Sensibilisation à l’hygiène pour les jeunes filles au Yemen – © Triangle GH

Effondrement des financements publics : les ONG lyonnaises sonnent l'alarme

Alors que les crises humanitaires se multiplient dans le monde, les fonds alloués à l'Aide Publique au Développement (APD) sont en première ligne des coupes budgétaires. Un désengagement mondial aux lourdes conséquences pour les ONG lyonnaises comme Triangle Génération Humanitaire.

L'onde de choc Trump : acte du désengagement mondial

Les premières semaines du mandat de Donald Trump sont marquées par le démantèlement de l’USAID, principal organe d’aide humanitaire des États-Unis. Dès lors, l’Amérique s’est retirée du rôle qu’elle avait revendiqué pendant des décennies : celui de premier bailleur humanitaire mondial. C'était en effet, 45% des financements publics mondiaux qui provenaient du "gendarme du monde". 

Il semble bien que l’Europe s’inscrive dans cette même lancée. En 2025, la France annonce à son tour une baisse de 2,1 milliards d’euros de son APD (37 %). L’Allemagne coupe elle aussi plus de deux milliards. Alors que l’Union européenne en sabre 35 %. 

Cela remet en cause l’objectif fixé par la communauté internationale de consacrer 0,7 % du PIB à la solidarité internationale. En France, cet objectif est inscrit dans la loi depuis 2021. Cependant, il n’est pas atteint et stagne autour de 0,5 %, et la moyenne de l’OCDE plafonne à 0,33 %. Seuls cinq pays dans le monde respectent aujourd’hui cet engagement : la Suède, la Norvège, le Danemark, le Luxembourg et l’Allemagne. 

Une ONG lyonnaise impactée : Triangle Génération Humanitaire

Pour mesurer concrètement les effets de ces coupes budgétaires, Lyon Capitale s’est rapproché de Triangle Génération Humanitaire (TGH). Une ONG lyonnaise emblématique dont Stanislas Bonnet est à la tête. 

Créée il y a plus de 30 ans, TGH intervient aujourd’hui dans 13 pays en situation de crise ou de sortie de conflit notamment la Syrie ou l’Ukraine. L'ONG développe une approche humanitaire à différents niveaux. D'abord sur des besoins primaires : accès à l'alimentation et aux services touchant à l'hygiène et l'assainissement. Puis des besoins comme l'éducation qui sont fondamentaux pour assurer une bonne reconstruction des pays en crise ou en développement.

Comme une majorité des ONG, TGH est subventionnée par des fonds publics et ne fait pas appel aux dons. Selon eux, “la solidarité internationale est une responsabilité publique, pas une option philanthropique”. Mais ce modèle présente ses limites avec la réduction de la part dédiée à l’APD dans les lois de finances. En un an, l’ONG a vu son budget passer de 32 à 24 millions d’euros, soit une baisse de 25 %. 

Conséquences sur le terrain et à Lyon 

Cela n’est pas sans répercussions pour les programmes sur le terrain. En Syrie, où TGH intervient depuis 2018, “les programmes éducatifs et d’accès à l’eau sont aujourd’hui menacés d’interruption dès le mois de septembre”. 

Les conséquences sont aussi visibles à Lyon même. Le siège de TGH, qui emploie une trentaine de personnes, a gelé tous ses recrutements. Quatre postes ont été supprimés. “Ce n’est pas un ajustement ponctuel, c’est une restructuration forcée. Perdre un quart de notre budget en un an, c’est devoir choisir qui aider et qui abandonner”, déclare Stanislas Bonnet. 

De plus, l'organisme emploie près de 600 salariés locaux dans les pays d’intervention. Ces professionnels locaux sont des enseignants, médecins, logisticiens et jouent un rôle essentiel dans la mise en œuvre des programmes. Quand TGH retire ou réduit ses missions sur certains terrains, l’ONG fragilise tout le maillage opérationnel local. Elle expose ainsi les équipes à des suppressions de contrats, à l’incertitude professionnelle et au risque de perdre leur emploi.

Réhabilitation de puit dans le camp de réfugiés de Korsi en Vakaga, République centrafricaine - © Triangle GH

La tribune collective des ONG lyonnaises pour une solidarité réinventée

Face aux problèmes budgétaires, 11 organisations humanitaires implantées à Lyon, signent une tribune pour appeler à un sursaut politique. Parmi lesquelles Triangle Génération Humanitaire, Handicap International, ou encore Forum Réfugiés. 

