LA SELECTION CINEMA DE LYON CAPITALE

Après Le Harem de Madame Osmane (2000) et Viva Laldjéria (2004),
Nadir Moknèche poursuit sa chronique haute en couleurs de l'Algérie moderne et rend hommage à la comédie italienne.

Délice Paloma ***
Comédie franco-algérienne de Nadir Moknèche (2h14) avec Biyouna, Nadia Kaci, Aylin Prandi et Daniel Lundh.

L'histoire : Madame Aldjéria a un rêve : racheter les thermes de Caracalla pour les transformer en hôtel de luxe. Et pour y arriver, la "'bienfaitrice nationale'' ne recule devant rien. En toute illégalité, elle arrange les problèmes de tous, des concurrences commerciales aux désirs de divorce...
Déjà comparé à Almodovar, Nadir Moknèche pose son regard sur la société algérienne d'aujourd'hui tiraillée entre le désir ardent de modernité et le poids de la tradition. Ni comédie, ni drame, ni film politique ni film d'amour, mais un peu de tout cela à la fois, Délice Paloma fait voler en éclat tous les clichés sur l'Algérie.
Le troisième long-métrage du réalisateur algérien est avant tout le portrait d'une femme exceptionnelle, Madame Aldjéria, sorte d'incarnation moderne de la Mamma Roma interprétée naguère par Anna Magnani, peint sur le fond tourmenté d'une société gonflée d'illusions héritées du monde occidental.
Et qui mieux que la truculente Biyouna, au physique disgracieux et à la voix rocailleuse, pour incarner Madame Aldjéria. Magouilleuse hors-paire, mi-putain, mi-maquerelle, celle qui s'est autoproclamée "bienfaitrice nationale'' est prête à tout pour racheter les thermes de son enfance et en faire un hôtel cinq étoiles.
Madame Aldjéria représente à elle seule l'aspiration à la modernité et à la liberté de tout un peuple. Et en cela, elle est infiniment touchante, formidablement secondée par deux autres excellentes comédiennes : Nadia Kaci et Aylin Prandi, qui incarne une Paloma aussi délicieuse que le dessert à base de sorbet au jasmin que l'on savoure dans les rues d'Alger.
Des rues que l'on sillonne comme dans une comédie italienne, une Dolce Vita dans laquelle les rêves et la naïveté du petit peuple attendrissent le regard du spectateur. Délice Paloma est un film surprenant, émouvant et drôle, qui mériterait sans conteste d'être un des films de l'été.

Interview expresso de Biyouna
"Qu'est-ce qui te dit que je suis une femme?"
Lyon Capitale : Le film montre une société algérienne où les femmes sont très actives, pleines d'énergie contrairement aux hommes qui semblent passifs...
Biyouna : Avant, les femmes algériennes étaient soumises, maintenant ce sont les hommes! (Rires) Les femmes en Algérie sont très émancipées, elles sont très fortes. Ma mère, par exemple, était très coquette. Elle se maquillait, elle portait un sarouel très échancrée. C'était une femme moderne.

Justement, pensez-vous que la société algérienne soit en train de se modernier, notamment vis-à-vis des femmes et de leur condition?
Au mariage de Nadir (Nadir Moknèche, le réalisateur de Délice Paloma, ndlr) qui était un mariage très traditionnel et conservateur, les hommes étaient d'un côté, les femmes de l'autre. Moi, j'étais avec les hommes et je regardais les femmes à travers le rideau qui nous séparait. Un homme s'est approché de moi et m'a demandé de rejoindre les femmes. Je lui ai répondu : "'Qu'est-ce qui te dit que je suis une femme?'' (Rires)

Quel regard portez-vous sur les femmes qui porte le voile?
Qu'elles mettent ce qu'elles veulent sur leur tête, un voile, un couffin... Le plus important, c'est qu'elles aient le choix. Il ne faut pas que quiconque les force. En France ou en Algérie, je n'aime pas quand l'Islam est récupéré à des fins politiques. Il ne faut pas tout mélanger, la politique doit rester la politique, et rester hors du débat. J'aime Dieu, il est magnifique. Mais c'est une relation très personnelle et chacun doit être libre de vivre sa propre expérience.

LES SORTIES DE LA SEMAINE

A Very British Gangster, de Donal McIntyre, avec Dominic Noonan
L'Huître et le vent, de Walter Lima Jr., avec Lima Duarte, Fernando Torres
Le Feu sous la peau, de Paul Goldman, avec Emily Barclay, Michael Dorman
Half Nelson, de Ryan Fleck, avec Ryan Gosling, Shareeka Epps
Invisible, de David S. Goyer, avec Justin Chatwin, Harrison
Hot Fuzz, de Edgar Wright, avec Simon Pegg, Nick Frost

La sélection Cinéma de Lyon Capitale

Azul

De Daniel Sanchez Arevalo
Avec Quim Gutierrez, Marta Etura, Antonio de la Torre...
Espagne - 1h45

L'histoire : Jorge, jeune diplômé dans la finance, a repris le travail de concierge de son père impotent dont il s'occupe aussi à plein temps. Son frère sorti de prison lui demande de mettre enceinte sa petite amie qui est restée au trou et Israel son meilleur ami surprend le manège d'un masseur pervers...

Grâce à Azul on va pouvoir arrêter de dire que les films sur les tourments des trentenaires sont crétins et ennuyeux. Le premier long de Daniel Sanchez Arevalo est une histoire de questionnements sereine toute teintée de clair et surtout d'obscur comme le titre original le suggère Azul oscura casi negro (bleu marine presque noir). Se bâtir en bleu de travail ou en costume, finir en couche confiance ou gardien d'immeuble, se contenter d'un massage cochon, d'un CDD de trois mois ou d'un enfant en prison. Avec des situations à la fois très réelles et très cinématographiques, le film raconte le blues d'un héros, de sa famille, des ses amis et plus généralement d'une génération qui doit accepter de ne pas avoir le choix.
Pour couronner ce parfum de mélancolie, Azul est filmé très intelligemment dans la périphérie d'un Madrid sans âme mais en pleine modernisation... Et là où n'importe quel cinéaste pragmatique aurait confit ce quotidien de misérabilisme et de pathos, Arevalo croise les destins avec une folie toute latine et nous berce d'un pessimisme réjouissant parce que si tu rates ton but ce n'est pas un drame. L'exercice de la comédie fataliste est réussi et on se rappelle même avec une triste joie Le roman d'un jeune homme pauvre d'Ettore Scola. Azul est beau parce qu'il est vrai et qu'il parvient même à célébrer le renoncement aux rêves. Morale de ce film franchement poétique : il y a des murs qu'il ne vaut mieux pas franchir.

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