabille donc d’autres secteurs. C’est notre gros souci. Nous ne sommes pas contre les BST, c’est une bonne chose. Il y a des années où elles fonctionnent très bien. Il y en a à La Duchère, un peu partout. Mais les BST prennent des effectifs, et ces effectifs doivent être créés : il faut en amener en plus.

Pourtant, dans la petite guéguerre entre le ministre de l’Intérieur et le maire de Lyon, Grégory Doucet, pendant plusieurs années, cela a quand même abouti à des créations de postes, non ? Il y a eu de nouveaux effectifs qui sont arrivés ? Eh bien non ?

Non, clairement non. En fait, on ne fait que remplacer les départs depuis quatre ou cinq ans. C’est ça le problème à Lyon. Nous, à Unsa Police, et avec nos amis du Bloc également, on ne cesse de demander des effectifs supplémentaires. Lorsque la préfecture ou d’autres disent que des policiers arrivent à Lyon, c’est vrai : mais il y en a tout autant qui partent.

Donc c’est seulement du remplacement ?

Ce n’est que du remplacement. On n’a pas d’effectifs supplémentaires. Il nous manque toujours — et je vais le répéter — 400 fonctionnaires à Lyon pour travailler à peu près correctement.

Pour vous, il faut 400 policiers en plus sur le territoire ?

Oui.

Et en termes de vidéoprotection, c’est un sujet depuis des années à Lyon. On voit que la mairie de Lyon a fait des efforts ou, en tout cas, prend le sujet en compte. La vidéoprotection, on en est où ? Est-ce qu’on manque de caméras ?

Je pense qu’il serait temps que la mairie prenne vraiment en considération ce sujet. C’est peut-être un peu tard maintenant. Pour nous, la vidéo est un outil de dissuasion, éventuellement — même si j’y crois peu — mais c’est surtout un outil indispensable pour les enquêteurs. Lorsqu’il y a une plainte, la première chose qu’on fait, c’est chercher des vidéos : savoir d’où viennent les individus, par où ils sont passés, comment ils sont habillés. C’est très important. La dissuasion, si vous êtes cagoulé sous une caméra, je ne pense pas que cela change grand-chose. Mais c’est important de savoir que les gens qui n’ont rien à se reprocher n’ont pas à être dérangés par la présence de caméras.

Ce sera ma dernière question : quel message aimeriez-vous adresser aux Lyonnais pour qu’ils contribuent à une meilleure sécurité collective ? La sécurité n’est pas pour les uns ou pour les autres : c’est quelque chose qui concerne tout le monde, tout le temps. Quel conseil pourriez-vous donner ?

Il y a plusieurs conseils à donner. D’abord, ne pensez pas que le 17 puisse intervenir pour tout et n’importe quoi. Le 17, c’est police-secours, un service d’urgence. N’engorgez pas le 17 : on n’a pas les moyens d’intervenir efficacement à Lyon, on n’a pas assez de véhicules de police-secours. Il faut garder le 17 pour les urgences. C’est très important. Ensuite, n’hésitez pas à nous appeler lorsque vous voyez des choses qui vous paraissent étranges, mais pas forcément par le 17.

On appelle qui alors, si on n’appelle pas le 17 ?

Appelez les commissariats de votre secteur. Même s’ils sont désertés par les équipes de police-secours, on peut au moins récupérer une information et s’en servir ultérieurement. Il n’y a pas forcément d’urgence à appeler le 17, c’est très important.

Merci en tout cas Christophe Pradier d’être venu nous dresser un panorama de ces mutations de la violence et de la délinquance à Lyon. Et pour plus d’informations, c’est www.lyoncapitale.fr. À très bientôt. Merci beaucoup. Au revoir.

Merci.

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