Tarare
La commune de Tarare est à une quarantaine de kilomètres au nord-ouest de Lyon.

Terres agricoles près de Lyon, Mercier fait fi des promesses de Macron

Entre Tarare et L’Arbresle, plus de 47 hectares de terres agricoles et d’espaces protégés sont sur le point d’être déclassés afin de permettre l’aménagement d’immenses entrepôts logistiques. Pour les élus en charge du projet, la zone dopera l’économie locale. Pour les opposants, les répercussions environnementales vont à l’encontre des orientations nationales en matière de biodiversité.

Un vaste projet d'implantation de hangars logistiques est en cours de pourparlers sur les communes de Sarcey, Saint-Romain-de-Popey et les Olmes © Antoine Merlet

C’est un site dont la superficie est comparable à la moitié de celle du parc de la Tête d’Or. Un immense triangle, à peu de chose près isocèle, d’1,5 kilomètre de côté pour une base de 650 mètres de long. 47 hectares d’un seul tenant. Pour l’heure, ce sont encore des champs de céréales, des prés pour l’alimentation des bovins (lait bio et viande), des prairies humides, des haies avec quelques arbres remarquables, des mares et des herbiers aquatiques. En prime, une vue panoramique sur le massif de Tarare, robustes contreforts orientaux du Massif central.

La campagne française a toujours su se prêter au jeu de la carte postale. Mais d’ici quelques mois, cet endroit bucolique pourrait n’être qu’un vague souvenir. Intégralement rasé et bétonné. Un vaste projet d’implantation de hangars logistiques est en cours de pourparlers sur les communes de Sarcey, Saint-Romain-de-Popey et des Olmes, à une dizaine de kilomètres au sud-est de Tarare, le long de l’autoroute 89. À la manœuvre, l’ancien ministre de l’Aménagement du territoire et président du conseil général du Rhône, Michel Mercier (Modem puis macroniste aux côtés de Gérard Collomb) et son bras droit à la Communauté d’agglomération de l’ouest rhodanien (COR) qu’il dirige aujourd’hui, le maire (LR) de Tarare Bruno Peylachon.

“L’emploi, sésame qui évite tout regard critique”

Satellite et bras armé de la COR, le Smadeor (syndicat mixte d’études d’aménagement et de développement économique de l’ouest rhodanien) pilote le projet. Pour l’heure, deux esquisses sont bien avancées. Celle de Fresenius Medical Care – Smad, groupe mondial allemand de soins de santé (dialyse) coté en bourse, sur 6 hectares, et celui d’ID Logistics, poids lourds français de la logistique sur 20,5 hectares. En attendant d’autres arrivants. Avant-goût de ce que cette partie de territoire rural et agricole, à proximité immédiate de l’A89, est sur le point de devenir : fin décembre, sur 17 hectares, Boiron mettait en route l’exploitation d’un entrepôt de 18 000 m2 et dix-huit mètres de hauteur dédié au stockage de produits et à la préparation de commandes.

