Patrick Mehlen, biologiste
Patrick Mehlen est à la tête du Centre de recherche en cancérologie de Lyon

"Notre candidat médicament permet aux traitements existants de fonctionner plus longtemps" s'enthousiasme Patrick Melhen

Patrick Mehlen, directeur du Centre de recherche en cancérologie de Lyon, est l'invité de 6 minutes chrono /Lyon Capitale.

Jusqu'à aujourd'hui, les chimiothérapies et les immunothérapies permettent de "tuer" le gros d'une tumeur. Les thérapies existantes visent à cibler une altération génétique ou à réveiller le système immunitaire. Et s’appliquent donc à des indications tumorales particulières, comme le cancer du sein ou le cancer du poumon. D'ici quelques années, une nouvelle thérapie, venue de Lyon, pourraitpermettre aux thérapies existantes d'être efficaces plus longtemps et donc, in fine, de retarder la récidive. Une avancée majeur qui s'appliquerait à tous les types de cancers.

Le candidat médicament de l'équipe de Patrick Mehlen, directeur du centre de recherche en cancérologie de Lyon qui vient de recevoir le Grand Prix 2025 de la Fondation pour la recherche médicale-, est totalement différent.

Cette thérapie se distingue par son approche novatrice. Contrairement aux méthodes conventionnelles qui visent à détruire les cellules en prolifération rapide, les traitements classiques comme la chimiothérapie ou l'immunothérapie, bien qu'efficaces et rapides, présentent un risque de rechute, parfois foudroyante et mortelle. Pour certains cancers particulièrement agressifs (pancréas, foie, cerveau), l'espérance de vie demeure limitée en raison de leur faible taux de guérison. L'anticorps conçu par l'équipe Mehlen poursuit un objectif différent : cibler les cellules résistantes pour ralentir la récidive. L'enjeu est donc de gagner du temps précieux face à la maladie. Cette approche fait actuellement l'objet de deux essais cliniques distincts.

"Nous travaillons plutôt sur un phénomène qui se retrouve dans tous les cancers : certaines cellules cancéreuses ont tendance à se cacher face aux traitements de masse que sont les chimiothérapies, les radiothérapies et les immunothérapies"

"Nous travaillons plutôt sur un phénomène qui se retrouve dans tous les cancers : certaines cellules cancéreuses ont tendance à se cacher face aux traitements de masse que sont les chimiothérapies, les radiothérapies et les immunothérapies, détaille ce directeur de recherche de classe exceptionnelle au CNRS. Nous avons développé un candidat médicament qui agit contre ce mécanisme de résistance et d’échappement. Les essais cliniques que nous avons conduits récemment, notamment les différents essais de phase 2 menés ces dernières années, sont des essais de combinaison. On associe une chimiothérapie ou une immunothérapie pour éliminer le gros de la tumeur et, en parallèle, on ajoute notre candidat médicament afin d’éliminer ces cellules qui se cachent, de façon à ce que les patients rechutent moins rapidement. ".

De la recherche fondamentale (théorique), l'équipe de Patrick Mehlen est passée à la recherche appliquée. En phase 1 des essais cliniques - qui concerne des patients très malades, atteints de cancers très avancés - l’objectif principal était de tester la toxicité du médicament. Ile ne l'est pas. L'équipe attend désormais les résultats, "très prometteurs", de la phase 2, qui sont des essais de combinaison. C'est-à-dire qu'à une chimiothérapie ou une immunothérapie est associé l'anticorps de l'équipe de Patrick Mehlen afin d'éliminer le gros de la tumeur et, en parallèle, l'équipe complète avec le candidat médicament afin d’éliminer ces cellules qui se cachent, de façon à ce que les patients rechutent moins rapidement.

Le candidat médicament pourrait être mis sur le marché d'ici trois ou cinq ans. "Il est même possible que l’approbation soit plus rapide, se réjouit Patrick Melhen, car les résultats semblent particulièrement prometteurs."

C'est ce travail de toute une vie que la Fondation pour la Recherche Médicale a décidé de récompenser, le 8 décembre dernier. Le travail de toute une vie qui pourrait, à l'avenir, en sauver des dizaines de milliers.

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Tous les 6 minutes chrono sur le sujet :


La retrancription intégrale de l'entretien avec Patrick Mehlen

Bonjour, bienvenue à tous dans ce nouveau rendez-vous de 6 minutes chrono. Nous accueillons aujourd’hui Patrick Mehlen. Vous êtes à la tête du Centre de recherche en cancérologie de Lyon, biologiste cellulaire de formation. Vous avez obtenu, le 8 décembre dernier, le Grand Prix 2025 de la Fondation pour la recherche médicale, qui met en lumière des scientifiques d’exception ouvrant la voie à de nouvelles thérapies. Votre thérapie est un candidat médicament qui serait susceptible, dites-moi si je me trompe, de s’appliquer à deux tiers des cancers du sein et à 60 % des cancers du pancréas. C’est bien cela ?

C’est même plus général que cela. Nous avons mis en évidence un mécanisme de résistance aux traitements, qu’il s’agisse des chimiothérapies ou des immunothérapies. Le candidat médicament que nous avons mis au point permet à ces chimiothérapies et à ces immunothérapies d’être efficaces plus longtemps, ce qui entraîne moins de rechutes. En réalité, c’est quelque chose qui est valable pour tous les cancers, ou en tout cas pour une grande majorité d’entre eux.

