Un lifting pour la reine

Le Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz, film “de tous les superlatifs”, fait peau neuve pour fêter dignement ses 50 ans (à l’institut Lumière après sa projection à Cannes, avec deux séances exceptionnelles en version numérique les 8 et 9 juin). L’occasion de redécouvrir un chef-d’œuvre qui marqua à la fois l’apogée du genre et son déclin.

Une actrice payée un million de dollars pour la première fois dans l’histoire du cinéma (le smic hollywoodien aujourd’hui), des décors gigantesques, des costumes et des accessoires en cascade, des milliers de figurants, un tournage étalé sur deux ans et demi (inédit à Hollywood à cette époque)…, le grandiose Cléopâtre entre dans l’histoire comme étant le film le plus cher de tous les temps (calculé en dollars constants). En effet, la 20th Century Fox explose son budget initial de 2 millions de dollars pour atteindre 44 millions, et cause sa propre ruine. L’histoire d’amour et de pouvoir de la légendaire reine d’Égypte, couronnée par quatre oscars (meilleure photo, meilleurs costumes, meilleurs effets spéciaux, meilleure direction artistique), demeurera un succès mitigé au regard des recettes (57 millions, dont 26 aux États-Unis) et de la critique.

Un mythe dont son auteur ne voulait plus entendre parler

Initialement prévu pour durer 6 heures, le film se voit réduit à quatre par décision du producteur Darryl F. Zanuck (Les Raisins de la colère, Le Jour le plus long). Lessivé par un tournage qu’il qualifia de cauchemardesque et par l’amputation de son travail, Mankiewicz ne prononcera plus jamais le titre d’un film dont il ne voulait plus entendre parler. Pourtant, Cléopâtre est un chef-d’œuvre incontestable. Au-delà des anecdotes qui ont fait sa légende (l’abandon du réalisateur Rouben Mamoulian, les caprices d’Elizabeth Taylor et sa liaison adultérine et ultra médiatisée avec Richard Burton), le film a la particularité de ne pas tant briller par les scènes épiques auxquelles le péplum nous avait habitués que par ses scènes intimes, particulièrement intenses. Les dialogues y sont fins et ciselés, bien au-dessus des autres productions du genre, et l’ambigüité des sentiments – entre amour et ambition personnelle – de la fille d’Isis à l’égard de César (Rex Harrison), puis de Marc-Antoine (Richard Burton) en fait tout le piment.

Plein les yeux

L’œuvre demeure d’une grandeur visuelle impressionnante, par le faste et la précision des décors et costumes (soixante costumes différents pour la seule Cléopâtre), que laisse apprécier une mise en scène sobre (peu de mouvements de caméra). L’arrivée tonitruante de la reine du Nil dans Rome reste une séquence culte de l’histoire du cinéma, hommage à la toute-puissance de Cléopâtre mais surtout de Hollywood, en déballant le grand jeu pour hypnotiser le spectateur. Par sa débauche de moyens et son esthétique, Cléopâtre signe la fin d’une certaine recette cinématographique, celle des studios hollywoodiens pourvoyeurs de rêve, celle du spectacle de séduction, après une décennie faste du genre à Hollywood entre les années 1950 et 1960 (Spartakus de Stanley Kubrick en 1952, Les Dix Commandements de Cecil B. DeMille en 1956 ou Ben Hur de William Wyler en 1959).

Le péplum tombe en désuétude lorsque, au milieu des années 1960, le Nouvel Hollywood pointe son nez, influencé par la Nouvelle Vague française et le néoréalisme italien. Avec force violence et sexualité, des réalisateurs comme Scorsese, Spielberg, Coppola ou encore De Palma balaient les hommes en jupette et cuirasse et renouvellent le cinéma américain. Cléopâtre représente donc le chant du cygne d’un système, affichant une beauté intemporelle à qui la Fox, peu rancunière, vient de redonner tout son éclat.

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Cléopâtre, 1963, 4h09, couleur. Avec Elizabeth Taylor, Richard Burton et Rex Harrison.
Projection les samedi 8 juin, à 19h15, et dimanche 9 juin à 17h, à l’institut Lumière, 25 rue du Premier-Film, Lyon 8e.

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