Jean-Michel Aulas et Grégory Doucet
Jean-Michel Aulas et Grégory Doucet©PHOTOPQR/LE PROGRES/StÈphane GUIOCHON

A Lyon, la politique du sourire narquois

Edito. L'ironie et le cynisme ont remplacé le débat de fond dans la vie politique, notamment lors de la campagne municipale lyonnaise qui privilégie les polémiques aux programmes.

“La police blesse et tue”, “Non à l’État policier”. Dans la nuit du 6 décembre, au beau milieu de la Fête des lumières, des messages anti-police ont été projetés sur la façade du palais Saint-Pierre. L’affaire s’est instantanément transformée en tribunal médiatique où chacun était sommé de choisir son camp. Condamnez-vous ? Voilà l’unique question qui résonnait. Peu importe le fond, l’essentiel est de savoir qui condamne et qui ne condamne pas.

Ce mécanisme révèle quelque chose de profond. Nous vivons dans une société où la nuance a disparu, où tout se réduit à un affrontement binaire. Éric-Emmanuel Schmitt, dans un entretien à Lyon Capitale, livre une formule frappante : “Je crois davantage aux vertus du murmure qu’à celles du cri.” L’écrivain philosophe défend la complexité dans un monde qui la refuse. Mais au-delà du cri, il existe une autre forme de fuite, celle de l’ironie généralisée qui gangrène notre rapport au réel et nos propres rapports.

L’ironie est devenue le mode d’expression dominant. Dans les médias, en politique, sur les réseaux sociaux, partout règne le second degré. Cette dérive s’incarne dans l’infotainment, ce genre hybride qui malmène l’information en la soumettant aux codes du divertissement. Des émissions comme “Quotidien” découpent la politique en séquences courtes, privilégient le clash, transforment le débat en spectacle où il faut rire plutôt que comprendre. L’analyse cède la place au commentaire ironique, la complexité à la caricature.

À Lyon, tous les candidats à la mairie jouent ce jeu. La campagne s’est construite sur des fake news (les huit cents vélos électriques disparus pour ne prendre qu’un exemple), sur de petites phrases assassines (la querelle des “vrais Lyonnais” déclenchée par Jean-Michel Aulas et Fabien Bagnon), sur des accusations croisées (les écologistes tracent des parallèles entre Aulas et le RN, voire plus, la droite soupçonne les écologistes de complaisance avec l’ultra gauche). Jean-Michel Aulas capitalise sur sa notoriété, en évitant la confrontation programmatique. Les écologistes accusent “la droite dure de vouloir mettre la main sur Lyon”. Chaque camp a ses propres armes dans cette guerre de communication où l’ironie sert de bouclier.

Car l’ironie est devenue une arme politique. Elle permet de disqualifier l’adversaire sans argumenter. Un haussement de sourcils, un petit rire, et voilà une proposition enterrée sans qu’on ait eu besoin de la réfuter.
L’ironiste se croit supérieur : il voit le ridicule là où d’autres voient du sens. Mais cette supériorité n’est qu’une posture vide qui détruit la possibilité même de l’engagement. Éric-Emmanuel Schmitt, qui revendique son optimisme, rappelle que “l’optimiste et le pessimiste font le même constat : ça ne va pas. Le pessimiste ajoute : ce sera pire demain. L’optimiste, lui, retrousse ses manches”.

L’ironiste, lui, ne dit rien. Il observe, commente, ricane. Il ne retrousse pas ses manches car il a peur de paraître naïf. Il préfère la distance confortable de celui qui ne croit en rien. Certes, les candidats font des propositions. Doucet dévoile : garantie des loyers, maisons de santé, mutuelle municipale. Aulas promet sécurité et pragmatisme. Mais ces annonces peinent à émerger dans le brouhaha des polémiques et des sourires entendus.

Comment défendre une cause avec sincérité quand tout énoncé sérieux est immédiatement suspect ? Comment croire en quelque chose quand la croyance elle-même est tournée en dérision ? Cette absence de débat de fond est le symptôme d’une démocratie qui s’épuise dans la surface, dans l’immédiateté, dans l’émotion.

Lyon mérite mieux. La troisième ville de France fait face à des défis considérables : crise du logement, sentiment d’insécurité, finances tendues, transports à repenser. Ces questions exigent du temps, de la nuance, de la confrontation d’idées. Elles méritent autre chose qu’un concours de condamnations et de bons mots.

L’écrivain lyonnais défend “la subversion de la tendresse, la subversion de la gentillesse”. Car, aujourd’hui, affirmer des valeurs positives, parler d’amélioration du monde, croire en quelque chose, tout cela paraît subversif. Il est plus facile d’être cynique et détaché, de se protéger derrière l’ironie que de s’exposer en osant dire ce qu’on pense vraiment.

La responsabilité est collective. Les médias doivent sortir de la logique du divertissement politique. Les candidats, de tous bords, doivent accepter la confrontation sur le fond plutôt que de se complaire dans les postures ironiques. Quant aux citoyens, ils doivent exiger davantage. Il est temps de retrouver le courage du premier degré, d’accepter la vulnérabilité de celui qui dit ce qu’il pense sans filet de sécurité.

Les grands défis de notre temps n’appellent pas de l’ironie mais de la sincérité, de l’engagement, du courage. Le monde a besoin de moins d’ironistes et de plus de gens qui osent croire en quelque chose.

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