Guillaume Mithieux, de La Maison des beaujolais, est l'invité de 6 minutes chrono / Lyon Capitale.
Top. Je suis un vin dont l’existence officielle remonte à un décret de 1951.
Issu d’un cépage à peau noire mais à jus blanc, je ne connais qu’une méthode de vinification rapide.
Mon aire de jeu s’étend sur 12 500 hectares entre Mâcon et Lyon.
J’ai longtemps été exporté plus vite que consommé localement.
On m’a reproché mes arômes "fermentaires", attribués aux levures utilisées dans les années 70-80.
Les vignerons m’ont pourtant réhabilité en misant sur la qualité, les petits rendements et la concentration des baies.
On me fête partout dans le monde, parfois à la minute près, lorsque sonne le début de ma commercialisation.
Je suis un miroir précoce du millésime, mais aussi un marqueur culturel du vignoble auquel j’appartiens.
Je suis, je suis... Le beaujolais nouveau.

Levures "banane", fin d'un mythe
Chaque année, le troisième jeudi de novembre (jeudi 20 novembre cette année 2025,) à l’arrivée des beaujolais nouveaux, le même clivage ressurgit : les sceptiques dégainent leurs arguments, les défenseurs montent aussitôt au front. Une joute devenue presque aussi traditionnelle que le vin lui-même. Et si tout cela relève, au fond, d’une affaire de goût, il n’empêche que bon nombre de critiques datent d’une époque où les vignerons produisaient trop, et où le style du vin n’avait pas grand-chose à voir avec celui d’aujourd’hui.
"C'était une levure qui accélérait la vinification, donc le processus pour fabriquer le vin. Aujourd'hui, les vignerons ont complètement abandonné cela. Il n'existe presque plus ce goût de banane ou de fraise dans les vins, et heureusement." explique Guillaume Mithieux, responsable du caveau et bar à vins La Maison des Beaujolais, à Belleville-sur-Saône.
C'était une époque où le vignoble produisait trop, ce qui aboutissait à un vin moins structuré. Il fallait donc rajouter du sucre et des levures . "Aujourd'hui, on produit moins, donc les volumes sont moins grands. Il y a plus de concentration dans les baies, plus de concentration dans le vin, et il y a moins besoin d'ajouter des choses."
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"Dans la mélancolie de l'automne, une envie de fête populaire"
Le beaujolais nouveau est un vin de partage et de fête.
Comme l'écrit Bernard Pivot dans son Dictionnaire amoureux du vin (Plon), "Novembre est le mois le plus triste de l'année. temps froid, mouillé, venteux. le 1er ou le 2, on a visité les cimetières. Le 11, on célèbre la victoire de millions de morts. il y a toujours des grèves. Noël paraît encore loin. On s'ennuie. On a le moral dans les chaussettes. Et voilà que, le troisième jeudi, débule un vin gai, hardi, aux joues rouges, à la bouche de printemps, qu'on déguste moins qu'on ne le lampe comme un élixir de jeunesse et de bonne humeur. Dans la mélancolie de l'automne, une envie de fête populaire s'exprime à travers le beaujolais nouveau."
Si le beaujolais nouveau est bu et fêté depuis novembre 1951 (date de la première mise en commercialisation des beaujolais nouveaux, avec une mise sur le marché mondial), c'est un décret de 1985 qui a véritablement fixé la date de leur mise à la consommation au 3e jeudi de novembre.
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La retranscription intégrale de l'entretien avec Guillaume Mithieux
Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouveau rendez-vous de 6 minutes chrono. Nous accueillons aujourd'hui Guillaume Mithieu.
Bonjour Guillaume.
Guillaume Mithieu, vous êtes directeur de la Maison des Beaujolais à Bellevillesur-Saône, un restaurant qui fait la promotion du Beaujolais de manière générale. Mais là, on va s'intéresser particulièrement aux Beaujolais nouveaux, je dis bien les Beaujolais nouveaux, qui sortent depuis à peu près 70 ans, tous les troisièmes jeudis de novembre. C'est le premier primeur qui arrive, les Beaujolais nouveaux. Il y a beaucoup de gens qui pensent encore que le Beaujolais nouveau, c'est un vin marketing. Comment vous répondez à cette critique, et en quoi ce primeur dit quelque chose du millésime et du savoir-faire Beaujolais ?
On a fait des bêtises dans le Beaujolais, un petit peu avec ce vin qui était facile à vendre. On a fait du nouveau d'abord et on n'a pas fait du vin pendant longtemps. Il y a eu une vraie prise de conscience dans les années 2000-2010. Les gens consomment moins, les gens consomment mieux, et les vignerons aujourd'hui refont d'abord du vin, et après c'est du Beaujolais nouveau. C'est vraiment les prémices du millésime qui arrivent sur un vin plaisir, mais c'est d'abord du vin.
C'est d'abord du vin, c'est ce qu'on disait. Il y a des Beaujolais nouveaux, il n'y a pas un Beaujolais nouveau, parce qu'il y a autant de Beaujolais que de viticulteurs.