C’est là toute la nouveauté, voire la révolution. En effet, à chaque cancer, lorsque les chercheurs et les médecins mettent sur le marché des médicaments, ils sont souvent très ciblés. Là, vous avez un spectre beaucoup plus large.

C’est exactement cela. Nous sommes sur quelque chose d’assez différent. Les chercheurs et les oncologues ont, au cours des années, développé des thérapies visant à cibler une altération génétique ou à réveiller le système immunitaire. Cela s’applique donc à des indications tumorales particulières, comme le cancer du sein ou le cancer du poumon. Nous travaillons plutôt sur un phénomène qui, malheureusement, se retrouve dans tous les cancers : certaines cellules cancéreuses ont tendance à se cacher face aux traitements de masse que sont les chimiothérapies, les radiothérapies et les immunothérapies. Il existe un mécanisme commun à ce phénomène. C’est ce que nous avons étudié. Nous avons développé un candidat médicament qui agit contre ce mécanisme de résistance et d’échappement. Les essais cliniques que nous avons conduits récemment, notamment les différents essais de phase 2 menés ces dernières années, sont des essais de combinaison. On associe une chimiothérapie ou une immunothérapie pour éliminer le gros de la tumeur et, en parallèle, on ajoute notre candidat médicament afin d’éliminer ces cellules qui se cachent, de façon à ce que les patients rechutent moins rapidement.

Vous parliez d’essais cliniques de phase 2. Rappelez-nous le processus, qui est extrêmement long et très exigeant.

Effectivement, c’est un processus long. C’est le temps de la recherche, qui est parfois difficile à comprendre pour le grand public. Ce temps est incompressible mais essentiel pour faire mûrir les projets. Cela commence par ce que l’on appelle la recherche fondamentale translationnelle, qui se déroule dans nos laboratoires. Ensuite, lorsque l’on a identifié un candidat médicament, on le teste dans des essais cliniques. On débute par une phase 1. En oncologie, la phase 1 concerne des patients très malades, atteints de cancers très avancés. L’objectif principal est de tester la toxicité du médicament. On observe également son activité, mais on vérifie surtout qu’il n’est pas toxique. Cette étape a été réalisée il y a quelques années et a donné lieu à des publications montrant que notre candidat médicament n’était pas toxique. Nous avons également démontré son mode d’action, à savoir l’élimination des cellules qui se cachent face aux chimiothérapies et aux immunothérapies. La suite a été la phase 2, avec des essais plus larges. Environ 300 patients ont été traités sur l’ensemble du territoire français. Nous avons combiné notre anticorps, notre candidat médicament, avec des chimiothérapies et des immunothérapies, dans différentes indications tumorales. C’est la phase 2. Si les résultats sont positifs, on passe ensuite à la phase 3, qui est l’essai juste avant la mise sur le marché, c’est-à-dire la possibilité de retrouver le traitement dans toutes les pharmacies hospitalières du monde.

Au départ de vos travaux, vous vouliez comprendre pourquoi certaines cellules ne mouraient pas. Votre obsession était une protéine appelée, pour le dire simplement, Nanétrine 1.

À l’époque, c’était une idée qui paraissait farfelue, et peu de personnes y croyaient. Cette protéine était essentiellement étudiée dans le cadre du développement embryonnaire. Le point de départ a été de comprendre pourquoi, au cours du développement embryonnaire, à la surface de nos cellules, se trouvent des récepteurs, sortes de sentinelles capables de percevoir l’environnement autour de la cellule. Ces récepteurs sont capables de détecter la Nanétrine 1, une molécule produite par d’autres cellules. Nous avions montré, il y a longtemps, que cette protéine était capable de bloquer le processus de mort cellulaire. Lorsque la Nanétrine 1 est présente autour de la cellule, celle-ci ne meurt pas. Nous avons utilisé cette observation issue du développement embryonnaire pour faire le lien avec les cellules cancéreuses, qui refusent également de mourir, un phénomène connu depuis longtemps. Nous avons donc cherché à développer un candidat médicament capable de bloquer la Nanétrine 1 afin de réinduire la mort des cellules cancéreuses. C’est le point de départ. Avec le temps, nous nous sommes rendu compte que ce traitement ciblait plus spécifiquement les cellules qui se cachent. Ce sont des cellules qui prolifèrent peu et qui ne sont pas sensibles aux chimiothérapies, lesquelles ciblent principalement les cellules à forte prolifération.

Ce sera ma dernière question. Si votre candidat médicament fonctionne, quand peut-on imaginer une mise sur le marché ?

On peut l’estimer entre 3 et 5 ans. C’est l’objectif que nous nous sommes fixé. Il est même possible que l’approbation soit plus rapide, car les résultats semblent particulièrement prometteurs.

En tout cas, bravo pour l’ensemble de ces recherches. Patrick Mehlen, vous aviez déjà été reçu en 2007 à Lyon Capitale, et vous aviez été élu Lyonnais de l’année. Il aura donc fallu 18 ans et plusieurs dizaines de millions d’euros pour que ces recherches aboutissent. Merci beaucoup. Je vous souhaite une très bonne journée. À très bientôt. Au revoir.

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