Le Père Tralalère : un spectacle audacieux et radical

Réunis devant un jambon à la sauge préparé pour les noces de Lise et Léo, ils sont neuf. Neuf comédiens qui vont mener avec une cadence assez étrange et perturbante ce huis-clos aussi violent que peuvent l'être les relations dans une famille.

Noces barbares

Le père Tralalère, personnage central qui donne son titre à la pièce de Sylvain Creuzevault et interprété par un époustouflant Eric Charon, préside le repas. Il fait face à sa fille qui épouse ce Léo, un type posé là, qui sourit, à côté de son meilleur ami mathématicien, dont l'épouse est enceinte jusqu'aux dents. Elle-même est installée de tout son poids à côté d'un ami de la famille, Benoît, un intellectuel qui ne manque pas de filmer et de photographier régulièrement les convives. Car rien de cette histoire n'échappera à personne, et surtout pas au spectateur. Il y a aussi un fils aîné, amoureux de sa sœur, la mariée. En face, on trouve le jeune collaborateur de ce père Tralalère directeur d'une entreprise de fourniture de bureau. Il ignore à sa droite son plus jeune fils, qui retape sa licence pour la troisième fois. On est en Bretagne, dans une maison bourgeoise de la côte sauvage. Le spectateur y est invité, pour écouter sans pudeur les conversations, en attraper des morceaux, la plupart d'une banalité affligeante au-dessus du vin qui se boit trop vite.

Cacophonie et stroboscope

Sur scène, c'est la cacophonie. On s'attend à tout moment à ce que le repas bascule, parce que Lise est trop tendue. Parce que les poèmes du petit frère sont trop bizarres et que Caroline risque d'accoucher d'une minute à l'autre. Comme pour absorber la tension, Creuzevault a dressé sur scène un auvent, derrière lequel le couple Lise/Léo se mettra nu à plusieurs reprises pendant la pièce, avant de monter sur son toit pour un rituel vaudou ou sexuel. L'artifice semble être un élément ludique, à partir duquel la compagnie fonde une grande partie de son discours théâtral. Articulé sur deux repas, celui des noces et celui de l'anniversaire de Lise, réunissant les mêmes convives, le jeu des comédiens va du bavardage verbeux au chant choral digne d'une tragédie grecque servant à annoncer le cancer du père, en passant par le dialogue haché comme sous un stroboscope. L'équilibre entre tous ces partis pris n'est pas toujours atteint, mais devant Le Père Tralalère, le spectateur ne rsique pas de rester indifférent. On a même le sentiment parfois d'assister à une pièce directement importée des années 70 où il ne fût pas rare de voir des acteurs nus en plein coït. Le collectif D'ores et déjà semble rendre hommage, à sa façon, à ce type de revendication artistique ou, en tout cas, de recherche intellectuelle, qui se perd parfois dans son propre discours, mais dont on ne peut nier la sincérité et la radicalité. Au point d'ailleurs d'arriver, malgré un cheminement chaotique, à une scène finale sensationnelle, au sens propre du terme, menée par un monologue d'Eric Charon décidément enthousiasmant. Ce Tralalère est à voir, sans faute.

Au théâtre des Célestins, Lyon 2è. Jusqu'au 13 juin. www.celestins-lyon.org

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