Perrin-Gilbert : 18 ans pour tuer le père

La valse à trois temps de Nathalie Perrin-Gilbert avec Gérard Collomb a désormais son épilogue. La musique s’est tue et la maire du 1er arrondissement a décidé de se présenter contre son ancien mentor. Une fin inéluctable au vu de la violence des mots et des attitudes entre les deux socialistes depuis cinq ans. Retour sur une histoire qui a mal tourné.

1995-2008 : l’obligée

“Nathalie a longtemps été considérée comme un bébé Collomb. Elle partageait la même ligne politique que lui”, note une élue de la Ville de Lyon. “Elle était même présentée comme un possible dauphin”, poursuit un de ses collègues au conseil municipal. Entre les deux, tout commence en 1995. Gérard Collomb présentera, lors de ses vœux à la presse en janvier 2010, sa vision du début de leur collaboration. Un brin éméché, le maire de Lyon explique l’avoir greffée sur ses listes pour faire plaisir à son père et lui donner un avenir : “Elle venait de rater sa seconde année à sciences-po.” “Je suis venue en politique par et grâce à Gérard Collomb. Je ne l’oublierai pas. Depuis, j’ai construit mon propre projet politique”, nous déclare Nathalie Perrin-Gilbert, quelques mois après les municipales de 2008, quand elle commence son émancipation.

Jusqu’au lendemain de la réélection de Gérard Collomb, les relations entre les deux élus restent au beau fixe. Gérard Collomb lui confie après la victoire de 2001 la mairie du 1er arrondissement. Il lui renouvellera sa confiance en 2008. Entretemps, l’élue a gagné du poids et une légitimité sur son arrondissement. “Elle travaille beaucoup le terrain et elle est connue des Lyonnais”, observe Gaël Roustan, directeur de campagne de Philippe Meirieu pour les législatives de 2012. “Elle a commencé à prendre du poids politique quand elle est devenue suppléante de Pierre-Alain Muet en 2007. Avant, elle ne s’occupait que de son arrondissement. À partir de 2007, elle maîtrisait mieux ses politiques locales et s’est libérée du temps pour jouer un rôle dans les instances du parti, dont elle se désintéressait jusqu’alors. En 2008, elle a fait campagne pour la motion de Delanoë. Dans la foulée, elle a intégré la direction nationale du PS”, se rappelle un ancien de la fédération socialiste du Rhône.

“En 2008, au congrès de Reims, elle faisait le tour des popotes pour faire voter Delanoë alors que Gérard Collomb présentait sa propre motion et s’impliquait pour la première fois dans la vie politique. Elle disait aux jeunes militants qu’il fallait jouer la carte générationnelle pour renverser Gérard”, se souvient une socialiste. Difficile d’imaginer que le maire de Lyon ne se soit pas rendu compte de la manœuvre. À l’époque, il met une pression terrible sur les élus de sa majorité pour qu’ils signent sa motion, et ne digère pas les avis dissonants. Dans la foulée, les premiers accrochages sur des dossiers lyonnais pointent sur les antennes-relais, et la solidarité commence à se lézarder sur le Grand Stade. Le climat a viré à l’orage. Nathalie Perrin-Gilbert, qui commence à incarner une ligne à gauche de Gérard Collomb, s’émancipe. Elle se crée aussi une existence médiatique en cachant dans sa mairie des sans-papiers. La pasionaria des Pentes se construit.

2009-2013 : la désobligeante

À partir de la fin de l’année 2008, Nathalie Perrin-Gilbert muscle son discours. Elle veut profiter de la réélection triomphale de Gérard Collomb pour mettre le curseur à gauche. “Il répétait qu’il avait été élu seul, qu’il ne devait rien à ses colistiers”, soupire au cours d’un entretien Nathalie Perrin-Gilbert, en 2010. “J’avais dit à Gérard que je cherchais un espace de liberté, j’ai fait des propositions. Il ne comprend que les rapports de force, alors j’utilise les moyens que j’ai à disposition”, poursuit-elle, toujours en 2010. “Elle a commencé à s’émanciper après un clash sur le dossier des antennes-relais. Elle a mis du temps à trouver son positionnement politique, mais son engagement plus à gauche de Gérard Collomb n’est pas une posture qu’elle s’est trouvée pour exister”, explique un militant PS de la Croix-Rousse. Dans sa logique de rapport de force, Nathalie Perrin-Gilbert s’attaque à l’une des marottes du maire de Lyon : le Grand Stade. Au Grand Lyon comme au conseil municipal, elle s’abstient sur le sujet ou vote contre. Cohérente, elle s’abstient sur la révision du PLU et le vote du budget, qu’elle juge trop touchés par ce projet pharaonique pour obtenir sa voix. “Au lieu de monter une opposition constructive en interne, Nathalie a décidé d’attaquer Gérard de front, et l’issue était inéluctable. À un certain moment, je la trouvais courageuse, aujourd’hui elle est kamikaze, elle veut seulement régler ses comptes et ce n’est pas constructif”, note une conseillère municipale. Les accrochages se multiplient et débordent sur Esmod, la régie de l’eau confiée au privé et la vision urbanistique de Gérard Collomb en général. De désaccords ciblés, la méfiance mutuelle s’est transformée en une opposition quasi radicale.

