Pourtant quelqu’un m’a dit : on peut rire encore

Ils sont rares, les livres que l'on dévore en une nuit, à la fois subtils, criants de vérité et franchement drôles. Cette “Troisième Chronique“ du règne de Nicolas Ier, de Patrick Rambaud, est un modèle du genre.

On commence par sourire, on se dit "c'est exactement ça" et puis on finit par se tenir les côtes, en tentant de ne pas réveiller sa concubine, ce qui n’est jamais gagné. Après les deux premières Chroniques, respectivement parues en 2008 et 2009, Patrick Rambaud, loin de s'essouffler, nous livre un nouveau récit brillant, à l’ironie mordante, écrit dans une langue toujours aussi jubilatoire et pourtant assez économe.

Morceaux choisis : “Pour motiver Chouchou, Madame conviait des sommités étrangères à leur table ; ils déjeunèrent avec Denis Hopper et David Lynch, ou Mlle Faithfull qui s’étonna que Sa Majesté n’ait jamais entendu parler de l’Illustre Fellini. (…) A la même époque, on vit Chouchou arpenter des expositions à succès comme Picasso et les maîtres, (…) une autre fois, il resta en arrêt, le nez à trois centimètres du Désespéré de M. Gustave Courbet, et puisqu’il s’abîmait dans la contemplation du tableau, on crut un moment qu’il se regardait dans une glace“.

Au-delà de la diatribe, cette Troisième Chronique est remarquable en ce qu’elle nous aide aussi à comprendre, sans docte thèse mais par un simple récit chronologique anodin d'apparence, pourquoi “Nicolas Ier“ suscite tant de sentiments extrêmes et une hostilité qui confine parfois à la haine : c’est que l’homme, très remuant, semble incapable de profondeur et de constance, s’enivrant lui-même en tourbillonnant jusqu'au malaise parmi les membres de sa cour, tour à tour l'autodidacte de La Nausée de Jean-Paul Sartre et sorte de Monsieur Jourdain vibratoire et corpusculaire –mais guère lumineux- dans tout ce qu’il pratique -hormis la petite politique, réglée au millimètre par une armada de conseillers et d’affidés de diverses espèces. Rien de très nouveau certes, si ce n’est le fait que les antisarkozystes primaires y trouveront de quoi l’être aussi au dernier degré, en s’attardant avec délectation à toutes les stations intermédiaires. Les indifférents n’achèteront pas l’ouvrage. Quant aux « adhérents du Parti impérial », ils crieront forcément à l’injustice et au complot.

Au final, quand on referme le livre, on se surprend à penser : Giscard était l’aristo condescendant, Mitterrand l’intelligent retors, Chirac, le bon bougre qu’on n’arrivait pas à détester et Jospin, l’honnête homme ennuyeux. Ces poncifs ressassés, on se dit pourtant que l'on ne pouvait dénier à chacun de ces hommes d'Etat une réelle légitimité, une certaine faculté à incarner la République, à faire rayonner une image de la France, qui, même si elle n’était pas tout à fait la nôtre (voire pas du tout), ne nous agressait pas dans notre conscience collective et ne mettait en pièces ce sentiment si particulier qu’Ernest Renan a parfaitement défini dans Qu’est-ce qu’une nation ? “Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis“.

En ce qui concerne notre “Stupéfiant Monarque“, rien de tel. Page après page, chapitre après chapitre, on se dit qu’il lui manque décidément quelque chose et que ce “quelque chose“ n’a rien à voir avec les idées politiques, les clivages ou les clans, la droite ou la gauche. Une espèce de vide, de manque, comme un miroir sans tain qui ne pourrait plus réfléchir. On pense évidemment à Victor Hugo et à ses pages terribles de Napoléon le petit. Une citation que Rambaud a d’ailleurs pris soin de mettre en exergue : “Ceux qui ont peur, la nuit, chantent, lui il remue. Il fait rage, il touche à tout, il court après les projets ; ne pouvant créer, il décrète“.

Si le silence qui suit les rires du Petit Nicolas de Goscinny et Sempé est une tendre nostalgie, celui qui vient immédiatement après la Troisième Chronique du règne de Nicolas Ier de Patrick Rambaud bascule vers une mélancolie un peu amère. Drôle d’époque quand même, car notre “Intense Timonier“ a été élu triomphalement. Et pas seulement par défaut. Alors, versatile le peuple français ? Ou aussi désespéré qu’un personnage de M. Courbet ? Nous le saurons peut-être dans une quatrième Chronique, puisque Patrick Rambaud termine par ces mots entre parenthèses : à suivre.

Troisième Chronique du règne de Nicolas Ier
de Patrick Rambaud, éditions Grasset, 170 pages, 14 €

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