Les Nuits sonores pour les nuls

Le festival de musique électronique (mais pas que) lyonnais s’ouvre ce soir. Pas de tête d’affiche cette année et la liste des groupes est interminable. Pour tous ceux qui sont perdus dans ce programme, Lyon Capitale a sélectionné les artistes qu’il faut éviter de rater et vous explique pourquoi. A tous, bonnes Nuits !

Les figures cultes

Charanjit Singh

La musique du compositeur indien Charanjit Singh fut pionnière sans le savoir. Connu pour avoir participé en tant que guitariste ou claviériste à bon nombre de bandes originales du cinéma bollywoodien des années 1960 aux années 1980, c’est la redécouverte de ses albums solos par Edo Bouman – collectionneur de disques fasciné par la musique indienne –, lors d’un séjour à Dehli, qui le fit rentrer dans l’histoire. Nous étions en 2002.

Vingt ans plus tôt, Singh faisait l’acquisition à Singapour de trois instruments fraîchement sortis par la marque japonaise Roland : le synthétiseur Jupiter-8, la boîte à rythmes TR-808 censée simuler électroniquement le jeu d’un batteur, ainsi que le synthétiseur et séquenceur TB-303, dont l’objectif était quant à lui de remplacer un bassiste. Ces deux derniers instruments se révélèrent rapidement inappropriés à l’usage prévu, mais devinrent populaires en étant détournés. À ce jeu, le musicien de Bombay fut officiellement le premier.

Alors que les producteurs de house découvrirent pleinement la puissance de la Roland TB-303 à la toute fin des années 1980 (créant ainsi ce qu’on dénomma par la suite acid house, en référence conjointe à l’usage massif de drogues dans le monde du clubbing et aux sonorités si caractéristiques de ce synthétiseur de basse analogique), Charanjit Singh enregistra un album pouvant relever de ce courant dès 1982, inspiré à l’époque par les ragas indiens, les films de Bollywood et la musique disco venue d’Occident. Une musique rétro-futuriste bien trop en avance sur son temps et qui fut longtemps ignorée du monde. Cet incroyable musicien a maintenant une soixantaine d’années et il nous emportera certainement dans un magnifique voyage, tant musical que temporel.

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Laurent Garnier

Figure de proue de la scène électronique mondiale, Laurent Garnier est le pape, la véritable autorité de la musique techno française. En témoignent assurément ses 25 années de carrière, récemment célébrées en grande pompe au Rex Club à Paris et au Warehouse Project à Manchester. C’est justement dans la ville mancunienne que Laurent Garnier découvrit sa vocation, à la fin des années 1980, plus précisément à l’Hacienda où il fit ses armes dès 1987, sous le pseudonyme de DJ Pedro. Salle attitrée du label Factory Records (ayant produit entre autres Joy Division ou les Happy Mondays), le club de "Madchester" abandonna rapidement le son new-wave pour être un des premiers au monde à diffuser de la house et de la techno.

Premier et unique artiste de musique électronique à avoir pu jouer dans la prestigieuse salle Pleyel à Paris (en 2010), Laurent Garnier fut également le premier de sa catégorie en représentation à l’Olympia (en 1998). Homme intègre à la démarche sincère et disposant d’une incroyable collection de disques, Laurent Garnier est un artiste dont on ne peut se lasser tant il a pu allégrement se réinventer au fil des décennies. Pour preuve, son dernier travail réalisé en partenariat avec le chorégraphe Angelin Preljocaj, qui lui ouvrit les portes du théâtre du Bolchoï à Moscou.

En attendant, impatiemment, l’adaptation cinématographique de son livre Electrochoc ?, on le retrouve avec plaisir sur la scène des Nuits sonores.

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Mark Ernestus (Jeri-Jeri)

Mark Ernestus est un personnage clé pour comprendre l’envergure actuelle de la scène techno berlinoise. En décembre 1989, soit un mois environ après la chute du mur, il fonde Hardwax à Berlin, LE disquaire de référence pour tout amateur de musiques électroniques, tant pour l’exigence de ses sélections que pour son histoire. En 1993, il forme avec Moritz von Oswald le duo Basic Channel, à l’origine d’un label éponyme devenu culte et d’un nouveau genre, la “dub techno”, au carrefour des influences rythmiques de la techno de Detroit et du processus de production si singulier du dub jamaïcain.

Le projet Jeri-Jeri qu’il présente aux Nuits sonores naquit dans la tête de Mark Ernestus lors d’un voyage début 2011 en pays gambien et sénégalais, où il rencontra la fine fleur des musiciens locaux dont le maître du sabar, Doudou N’Diaye Rose. Les rythmiques complexes de cette musique traditionnelle d’Afrique de l’Ouest combinées à l’excellence de production du Berlinois seront à coup sûr l’un des événements de ces Nuits.