Tous les socialistes que nous avons contactés datent la rupture définitive entre les deux des régionales de 2010. Toujours en quête d’un espace de liberté où mener une politique de gauche, la maire du 1er demande une place sur les listes régionales pour s’occuper du logement, une thématique dont elle est en charge en tant que secrétaire nationale du PS. “Gérard Collomb ne pouvait pas accepter. En cédant devant Nathalie, il aurait incité tous les élus à le critiquer pour avoir ce qu’ils veulent. Dans son équipe, cela aurait été le bordel permanent. Comme tous les élus de la Ville, elle est faible et isolée, donc il a refusé. Il en a fait un exemple pour les autres, il ne lui a fait aucun cadeau. Avec son cabinet, ils sont très durs avec elle. Ils l’ont empêchée pendant six mois d’avoir un directeur de cabinet. Ils vont jusqu’au bout pour l’humilier”, semble regretter un élu lyonnais. “Gérard Collomb et son cabinet ont créé la Nathalie qu’ils détestent, ils ont fabriqué sa suppléance à Philippe Meirieu, ils l’ont poussée à bout. Elle s’est sentie persécutée et, logiquement, elle s’est débattue encore plus. C’est dommage : elle a des choses à apporter et sa carrière politique va s’arrêter là, à 40 ans. Elle est en voie de devenir une étoile filante. Ceci dit, je la regarde se crasher sans bouger. Elle n’a pas su créer les conditions qui lui auraient permis de s’entourer”, avoue, penaud, un cadre fédéral plutôt critique lui aussi à l’égard des années Collomb. Au terme de cinq ans de vexations quasi permanentes, le divorce est désormais acté. En 2014, Nathalie Perrin-Gilbert tentera de tuer le père dans les urnes.

2013 : la dissidente

Une nouvelle séquence s’ouvre désormais dans la carrière politique de Nathalie Perrin-Gilbert. D’opposante supposée, elle doit réussir la mutation en alternative à un maire qu’elle juge trop centriste. Si, au sein du PS, ses arguments peuvent être partagés sur le fond, aucun élu ne l’a rejointe. Seul un petit noyau de militants socialistes part dans l’aventure avec elle. Isolée, elle doit désormais se trouver de nouveaux alliés. Les passerelles avec Les Verts existent depuis les législatives de 2012, où elle était la suppléante de Philippe Meirieu, la seule élue socialiste à soutenir le candidat pourtant investi par le PS. Mardi matin, lors de sa conférence de presse, elle a appelé les écologistes à la rejoindre. Une manière de répondre au propre appel des Verts à monter une liste de “déçus à gauche” des années Collomb. “Je leur dis banco, on ne va pas passer des mois à attendre que chacun lance son appel à l’autre. Il faut créer une convergence. Nous avons tout à gagner à être ensemble”, répond Gaël Roustan, l’un des membres fondateurs de l’appel d’EELV à proposer une alternative à gauche. Nathalie Perrin-Gilbert s’est rapprochée d’eux depuis qu’elle est entrée en dissidence.

En août 2010, elle se pose même la question de changer de parti. De retour de l’université d’été du PS à La Rochelle, elle est rassurée par la ligne plutôt à gauche de Martine Aubry et abandonne ses envies d’un ailleurs plus vert. Aujourd’hui, sa pente naturelle la pousse à mener le combat avec eux. “Elle ne rallie pas les écolos directement, car elle s’interroge sur leur volonté de présenter réellement une liste contre Gérard Collomb. Elle gagne du temps”, analyse un socialiste. D’autres évoquent un choix guidé par la volonté de rester au PS le plus longtemps possible. Dès lors qu’elle rejoindra les écologistes dans leur rassemblement, elle sera exclue de son parti. Là aussi, l’issue semble inéluctable. Tout comme son résultat aux municipales de 2014. Avec ou sans Les Verts, elle n’a pas grand-chose à espérer. Tout juste pourra-t-elle gagner le 1er. Contre Gérard Collomb et bientôt contre le PS, en revanche, elle n’a rien à espérer pour l’avenir. “Elle s’est sacrifiée”, confie un cadre fédéral.

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