Dans cette tribune adressée aux élus locaux, les signataires réclament que le gouvernement ne baisse pas la part allouée à l’Aide Publique au Développement dans le budget 2026. 40 milliards d’euros d’économies dans le budget 2026 seraient prévus et l'APD pourrait se retrouver en première ligne. La tribune évoque des solutions fiscales : elle plaide notamment pour un renforcement des taxes dites "solidaires", comme celles sur la finance ou l’aviation. La loi de finances 2025 a bien relevé la taxe sur l'aviation à 7,40 euros pour les vols intra-européens (2,60 auparavant) . Mais cette hausse reste inférieure à ce qui se pratique au Royaume-Uni ou en Allemagne, où les recettes générées sont plus élevées. 

Projet de loi de finances pour 2025 : Aide publique au développement

Les ONG mettent en avant le soutien citoyen à la solidarité internationale qui semble demeurer. Selon un sondage Harris cité par Stanislas Bonnet, deux Français sur trois se disent favorables à l’aide internationale financée publiquement. Ce qui peut montrer que les français ne semblent pas en phase avec les coupes budgétaires dans l'aide humanitaire publique. 

Des discussions sont prévues avec des élus locaux Les Écologistes et Renaissance. D'autres ont déjà été organisées auprès du Ministère de l'Économie, du Ministre délégué de la Francophonie, et avec le Ministère de l'Europe et des Affaires Étrangères. 

Plateforme logistique en Ukraine - © Handicap International

Comment avancent les discussions avec les parlementaires ?

Christophe Chauveau, directeur général d'Agronomes & Vétérinaires Sans Frontières (AVSF), sort assez pessimiste sur les potentielles avancées. Les discussions se sont organisées avec "Coordination Sud", un rassemblement de "170 ONG françaises de solidarité internationale". Pour le directeur, "les retours de ses entretiens sont mauvais et contredisent toutes les annonces politiques faites par le Premier Ministre dans son discours de politique générale, le président et les ministres". 

En effet, serait donc prévu une "année blanche" pour l'APD c'est à dire ; "au mieux aucune augmentation du budget l’APD maintenu au niveau très bas de 2025", selon ses mots. 

Plus optimiste, Stanislas Bonnet rapporte "un très bon accueil" des parlementaires rencontrés. Il souligne qu'ils "se sont montrés intéressés par les enjeux de la solidarité internationale" et soucieux de défendre la position d’influence de la France dans le monde, ainsi que les valeurs européennes portées par l’aide humanitaire". Un intérêt que le directeur général espère les voir défendre lors des débats sur le PLF 2026. 

Une seule piste reste légèrement encourageante : le gouvernement réfléchirait à réaffecter les recettes de la taxe sur les billets d’avion (TSBA) et de la taxe sur les transactions financières (TTF) à l’APD, mais sans engagement chiffré à ce stade.

Distribution de moustiquaires après les inondations au Népal pour éviter la transmission de maladies - © Triangle GH

La fin de l'aide humanitaire publique ? 

Le directeur de TGH exprime son inquiétude quant à l'avenir du modèle des ONG financées par les pouvoirs publics : "Ce modèle garantissait une forme de stabilité". Là ou la philanthropie ou la charité restent intrinsèquement limitées. 

Bill Gates a annoncé, cette année, vouloir verser sa fortune estimée à 200  milliards de dollars à sa fondation, un engagement démesuré à l’échelle individuelle. Et même si considérable, ce montant équivaut à quatre années de financement de l’USAID, avec 50 milliards de budget annuel. Donc, contrairement à l’USAID, ces fonds philanthropiques ne peuvent pas remplacer la régularité d’un système public.

Un désengagement paradoxal ? 

En définitive, ces retraits se produisent alors que les crises humanitaires semblent s’intensifier partout dans le monde. “Ce n’est pas une crise conjoncturelle, mais bien une bascule politique mondiale du désengagement”, alerte le directeur de TGH. 

De cette bascule, chacun tire une conclusion différente : pour certains, si les États-Unis n’aident plus, pourquoi continuer ? Pour d’autres, au contraire, c’est le moment d’agir davantage. 

Sensibilisation à l'hygiène à des enfants vénézuéliens - © M. Campos/Handicap International

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