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Nurse With Wound

La musique de Steven Stappleton tient plus de la performance artistique que du concert. Ancien roadie du groupe de krautrock Guru Guru, peintre et graphiste (sous le nom de Babs Santini), Steven Stappleton fonde Nurse With Wound en 1978, cherchant très tôt à questionner son époque.

Inspiré par la vague dadaïste, futuriste et surréaliste du début du siècle dernier, sa musique explore l’idée de “bruit musical” – jusqu’alors banni de tout processus de création car jugé trop laid. Précurseur, Stappleton ne fait pourtant que reprendre les préceptes du peintre italien Luigi Russolo, dont la publication dès 1913 du manifeste L’Art des bruits changea à jamais la musique du XXe siècle. Pour Russolo, l’oreille humaine étant devenue insensible aux sonorités pures il était nécessaire de découvrir la variété infinie des sons-bruits, d’écouter la ville.

C’est parce qu’elle naît en pleine phase de désindustrialisation que la musique de Nurse With Wound prend tout son sens, interrogeant le spectateur sur le monde qui l’entoure. À l’instar d’Einstürzende Neubauten et de Throbbing Gristle, la mélancolie en plus, la musique de Nurse With Wound est une véritable expérience. Vous voilà avertis.

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Le talent lyonnais bel et bien représenté

Abschaum

Les germanophones l’auront deviné, en choisissant comme nom de scène Abschaum, Chris Poincelot ne s’est peut-être pas facilité le travail outre-Rhin. Celui qui s’appelle donc littéralement “racaille” dans la langue de Goethe est pourtant un jeune Lyonnais prometteur, aussi fasciné par le krautrock que par le post-punk, la musique industrielle ou le shoegaze (courant du rock alternatif caractérisé par une utilisation massive de pédales d’effets sur les guitares rythmiques). Véritable puits d’influences musicales de ces quarante dernières années, le gamin est prolifique : 3 albums et 2 maxis publiés sur son site Internet (en téléchargement gratuit) en à peine deux ans et demi. Un rythme d’autant plus remarquable que Chris Poincelot confie jouer tous les instruments entendus dans ses compositions, enregistrés dans son propre home-studio. Un musicien complet donc, qu’on espère voir continuer de grandir. Passez le voir sur la péniche du Sonic amarrée quai des Étroits, vous ne devriez pas être déçus.

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Ark

Guillaume Berroyer dit Ark est un DJ d’expérience plutôt méconnu du grand public. Attiré par la musique électronique à l’aube des années 1990, c’est avec Pépé Bradock qu’il fonde son premier groupe en 1996 : Trankilou. À l’époque, c’est l’explosion French Touch (sorte de regroupement de tout un pan de la musique électronique française au milieu des années 1990, principalement house), dont certains membres comme St-Germain, Motorbass ou les Daft Punk deviendront mondialement célèbres. À peu près du même âge, Ark connaissait très bien et avoue avoir côtoyé tout ce petit monde lorsqu’il était encore dans la capitale. Mais, fatigué par la tournure du mouvement, qu’il jugeait caricaturale et commerciale, il décida de s’en éloigner. La suite ? Le Lyonnais d’adoption enchaîne les collaborations avec des artistes de premier choix (Jamie Lidell, Isolée, Matthew Herbert, Cabanne) et signe sur des labels prestigieux (Circus Company, Karat ou encore Perlon). Entre une techno minimale organique et un groove house implacable, les lives d’Ark regroupent généralement tout ce que le bonhomme a pu sortir de mieux durant son honorable carrière.

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The Cavemen Five

La discographie des Cavemen Five est trompeuse. Avec tout juste un 45 tours dans les bacs, il aurait été facile de croire au nouveau talent. Que nenni, ces figures rock de la scène lyonnaise aiment brouiller les pistes et enchaînent les projets (comme les noms : Cortona, Buttshakers, Lost Boys). Pour ces Nuits, c’est dans un registre garage rock très 60’s – et accompagnés d’un saxophone – que l’on retrouve nos délurés locaux. Signés sur l’excellent label berlinois Soundflat Records (accueillant notamment les incroyables Staggers), ils nous promettent un rock ponctué de cris primitifs qui déménage !

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Kosme

Résident du club lyonnais L’Ambassade et déjà présent aux Nuits Sonores l’an dernier, Kosme est un musicien deep house à la réputation grandissante. DJ depuis maintenant plus de quinze ans, il décide d’emménager à Lyon en 2004. Il y fonde son label, Caramelo Records, distribué par l’incontournable Syncrophone Records à Paris. Une production exclusivement vinyle. En réponse à la dématérialisation annoncée de la musique ? Sans doute, mais Kosme explique également sa démarche par l’importance qu’il porte aux rencontres et au contact humain.

