On a retrouvé Gérard, épisode 2 : l’hiver

Cet automne, au plus fort des émeutes urbaines à Lyon, notre sénateur-maire “créait de l’emploi” à Tokyo, ville où, de mémoire de geisha, on n’a encore jamais vu de “retourneurs de voitures”. Le voilà qui s’est envolé cet hiver sous le soleil de Satan, en délégation officielle en Tunisie, ainsi que nous le révélions le 8 février sur notre site Internet.

Il s’agissait bien d’une révélation, car, en dépit de son caractère “officiel”, ce périple ne figurait pas à l’agenda de Gérard Collomb et la presse n’en était pas informée. Le but de ces tribulations ? “Faire des affaires.” Notre explorateur tout-terrain était accompagné d’Olivier Ginon, p-dg de GL Events, qui vise un centre de congrès à Tunis, de Bernard Rivalta, patron du Sytral, lequel tente de prolonger le tramway d’Eurexpo jusqu’au cœur de l’avenue Bourguiba, ou encore d’Evelyne Haguenauer, son adjointe “en charge de la Mémoire” (sic). Une mémoire minuscule faisant aujourd’hui défaut à tout ce petit monde, qui s’est pourtant longuement entretenu avec les principaux dignitaires du clan Ben Ali.

Le 17 décembre, jour de l’arrivée de la caravane lyonnaise, Mohamed Bouazizi s’immolait par le feu à Sidi-Bouzid, premier acte tragique de ce qui deviendra la “révolution du Jasmin”. Un problème ? “Quand on y était, il n’y avait pas de problèmes”, lança sans rire Mme Haguenauer. “Je me suis promené à Tunis sur l’avenue Bourguiba sans qu’il y ait de signes de manifestations à cette époque”, tenta le maire en écho, ironisant même, en réponse à un internaute lors d’un chat : “Dans quels pays [voulez-vous] que j’aille ? Bientôt, on va se retrouver avec l’Autriche et le Lichtenstein.”

Cette position peut très éventuellement se défendre, mais alors pourquoi ne pas l’assumer clairement au lieu de bricoler a posteriori des explications alambiquées pour la presse et se fourvoyer jusqu’au ridicule dans le double discours ?

Même si Gérard Collomb concédait à son retour n’être “qu’un simple élu et pas un diplomate (1)”, il existe un certain nombre de dirigeants qui accueilleraient bien volontiers sa désormais traditionnelle équipée, laquelle n’a rien de sauvage. Pour l’Égypte de Moubarak c’est un peu tard, mais il lui reste, pour quelque temps encore, un vaste terrain de jeu : l’Algérie de Bouteflika, la Libye de Khadafi, la Mauritanie d’Abdel Aziz, la Jordanie d’Abdallah II, l’Iran d’Ahmadinejad ou… Cuba, cher à son cher ami Mélenchon. Après tout, si l’on suit son raisonnement sublimino-pragmatique, “les affaires sont les affaires” et comme finira par l’avouer le maire lui-même “les démocraties telles qu’on les imagine en Europe, il y en a assez peu dans le monde”. Voilà de quoi nous décomplexer définitivement.

Entrepreneurs rhônalpins, vous avez du mal à joindre les deux bouts et à conquérir de nouveaux marchés en France ? Élargissez votre horizon, exportez votre savoir-faire, osez ! Et déposez donc votre demande à l’hôtel de ville, au Grand Lyon, au Sytral, chez GL Events ou à l’attention de l’inoxydable Fernand Galula, de toute façon c’est la même adresse : rien ne s’y perd, rien ne s’y crée, tout s’y transforme, et vous aurez toutes les chances de faire “officiellement en off” partie du prochain voyage organisé, en toute sé-cu-ri-té. Si d’aventure Michèle Alliot-Marie et son époux dit POM devaient précipitamment quitter le gouvernement, ils pourraient toujours demander l’asile politique à Lyon : on a une certaine avance en termes de développement durable et de grands projets immobiliers.

Amis entrepreneurs, soyez enfin extrêmement intrusifs et ne vous triturez plus la conscience avec ces potins de révolutions – qu’elles soient de palais, du Jasmin ou du Nil – ni avec ces fadaises de droits de l’homme et autres droits sociaux : dans ces pays, si l’on est introduit auprès des “bonnes personnes”, c’est le rêve. Sea, Biz and Sun. Il suffit de se laisser guider et d’éviter soigneusement le peuple. Pas de syndicats, pas de grèves, pas d’opposition, pas de presse libre et indépendante pour vous empêcher de conclure en rond. Quelques soucis passagers avec Internet, mais rien de rédhibitoire.

Une semaine après votre retour, vous recevrez une belle photo de vous, tout sourire et tout bronzé, à côté du maire, que vous pourrez occasionnellement appeler par son petit nom. Les plus méritants se verront gratifier d’un manuscrit souvenir, daté et signé par le dignitaire qui les aura accueillis avec tous les honneurs dus à leur rang, comme ce fut le cas il y a quelques semaines à Tunis avec Abdallah Kallel (2), (ex)président de la Chambre des conseillers : “M. Gérard Collomb a exprimé son admiration pour la dynamique que vit la Tunisie ainsi que les réalisations accumulées dans tous les secteurs, en dépit de ses moyens limités. Abdallah Kallel, le 21 décembre 2010.”

(1) Son adjointe en charge de la Mémoire aurait pu lui rappeler le couac de la Fête des lumières 2004 et sa déclaration de l’époque : “J’étais trop occupé à faire la paix en Palestine, je n’ai pas regardé les projets.”

(2) Éric Sottas, directeur à Genève de l’Organisation mondiale contre la torture, estime qu’Abdallah Kallel “est responsable de la torture de milliers de personnes”. Ce dernier sera placé le 23 janvier 2011 sous résidence surveillée, avant de démissionner de la présidence de la Chambre des conseillers deux jours plus tard.

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