Difficile d’imaginer, a priori, une possible adaptation en BD de l’essai historique de Johann Chapoutot, Libres d’obéir. L’historien spécialiste du nazisme y expliquait ce que le management moderne, devenu la religion incontournable du monde de l’entreprise et même aujourd’hui de l’administration publique, devait à l’organisation nazie. Et notamment à un homme, Reinhard Höhn.

S’appuyant sur la parfaite compatibilité de l’idéologie nazie avec le capitalisme (rejet de la lutte des classes, haine de l’État, autant de choses qui ont permis l’accession des nazis au pouvoir avec la complicité du patronat allemand, comme le détaille le même Chapoutot dans son dernier livre, Les Irresponsables), c’est Reinhard Höhn qui met en place l’organisation du travail et de l’économie du Reich. Avant de fonder, après-guerre, une école de… management.
Au cœur de la thèse de Chapoutot, il y a l’apport par Höhn de l’illusion que les travailleurs ont la liberté d’obéir aux ordres, et, de fait, leur impuissance à se rebeller contre eux-mêmes et à se libérer d’une aliénation à demi consentie.
Et un management moderne dans lequel on retrouve toute l’architecture et les (mauvaises) manières de l’organisation höhnienne. Dans l’adaptation BD commise par le Québécois Philippe Girard (qui a œuvré sur Leonard Cohen ou Saint-Exupéry), s’ajoute une touche contemporaine et fictionnelle avec le personnage de Florence, perdue dans son quotidien en entreprise et étouffée par le poids du management sauvage. Twist qui permet de rendre la problématique de l’essai historique plus vivante et moins didactique.
On pourra donc, par “légèreté”, si on ose dire, préférer la BD. Il convient en réalité de lire les deux pour se faire une idée de cette théorie glaçante.
Libres d’obéir – Johann Chapoutot et Philippe Girard, Casterman, 136 p.,
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