Claude Allègre : "Hollande n'a aucune intention de réduire la part du nucléaire"

"Je ne veux pas d'un débutant à l'Elysée." Très en verve, Claude Allègre attaque le candidat socialiste dont l'élection provoquerait selon lui une crise aiguë dans le mois qui suivrait son accession à la présidence de la République. Il ne croit pas en sa volonté de réduire l'énergie nucléaire – l'ancien ministre souffle que François Hollande "rencontre actuellement des responsables du commissariat à l'énergie atomique, d'Areva" pour les rassurer.

Lyoncapitale.fr : Pourquoi soutenez-vous Nicolas Sarkozy ?

Claude Allègre : On est dans une période de crise : il faut mettre au pouvoir le plus capable. Je ne veux pas d'un débutant à l'Elysée – François Hollande n'a jamais été ministre. Ce serait un risque considérable.

Aux États-Unis, Obama n'avait pas plus d'expérience...

Ça n'a rien à voir. Aux États-Unis, le président vient toujours du Sénat. Le président américain n'a pas le même pouvoir que le président français. Si François Hollande est élu, on sera dans une crise aiguë dans un mois. Pas dans un an, dans un mois. Ce n'est pas la même situation qu'en 1981 où on a fait les mêmes conneries. Il suffit que la peur des marchés fasse grimper les taux d'intérêt des emprunts français de 2 à 5% pour qu'on soit en banqueroute. Le fait d'avoir fait une déclaration aussi stupide ["mon ennemie, c'est la finance", ndlr] suffit. La finance, ce n'est pas l'ennemie, c'est le moteur. C'est comme si un médecin disait : mon ennemi, c'est le sang. Je suis pour l'union nationale. Pas ad vitam æternam. Juste trois ou quatre ans, le temps de sortir de la crise. La France a besoin de se rassembler comme elle s'est rassemblée à la Libération. Par exemple, le maire de Lyon ferait un très bon ministre. Le maire de Grenoble aussi. Toutes les idées développées à gauche ne sont pas idiotes.

Vous avez voté Bayrou au premier tour alors ?

Bayrou, c'est n'importe quoi. Je l'ai vu faire à l'Éducation nationale, qu'il a donnée aux syndicats, dans une forme de cogestion.

Quelles sont les bonnes idées du programme de Hollande ?

Les emplois jeunes. Je les avais mis en place à l'Éducation nationale. À condition de ne pas en faire des fonctionnaires à vie.

Et celles de Sarkozy ?

Augmenter le salaire des profs au lieu d'augmenter leur nombre. C'est très bien. Le drame de l'Éducation nationale, c'est que le niveau des enseignants est en train de baisser. Surtout chez les hommes. Heureusement, il y a des femmes de qualité.

Que retenez-vous de son quinquennat ?

La réforme des retraites. Rocard voulait la faire mais Mitterrand s'y est opposé. Jospin voulait la faire mais Hollande s'y est opposé. Pourtant, c'était absolument indispensable de la faire. Je retiens aussi le service minimum dans les transports – à Paris c'est, depuis, le jour et la nuit. Les réformes constitutionnelles, comme la limitation du mandat présidentiel à dix ans, le droit d'initiative du Parlement, l'octroi à l'opposition de la présidence de la commission des finances. Mais son grand succès, c'est la gestion de la crise. Il a su convaincre Brown et Merkel de sauver les dépôts bancaires. Ce qui a évité les retraits massifs des Français. Il a redynamisé l'Europe. Il a fait créer le G20.

Hollande propose de réduire la part de l'énergie nucléaire à 50% d'ici à 2025. Qu'en pensez-vous ?

Il n'y connaît rien du tout, il ne sait pas de quoi il parle. Mais je vais vous dire une chose : il n'a aucune intention de le faire. Il rencontre actuellement des responsables du Commissariat à l'énergie atomique, d'Areva et il leur dit qu'il ne le fera pas. C'est aussi démagogique que les 60 000 emplois de plus dans l'Éducation nationale.

C'est-à-dire que, selon vous, il fermera juste Fessenheim ?

Je ne sais même pas s'il fermera Fessenheim…

Mais le nucléaire n'est pas une énergie durable. Il y a la question des déchets, celle de l'uranium qui n'est pas inépuisable…

Les nouvelles centrales vont évoluer. Elles consommeront moins d'uranium, elles feront moins de déchets. Il ne faut pas diminuer la production nucléaire maintenant, nous verrons dans trente ans. Si la filière hydrogène se développe, nous n'en aurons plus besoin. Le programme de François Hollande, c'est le programme du déclin. Le PS était pourtant le parti du progrès et de la science. On ne peut pas être contre tout : contre les OGM, contre le nucléaire, contre les cellules souches, contre les nanotechnologies… Le PS a trahi son idéal.

En 2000, l'agenda de Lisbonne ambitionnait de faire de l'Union européenne l'économie la plus compétitive d'ici à 2010. Notamment en augmentant les budgets recherche et développement. Pourquoi avons-nous échoué ?

C'était un vœu pieux. Quand on ne définit pas les moyens d'un programme, c'est que ce programme ne veut rien dire.

Que préconisez-vous alors pour booster l'innovation ?

On ne paie pas suffisamment les professeurs d'université, et le niveau baisse. Il faut recruter dans la recherche publique les meilleurs talents. Il faut une relance européenne, avec un emprunt pour financer des grands projets sur le plan médical, sur l'hydrogène, sur les villes nouvelles. Ces projets doivent s'appuyer sur les petites et moyennes entreprises – ce sont les plus innovantes – et surtout pas sur la technostructure. Il faut une banque européenne d'investissement digne de ce nom. Il faut que la Banque centrale européenne accepte de financer davantage les banques donc les entreprises.

Quel bilan tirez-vous de la loi sur l'autonomie des universités ?

Elle n'est pas aboutie, on s'est arrêté en chemin. On ne peut pas imiter le système anglo-saxon alors que 90% des personnels sont ici des fonctionnaires et alors que le financement vient de l'État. Huit universités françaises actuelles sont en faillite, mais personne ne le dit.

Et qu'aviez-vous pensé de la circulaire Guéant sur les étudiants étrangers ? N'est-elle pas un handicap pour la recherche ?

Elle était maladroite, mais il y avait derrière une idée. Aux États-unis, quand un étudiant étranger a fini ses études, il doit repartir deux ans dans son pays avant de revenir. L'expérience montre qu'il n'y a qu'un tiers d'entre eux qui fait les démarches pour revenir. Avec le système qu'on a fait, on a pillé l'Afrique. Notre hôpital ne marche que grâce aux médecins africains qui sont sous-payés. C'est du néocolonialisme !

Si Sarkozy est réélu, serez-vous cette fois son ministre ?

J'ai refusé en 2007 quand il me proposait la recherche. Ensuite, j'aurais accepté, mais Nicolas Hulot a fait son souk pour l'en empêcher. Maintenant, j'ai 75 ans. Je n'ai aucune envie de me refouler là-dedans. Je ne veux rien. Je suis un homme libre.

Claude Allègre, "Sarkozy ou le complexe de Zorro", édition Plon, 2012.

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