Thomas Huchon, journaliste, réalisateur, enseignant, spécialiste de la lutte contre les infox, les fake news et les théories complotistes, est l'invité de 6 minutes chrono / Lyon Capitale.
"Personne n’est prémuni contre les fake news. On est tous victimes de nos propres préjugés, et c’est ce qui nourrit l’adhésion aux théories complotistes."
Depuis le début d'année, la France est confrontée à une campagne de désinformation d’une ampleur inédite, portée par des réseaux pro-russes. Ces opérations mobilisent tout l’arsenal désormais bien connu : vidéos truquées, faux sites d’information, contenus sponsorisés depuis l’étranger, ou encore diffusion automatisée sur les réseaux sociaux. Avec trois objectifs principaux : fragiliser la cohésion nationale, accentuer la polarisation de la société française et réduire le soutien à l’Ukraine.
Outre-Atlantique, Donald Trump, convaincu, au même titre que son ministre de la Santé, qu’il existe une "épidémie d’autisme" aux États-Unis, a récemment multiplié les conseils hasardeux et dangereux, notamment l'usage de paracétamol qui, pris par les femmes enceintes, augmenterait le risque d'autisme pour les enfants.
En Moldavie, ex-république soviétique frontalière de l'Ukraine et candidate pour intégrer l'Union européenne, les tentatives d'ingérence de Moscou - selon les autorités -, ont entaché la dernière campagne des élections législatives, de quoi risquer de remettre en cause son chemin vers une adhésion à l'Union européenne.
"Le vrai problème des théories du complot, ce n’est pas seulement qu’elles mentent. C’est qu’elles empêchent de faire société, en instaurant la méfiance généralisée."
Pas un jour, ou presque, ne passe sans son lot de fausses informations et de désinformation, vice de notre paysage médiatique à l'heure du numérique.
Dans le cadre des Amphis de la réserve citoyenne de Lyon, organisés par la réserve citoyenne dépendant du Gouverneur militaire de Lyon, le journaliste, auteur, réalisateur de documentaire et enseignant Thomas Huchon donnera une conférence sur le thème de la résistance aux fake news.
Reconnu depuis une dizaine d'années comme l'un des spécialistes français de la lutte contre la désinformation et les théories du complot, Thomas Huchon explique qu' "on est tous un peu victimes de nos propres préjugés, de nos propres croyances, et ces éléments-là sont un carburant pour l’adhésion aux fake news. En fonction de ce qu’on croit déjà, en fonction de nos opinions, certaines théories du complot vont être plus séduisantes et peuvent représenter des pièges pour nos cerveaux, suffisamment puissants pour que tout le monde puisse se faire avoir. Personne n’est prémuni de principe contre les fake news."
"Si vous pensez qu’on n’est jamais allé sur la Lune ou que la Terre est plate, vous pensez aussi qu’on vous ment sur ce sujet et qu’il existe une organisation pour vous manipuler. C’est une autre vision du monde, paranoïaque : si on peut vous mentir là-dessus, on peut vous mentir sur tout."
Qu’est-ce qu’il y a de grave à ce que les gens pensent que l’homme n’est jamais allé sur la Lune ? "En réalité, si les gens pensaient simplement qu’on n’est jamais allé sur la Lune, ou comme on l’a entendu récemment que le Doliprane pris par des femmes enceintes rendrait les enfants autistes, ce serait problématique mais pas forcément très grave. Le problème des théories du complot, c’est qu’il y a toujours quelque chose de sous-jacent. Si vous pensez qu’on n’est jamais allé sur la Lune ou que la Terre est plate, vous pensez aussi qu’on vous ment sur ce sujet et qu’il existe une organisation pour vous manipuler. C’est une autre vision du monde, paranoïaque : si on peut vous mentir là-dessus, on peut vous mentir sur tout." Et d'ajouter : "ces mensonges ne posent pas seulement problème parce qu’ils ne disent pas la vérité, mais surtout parce qu’ils nous empêchent de vivre ensemble. Si vous êtes persuadé que tout le monde vous ment et vous manipule, cela ronge la confiance. Comment voulez-vous faire société ? C’est ça le vrai enjeu, et il va devenir de plus en plus prégnant dans les sociétés démocratiques."
Résister aux fake news, conférence de Thomas Huchon dans le cadre des Amphis de la réserve citoyenne de Lyon, 5e édition. Mercredi 8 octobre, de 18h30 à 20h - Cercle Général Frère - 22 avenue Leclerc - Lyon 7e.
Thomas Huchon dédicacera ses derniers ouvrages à partir de 17h45, Anti fake news et Résister aux fake news (éditions First).
Vente sur place par la librairie La Procure.
La retranscription intégrale de l'entretien avec Thomas Huchon
Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouveau rendez-vous de 6 minutes chrono. Nous accueillons aujourd'hui en visio Thomas Huchon, bonjour !
Bonjour !
Thomas Huchon, vous êtes journaliste, réalisateur, enseignant, spécialiste de la lutte contre les infox, les fake news et les théories complotistes. Vous avez sorti récemment deux livres, le dernier s’intitule Résister face aux fake news et puis un livre un peu plus ancien Anti fake news. Vous allez être à Lyon mercredi 8 octobre prochain dans le cadre de la 5e édition des Amphis de la Réserve citoyenne de Lyon, justement pour parler de cette résistance aux fake news. On résiste aux fake news ? Première question : est-ce que finalement les fake news concernent tout le monde ?