DJ d’expérience ayant déjà joué au Rex à Paris ou au Weekend Club à Berlin, Kosme alterne sonorités deep, house et techno avec une aisance qui devraient tenir particulièrement en émoi les festivaliers.

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Mazalda Turbo Clap Club

La production de cette formation atypique à l’énergie communicative est quasi inclassable, oscillant entre rock progressif, orchestre de rue et jazz fusion (sorte de jazz hybride apparu dans les années 1970, influencé par l’essor du funk et du rock). Avec un son puissant et coloré, le groupe lyonnais fait danser, et c’est tant mieux. Influencé par des musiques aussi variées que la trance indienne et le raï, Mazalda Turbo Clap Club est un groupe aux contours artistiques flous. C’est en live que vous les comprendrez.

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Des musiciens prometteurs

AlunaGeorge

Né d’une rencontre sur le réseau social Myspace, le duo AlunaGeorge est peut-être le groupe le plus rafraîchissant du moment. Dans un style très britannique, Aluna Francis au chant et George Reid à la composition proposent un Rn’B décomplexé et contemporain. Inspiré par les scènes hip-hop et dubstep actuelles, ces deux Londoniens confient également vouer un culte aux chansons à la fois expérimentales et populaires, citant entre autres Kelis, Aaliyah, Flying Lotus ou Disclosure. C’est d’ailleurs avec ces derniers, deux frangins du Surrey en Angleterre (grande révélation britannique de l’année 2012), qu’ils collaborèrent sur le single White Noise.

Avec une notoriété qui grimpe en flèche et un nouvel album, Body Music, qui sera sans doute présenté en avant-première aux festivaliers, le duo AlunaGeorge contaminera Lyon aux anciennes usines Brossette dès ce mercredi soir.

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Élysée

On pourrait croire à un pied de nez. Il n’en est rien, Élysée est simplement le deuxième prénom de Loïc Bodjollé, jeune artiste d’à peine 24 ans résidant dans le sud de la France et membre du très prometteur Métaphore Collectif, agrégat de passionnés de musique électroniques bousculant actuellement la scène marseillaise.

Sa musique électronique minimale teintée d’influences bruitistes et expérimentales est abstraite, onirique, sophistiquée. Un nouveau talent à apprécier en live – gratuit – place Général-Delfosse. L’une des bonnes aubaines du festival.

SoundCloud

King Krule

Découvrir l’univers d’Archy Marshall, dit King Krule, c’est invariablement tomber sous le charme. Comprenez, après un premier album autoproduit pendant son passage à la BRIT School – l’école d’art londonienne qui accueillit notamment Amy Winehouse ou Adele –, le Britannique même pas majeur a su étonner la blogosphère par une maturité musicale des plus précoces. Celui qui décida rapidement d’abandonner son premier pseudo (Zoo Kid) pour s’affranchir des regards condescendants avance vite. Nourrie d’influences diverses, la musique du roi Krule est singulière et majestueuse, située quelque part entre blues, jazz, post-punk, pop et musique électronique, le tout soutenu par une voix noyée de réverbérations et d’échos. Avec la sortie de son prochain album annoncée pour cette année et un nouvel EP qui paraîtra sous le nom d’Edgar The Beatmaker (dans un registre plus hip-hop), Archy Marshall est d’ores et déjà un phénomène. Et il ne faudra pas le rater.

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Paradis

Mélanger chanson française, pop et deep house, voilà qui aurait pu s’avérer une gageure ! Pari risqué, mais tenu par le duo parisien Paradis, qui propose une musique élégante qui sait faire cohabiter des univers pourtant assez distincts.

Première sortie de Beats in Space (le label du New-Yorkais Tim Sweeney), Paradis s’est fait connaître en 2011 après avoir réinterprété La ballade de Jim d’Alain Souchon sur fond de rythmique électronique, dans ce qui constitue un bel hommage au natif de Casablanca. Avec tout juste deux maxis à son compteur, le duo bénéfice encore d’une notoriété assez confidentielle. Il profitera sûrement de son court passage aux Nuits sonores pour séduire de nouvelles oreilles avec sa musique fragile autant qu’envoûtante.

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Les artistes qui viennent de loin

Andrés

Un temps DJ du groupe de rap underground Slum Village (dont faisait partie le regretté Jay Dilla), Andrés est surtout une figure de la musique house de Detroit. Natif de la Motor City, c’est pourtant en Californie que le DJ grandit dans les années 1980, avant de revenir au Michigan en 1988. Dès son retour, il travaille au Buy Rite Records, légendaire disquaire de Detroit dans lequel fut notamment distribué le premier Cybotron en 1981 (l’un des disques essentiels de l’émergence de la techno).