Simulation de l'implantation

Pour de nombreux élus locaux, le projet se légitime par la création d’emplois. “5 % de la surface communale est destinée à l’habitat ou à l’activité économique, précise Guy Joyet, le maire de Saint-Romain-de-Popey, commune sur laquelle seront implantés 41 hectares. Nous apportons notre foncier à un projet générant de l’économie dans notre secteur encore très déficitaire en offres d’emploi.” L’antenne tararienne de Pôle emploi annonce 3 316 chômeurs de catégorie A dans l’Ouest rhodanien. Pour Bruno Peylachon, le maire de Tarare et moteur de l’implantation de la ZAC, même argument béton : “L’intérêt public majeur c’est la création de l’emploi. Pourquoi avoir fait une autoroute si derrière on n’assume pas de créer de l’emploi ? L’A89 n’est pas seulement là pour que les Lyonnais puissent voir paître les vaches dans un champ, comme un parc d’attractions !” Si Fresenius Medical Care – Smad annonce vingt-cinq postes et ID Logistics 504, les opposants au projet se souviennent de Boiron qui avait annoncé plusieurs dizaines d’emplois et n’en a pour finir créé que cinq. “En Seine-et-Marne, ID Logistics avait promis 600 emplois. Finalement, il y a 22 postes pour 150 intérimaires”, tacle Gilles Vignon, membre d’une association opposée au projet. ID Logistics n’a jamais répondu à nos multiples sollicitations. “Le mot ‘emploi’ est le sésame qui évite d’avoir tout regard critique sur n’importe quel projet”, fulmine Johann Tscherter, du collectif Quicury (du nom d’un lieu-dit impacté par le projet). Un petit calcul rapide des associations montre que les deux entreprises ont un ratio de 14,8 emplois/hectare alors que le Scot de l’ouest lyonnais (document d’urbanisme qui met en place la planification du territoire) évoque le double. “Quel est l’intérêt général dans ce projet ?”, s’étrangle dès lors Robert Lhomme du collectif Eau bien commun. Lors d’un séminaire sur le foncier, au début de l’été, le préfet de région, Pascal Mailhos, a été interpelé par des opposants à la ZAC. Ce dernier a répondu que des études étaient en cours et qu’il s’agira de trouver “un équilibre” entre la création d’emplois, à laquelle il se dit “attentif”, et l’artificialisation des terres.

Grenouille agile et œdicnème criard

C’est sur ce point que le bât blesse et que les oppositions sont les plus tenaces. “Disséminer des zones d’activité sur des surfaces résolument rurales n’est pas une évolution pour l’avenir mais c’est la démarche coupable de gangréner pour plusieurs décennies, voire des siècles, tout l’aspect environnemental de cette magnifique vallée”, déplore Gérard Duperray, un agriculteur voisin. Pour l’heure, une seule déclaration de projet a été déposée, elle concerne l’implantation de l’unité logistique de Fresenius Medical Care – Smad. Dans son évaluation environnementale, le document note que “par la nature humide de ces habitats, ces secteurs constituent des zones à enjeu fort”. Ces espaces humides sont, à ce titre, protégés par la loi sur l’eau (une mission parlementaire a même récemment rendu un rapport au Premier ministre, préconisant de renforcer leur prise en compte dans l’aménagement du territoire et la lutte contre le réchauffement climatique). Entre Sarcey, Les Olmes et Saint-Romain-de-Popey, il s’agit de prairies humides, de prés marécageux, d’herbiers aquatiques et de mares ; mais aussi de composantes bocagères à fort enjeu patrimonial, comme des haies champêtres, des arbres remarquables ou des prairies permanentes. Et, traversant la totalité de la zone, d’un corridor écologique. Ce corridor, qui relie cinq zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique, assure des connexions entre des réservoirs de biodiversité, offrant aux espèces des conditions favorables à leur déplacement et à l’accomplissement de leur cycle de vie. D’importance régionale, il a été répertorié comme devant être remis en bon état selon le schéma régional de cohérence écologique.

Tous ces réservoirs de biodiversité accueillent des populations d’amphibiens inscrits sur la liste rouge des espèces menacées en Rhône-Alpes et donc protégées (le triton crêté, en grave danger, le triton alpestre, vulnérable et la grenouille agile, quasi menacée). Deux espèces d’oiseaux protégées nichent également sur ce territoire : l’œdicnème criard, classé sur la liste rouge (vulnérable), un petit échassier qui fait l’objet d’un plan de sauvegarde, auquel les agriculteurs participent depuis 2015 (“on nous a dit pendant des années qu’il fallait préserver cette parcelle en friche pour sauvegarder l’œdicnème criard et maintenant on nous dit que cette espèce peut aller voir ailleurs ?!”, s’étrangle Gérard Gilardon, producteur de lait à Saint-Romain-de-Popey). Et puis le gravelot, le plus petit des échassiers de France, considéré comme quasi menacé dans la région.