On a tous une impression un peu bizarre sur les fake news. On a conscience qu’il y en a, qu’elles sont autour de nous, et on a l’illusion que ça ne nous concerne pas vraiment. Cela concernerait toujours un peu notre voisin parce que nous, bien sûr, on sait vérifier une information et on ne peut pas se faire avoir par un mensonge. La réalité est beaucoup plus complexe. En fait, on est tous un peu victimes de nos propres préjugés, de nos propres croyances, et ces éléments-là sont un carburant pour l’adhésion aux fake news. En fonction de ce qu’on croit déjà, en fonction de nos opinions, certaines théories du complot vont être plus séduisantes et peuvent représenter des pièges pour nos cerveaux, suffisamment puissants pour que tout le monde puisse se faire avoir. Personne n’est prémuni de principe contre les fake news.
Il n’y aurait pas, c’était ma seconde question, une catégorie socio-professionnelle qui serait plus ou moins encline à croire aux fake news ?
Alors, une catégorie se distingue : les personnes qui ont réalisé plus de sept années d’études. Elles se retrouvent largement prémunies des théories du complot, car l’exposition répétée à la méthodologie scientifique lors de longues études fait que la structure narrative des fake news paraît un peu bancale. On est donc plus à même de s’en protéger. Mais cela ne veut pas dire que tous ceux qui ont fait de grandes études sont protégés d’office. Regardez par exemple certains grands professeurs de médecine marseillais, qui sont malheureusement tombés dedans alors qu’ils auraient dû en être protégés.
Exactement. Alors, c’est un peu le titre de votre livre qui se veut un petit manuel de résistance quotidienne face aux fake news. Comment résister ? Parce qu’aujourd’hui, plus on va sur le numérique, plus on a le risque d’être soumis à de la désinformation. Donc comment on résiste ? Comment on lutte ?
Un peu comme ce que l’on disait à l’instant. Finalement, les fake news, c’est un peu notre faute à nous. Nous sommes ceux qui allons commencer à y croire. Comme nous sommes une partie du problème, il faut se protéger. Comment ? D’abord en se protégeant de nos propres préjugés, de ce qu’on a envie de croire. C’est la première étape. La deuxième, c’est que lorsqu’on est confronté à une information, il faut prendre un peu de temps. Pas forcément pour la vérifier tout de suite, mais au moins pour y réfléchir. Cela serait déjà pas mal. Se demander : « Est-ce vraiment crédible ? » Comme par exemple cette image du pape avec une doudoune blanche ou un drapeau LGBT.
Il y a aussi un piège dans l’immédiateté de ce qui circule sur les réseaux sociaux. Plus les choses vont vite, plus on peut se faire avoir. Donc il faut remettre du temps, retrouver des conversations comme nous le faisons ici, plutôt que des débats enflammés où personne ne s’écoute et personne ne se respecte. On a besoin de ça : des conversations plus sereines que ce que nous offrent les réseaux sociaux. On nous avait dit qu’ils allaient nous rapprocher, en réalité ils divisent plutôt la société.
Finalement, je vous pose une question forcément un peu naïve, un peu provocatrice : qu’est-ce qu’il y a de grave à ce que les gens pensent que l’homme n’est jamais allé sur la Lune ?
En réalité, si les gens pensaient simplement qu’on n’est jamais allé sur la Lune, ou comme on l’a entendu récemment que le Doliprane pris par des femmes enceintes rendrait les enfants autistes, ce serait problématique mais pas forcément très grave. Le problème des théories du complot, c’est qu’il y a toujours quelque chose de sous-jacent. Si vous pensez qu’on n’est jamais allé sur la Lune ou que la Terre est plate, vous pensez aussi qu’on vous ment sur ce sujet et qu’il existe une organisation pour vous manipuler. C’est une autre vision du monde, paranoïaque : si on peut vous mentir là-dessus, on peut vous mentir sur tout.
Ces mensonges ne posent pas seulement problème parce qu’ils ne disent pas la vérité, mais surtout parce qu’ils nous empêchent de vivre ensemble. Si vous êtes persuadé que tout le monde vous ment et vous manipule, cela ronge la confiance. Comment voulez-vous faire société ? C’est ça le vrai enjeu, et il va devenir de plus en plus prégnant dans les sociétés démocratiques.
Oui. Alors l’émission touche à sa fin, en tout cas c’est passionnant. On vous reverra bientôt, je vous l’annonce, Thomas Huchon, dans Lyon Capitale. Votre conférence se tiendra à Lyon, au Cercle Général Frères, mercredi 8 octobre dans le cadre de la 5e édition des Amphis de la Réserve citoyenne de Lyon. Allez-y, parce que c’est un sujet, comme vous le disiez, qui nous concerne tous, qui est passionnant et aussi inquiétant. Merci Thomas Huchon d’avoir participé.
Merci à vous.
Et je vous dis à très bientôt. Au revoir. Merci à tous.
Avec les tehnniques audio-vidéo numériques, on pourra toujours vous dire que c'est vrai et ce sera faux. Bienvenue dans le pire des mondes d'Aldous Huxley !