EXQUISES ESQUISSES

Lyon Capitale l'a visité en avant-première.

Etre journaliste, c'est parfois ingrat. Et parfois un incommensurable privilège. Le Musée des Beaux-arts vient de fermer ses portes. Aucun visiteur, plus aucun gardien. Belphégor pourrait apparaître. Nous parcourons les salles vides où les trésors de l'humanité s'offrent à nous seuls. A l'étage faiblement éclairé, Sylvie Ramond, directrice du musée, Eric Pagliano, conservateur du patrimoine et Jean-Luc Nancy, un des plus grand philosophe français, achèvent l'accrochage d'une nouvelle exposition intitulée Le plaisir au dessin. Ici et là, une esquisse de Delacroix, un dessin de Picasso, un autre de Michel-Ange sont adossés au mur, délicatement posés sur des petits carrés de mousse. L'exposition est exceptionnelle. 150 œuvres du XVIe siècle à nos jours seront présentées au public.

" Ce que je n'ai pas dessiné, je ne l'ai point vu ", note Goethe dans Voyage en Italie. C'est, en effet, par le dessin, l'esquisse, l'ébauche que l'artiste appréhende, anticipe le monde et son art. Selon Degas, il "n'est pas la forme, il est la manière de voir la forme ". Pour Ingres, il est "la probité de l'art ", tandis que Pline l'ancien affirme que "Dans les œuvres inachevées, on voit les restes du dessin et on surprend la pensée même de l'artiste".
Ultimes préparatifs
A une semaine de l'inauguration, les trois concepteurs de l'exposition se chamaillent comme des gamins, partagent leur brillante érudition dans une ambiance joyeuse. "Ils n'ont pas cessé de mettre des interdits !", se plaint, rigolard, Jean-Luc Nancy. "Mon rêve était que tous les dessins soient épinglés au mur, sans verre ni cadre, mais les deux là n'ont pas voulu !" "Epinglés au mur !" répète Sylvie Ramond horrifiée, devant un dessin de Manet qui aurait pu être crucifié. Eric Pagliano nous montre un Turner "oublié dans un tiroir de la BNF*", parmi d'autres inédits présentés dans Le plaisir au dessin.
Nous poursuivons l'exploration gourmande d'une exposition pas encore montrée, dans les rêveries, imaginant le geste de Rodin, la fureur de Günter Brus ou les hésitations de Matisse. Le philosophe nous guide dans les méandres de sa pensée et de l'histoire de l'art, ponctuant chaque étape d'une citation. Il s'arrête soudain, suspendant la pérégrination. "Nous allons entrer dans l'Enfer.", prévient-il. "Cette section se nomme Soutenir l'insoutenable. D'où vient le plaisir esthétique sinon d'un rapport à ce qui n'est pas beau, à ce qui n'est pas esthétique : le sexe et la mort. Par exemple, Freud dit que : Les organes sexuels, qui ne sont jamais considérés comme beaux, sont à l'origine du sentiment de plaisir. Certaines images pourront choquer. On va prendre des précautions, mais saisir cette interrogation à bras-le-corps car l'art a toujours flirté avec les limites."

La visite s'achève. Nous quittons le musée avec cette douce jouissance, celle d'avoir goûté aux plaisirs de la beauté, de l'intelligence et de la quiétude. Dans la rue, les passants sont pressés, une voiture roule vite. Trop vite.

* Bibliothèque Nationale de France

Le plaisir au dessin, du 12 octobre au 14 janvier au Musée des Beaux-arts, 20 place des Terreaux, Lyon 1. 04 72 10 17 40 ou www.mba-lyon.fr

Interview expresso de Sylvie Ramond, directrice du Musée des beaux-arts de Lyon

Quelle est la genèse de cette exposition ?
Jean-Luc Nancy et moi nous sommes rencontrés lorsque je dirigeais le musée de Colmar. J'avais envie de collaborer à nouveau avec lui. Arrivée à Lyon, j'ai décidé de lui confier une carte blanche. La règle du jeu, au départ, était de travailler sur le dessin à partir du cabinet d'art graphique du musée. Au fur et à mesure de nos discussions, il a proposé de travailler sur la notion de plaisir et cela a élargi notre recherche d'œuvres. Eric a voyagé dans toute la France pour découvrir des dessins inédits.

In fine, que sera l'exposition ?
Une sélection de 150 œuvres, de toutes les écoles et de toutes les époques du XVIe siècle jusqu'à l'art contemporain, de Michel-Ange à Eric Dietman, Miro confronté à Delacroix. C'est un événement qui marque une volonté de rompre avec la politique d'exposition traditionnelle, la rétrospective autour d'un artiste ou d'un mouvement. Il est important, pour nous, d'expérimenter de nouvelles formes d'expositions et d'introduire l'art contemporain dans nos propositions.

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