Entouré d’amis aussi talentueux que Theo Parrish ou Kenny Dixon Jr. (Moodyman), Andrés est une figure méconnue et sous-estimée de la deep house. Le succès de son dernier maxi, New For U, publié sur son tout jeune label La Vida, tend à le réhabiliter. Passionné par les percussions latines (congas, bongos, timbales) et la batterie qu’il apprend dès son plus jeune âge, Andrés est également un arrangeur doué. Une alchimie entre soul, funk et house dont apparemment seuls les habitants de Detroit sont capables.

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Black Coffee

À l’image de l’Allemagne dans les années 1990, c’est sur fond de musique électronique que l’Afrique du Sud prit un nouveau départ après l’abolition de sa tristement célèbre politique ségrégationniste, en juin 1991. Plus grosse consommatrice de musique house au monde, l’Afrique du Sud fut en effet si touchée par ce genre né dans la ville de Chicago au début des années 1980 qu’on l’entend absolument partout là-bas : dans les taxis, chez le coiffeur, au restaurant… et bien sûr dans les clubs. L’engouement est tel que des milliers de gamins des townships en produisent chaque jour dans leurs baraquements de fortune, certains allant même jusqu’à penser que c’est dans leur pays que naquit le genre.

Nkosinathi Maphumulo, "Black Coffee" sur scène, est ainsi une véritable star en Afrique du Sud. D’origine rurale modeste, il tombe amoureux de ce style à l’adolescence et décide rapidement d’y consacrer son énergie malgré un grave accident où il perd sa main gauche alors qu’il n’est âgé que de 13 ans. Considéré comme l’un des meilleurs DJs house de la planète, il déplace des foules à chacune de ses représentations. Quand on sait que Black Coffee fut le premier DJ à dépasser les 60 heures de mix (en plein Soweto et avec seulement 20 minutes de pause toutes les 4 heures, enchaînant même les 15 dernières d’une seule traite), son passage aux Nuits sonores ne devrait pas être de tout repos.

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Shigeto

En grandissant à Ann Arbor dans le Michigan, ville où fut fondé Ghostly International, Shigeto était prédestiné. Assurément influencé par cette réserve de talents locaux électro, le musicien d’origine japonaise est désormais un artiste de poids pour le label indépendant américain.

Après trois ans à New York pour y étudier le jazz, il en passe trois autres à Londres où il développe son obsession pour les techniques de production électronique. Batteur talentueux et expérimenté, ses musiques correspondent parfaitement à l’esthétique de son label : ambient organique parsemé de bruits et autres enregistrements maison, mélodies jazzy pleines de couleur et rythmiques complexes. Shigeto signifierait “grandir encore” en japonais. On suivra donc ses prochaines sorties avec une grande attention.

Les lives de Shigeto sont généralement pleins de vie, le musicien parvenant à jongler entre boîte à rythmes de type MPC (abondamment utilisé par les beatmakers dans le hip-hop) et batterie accoustique. Un artiste extrêmement impressionant sur scène.

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Yasiin Bey (Mos Def)

L’univers de Dante Terrel Smith, à la fois rappeur et acteur, est particulièrement singulier. Plus connu sous son nom de scène de Mos Def, le New-Yorkais bientôt quadragénaire souhaiterait pourtant qu’on ne l’appelle plus que Yasiin Bey. Un choix qui date du début 2012, choix tant spirituel que mystérieux : Yasin est l’un des rares noms d’origine arabe dont la signification exacte demeure inconnue.

Le rappeur fit véritablement son apparition dans le monde du hip-hop en 1996, suite à sa collaboration avec le célèbre trio de Long Island De la Soul, connu entre autres pour son amour du jazz et ses samples atypiques. En 1997, il fonde Black Star avec Talib Kweli, en compagnie duquel il obtient rapidement un succès autant critique que commercial. Après quatre albums solos dans les années 2000, le rappeur new-yorkais serait actuellement en studio pour la sortie d’un prochain album d’ici 2014. Classé comme l’un des meilleurs rappeurs et paroliers du monde du hip-hop par The Source (un des magazines musicaux les plus populaires du monde et spécialiste du genre depuis sa création en 1988), son concert mercredi soir dans les anciennes usines Brossette devrait être un véritable événement. En attendant, n’hésitez pas à (re)voir ses nombreux films dont son magnifique et cocasse duo avec Jack Black dans Soyez sympas, rembobinez réalisé par Michel Gondry.

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Et si vous n’en avez pas assez…

Lyon Capitale vous proposera chaque jour pendant le festival sa sélection quotidienne, à la même adresse… électronique évidemment.

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