Il y a autant de Beaujolais nouveaux que de viticulteurs, et il y en a même un peu plus parce qu'aujourd'hui il y a des vignerons qui font plusieurs cuvées. Ils vont faire une cuvée un peu plus sur le fruit et une cuvée un peu plus travaillée, avec plus de profondeur et un peu plus de structure. Donc oui, il y en a même plus que de vignerons.
Qu'est-ce que vous diriez de manière générale sur le Beaujolais nouveau ? On parlait justement de fruit. C'est un vin très croquant, très sur le fruit. Comment le définiriez-vous globalement ?
C'est vraiment pour moi le vin plaisir à partager. La bouteille de Beaujolais nouveau, c'est oui, le troisième jeudi de novembre, le week-end du troisième jeudi de novembre à partager avec des copains, mais vous pouvez aussi le garder. C'est un vin qui ne va pas avoir trop de structure et qui peut être gourmand à l'automne, mais qui pourra aussi se garder, parce qu'aujourd'hui, comme c'est redevenu d'abord du vin, vous pouvez le boire l'été suivant, un peu frais, sur un barbecue.
Oui, c'est ça, donc on peut le garder. On pourrait le garder six ou sept mois…
On peut même le garder plusieurs années. On a fait récemment une dégustation sur des vieux millésimes de vins nouveaux jusque dans les années 2000, et en fait, comme c'est bien travaillé, c'est d'abord du vin, ça a cette capacité à vieillir.
Je vous en parle parce que ça a été le mot pour les mauvaises langues, les langues de vipères, qui disaient qu'il y avait ce cliché du vin qui avait le goût de banane. On l'a entendu des années et des années. La communication aujourd'hui, c'est d'oublier cette histoire de goût de banane. Déjà, ce goût de banane, on va faire un petit point sur d'où il venait, puis vous allez me parler du style des Beaujolais et de son évolution.
Le goût de banane et le goût de fraise : il n'y avait aucun suspense sur la présence d'un goût de banane ou de fraise dans une bouteille, parce que c'est la levure qui était utilisée. Le vigneron mettait une levure chimique à l'intérieur pour donner ce goût de banane ou de fraise. C'était une levure qui accélérait la vinification, donc le processus pour fabriquer le vin. Aujourd'hui, les vignerons ont complètement abandonné cela. Il n'existe presque plus ce goût de banane ou de fraise dans les vins, et heureusement.
Et pourquoi mettait-on de la levure à l'époque, et pourquoi n'en met-on plus maintenant ?
Le Gamay, c'est un cépage capable de beaucoup produire. Plus vous produisez, moins il y a de structure, et moins il y a de levures présentes dans le fruit à la base. Donc vous étiez obligés de rajouter du sucre et des levures pour aider le vin à se faire. Aujourd'hui, on produit moins, donc les volumes sont moins grands. Il y a plus de concentration dans les baies, plus de concentration dans le vin, et il y a moins besoin d'ajouter des choses.
C'est bien d'en parler. Alors, comment selon vous le style des Beaujolais a-t-il évolué ces dernières années ?
Pour moi, on est vraiment revenu sur du vin d'abord. Les vignerons cherchent d'abord à faire du vin, un vin gourmand, plaisir. Il n'y a pas trop de tannins, pas trop de structure, ça pulse en fruits. Mais on a retrouvé un peu de structure dans les Beaujolais nouveaux. Cela s'explique par le fait que les vignerons ramassent moins en volume, donc ils font moins "pisser" la vigne. Je suis désolé du terme, mais en réduisant les volumes, il y a plus de concentration dans le vin. Cela donne des choses qui se tiennent mieux, et ça fait du bon vin.
Chaque année, les volumes et la qualité évoluent en fonction de la météo. À quel millésime faut-il s'attendre cette année ?
On est sur un millésime qui s'est plutôt bien passé en termes de qualité. Les volumes ne sont pas top : au moment de la fleur, on n'a pas eu le temps qu'il fallait. On a eu de la pluie, ce qui a fait couler la fleur. Les fleurs n'ont pas été fécondées, donc il y a moins de baies au final. Mais on a un millésime top en qualité. On a eu un joli été, un peu de pluie avant la fin de l'été. On a vraiment un joli millésime.
Donc il y aura moins de volume, mais un millésime assez structuré, avec une jolie qualité. On en revient un peu au Beaujolais nouveau : c'est un rendez-vous extrêmement populaire depuis près de 70 ans. On a parlé du fait qu'on avait trop produit, qu'il y avait eu une sorte de désamour, mais il y a malgré tout une fidélité du public, surtout parisien pendant des années. Comment expliquez-vous cette fidélité au Beaujolais nouveau ?
Le Beaujolais nouveau, c'est le partage entre amis. Plus que le Beaujolais nouveau lui-même, car on a effectivement fait des bêtises pendant des années, les gens aiment ce moment de partage. C'est l'occasion de se retrouver avec des amis. Vous ne buvez pas votre bouteille de Beaujolais nouveau tout seul dans le salon. Vous invitez des amis, vous préparez une planche de charcuterie, et vous dégustez le Beaujolais nouveau autour de cette planche.