“Délit environnemental flagrant”

Michel Mercier a beau assurer que les aménagements se feront “dans le strict respect des règles environnementales”, personne ne semble très rassuré. La Mission régionale d’autorité environnementale (MRAe) d’Auvergne-Rhône-Alpes en tête : “Le projet s’interdit de prendre convenablement en compte l’environnement. Ainsi, il détruit des zones humides, créées et maintenues dans le cadre de mesures d’évitement et de compensation prises au titre du projet autoroutier A89, sans mesure de compensation effective. D’une façon générale, la préservation des enjeux relatifs aux espaces naturels à forte valeur écologique du territoire n’est pas assurée.” En effet, dès la conception d’un projet, les maîtres d’ouvrage sont tenus de définir des mesures permettant d’éviter les impacts sur l’environnement, de les réduire s’ils ne peuvent être évités et, à défaut, de les compenser. Joint par Lyon Capitale, Harold Levrel, professeur d’économie écologique à AgroParisTech, pense qu’en l’espèce, on est face à un “délit environnemental flagrant”. Explications : “En matière de compensation des atteintes à la biodiversité, la loi de 2016 définit trois points extrêmement contraignants pour l’aménageur : d’une part, l’absence de perte nette de biodiversité après l’aménagement, ce qui implique la création à l’identique et dans la même superficie des composantes de la biodiversité impactées ; d’autre part, la mise en place de mesures compensatoires aussi longues que dure l’impact. Dans le cas d’une autoroute, c’est donc perpétuel ; et enfin, s’il est démontré que l’aménageur ne respecte pas l’une de ces conditions, le refus d’autorisation de construire. Dans le cas présent, la manière de faire et d’appliquer les mesures compensatoires est grossière. Il s’agit d’un cas de délit environnemental flagrant. Pourquoi ? Car la loi impose un principe d’additionnalité, c’est-à-dire que la compensation doit apporter une plus-value démontrée par rapport à l’état initial du site de compensation. Or, ici, une politique environnementale a déjà été menée au nom de la loi sur l’eau (restauration de mares en tant que compensation d’impacts antérieurs associés à la construction de l’autoroute). Il faudrait donc compenser ce qui a été détruit et, en plus, comme ce qui a été détruit valait déjà compensation, il faudrait compenser une seconde fois. Il est possible que cette faute soit plus liée à une méconnaissance de la loi qu’à un acte volontaire. Mais, en tout état de cause, en cas de contentieux, il y a de forts risques pour que l’aménagement soit considéré comme ne respectant pas la loi sur les études d’impact et la séquence ERC [éviter, réduire, compenser, NdlR] qui y est associée.”

Ce corridor relie cinq zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique © Antoine Merlet

400 camions par jour

Pour que cet outil – véritable instrument de politique publique destiné à chercher un compromis entre les objectifs de développement d’un territoire et le maintien de la biodiversité sur ce même territoire – remplisse vraiment sa fonction, encore faut-il une réelle volonté politique car “les préfets privilégieront toujours la création d’emplois et la croissance économique à la préservation de l’environnement”, poursuit le chercheur. Dans ce projet entre Sarcey, Les Olmes et Saint-Romain-de-Popey, les immenses unités logistiques prévues engendreront une augmentation de trafic estimée, pour Fresenius Medical Care – Smad, à environ 50 camions par jour entre Savigny (où l’entreprise est déjà implantée) et le nouveau site et environ 300 à 400 camions pour ID Logistics sur la RN7. Or, entre 14 000 et 16 000 véhicules circulent déjà quotidiennement sur cette nationale. On imagine les embouteillages. Et les pots d’échappement. “Les particules fines, qui sont déjà un grave problème de santé publique sur le territoire tararien avec des cancers pulmonaires en hausse, seront plus nombreuses avec tous ces camions”, tonne Sébastien Reynaud, médecin généraliste à Pontcharra-sur-Turdine, à quelques kilomètres à vol d’oiseau du site. Aucune étude d’impact sur cette question n’a été effectivement faite reconnaît Pierre-Jean Zannettacci, le maire de L’Arbresle et président de la communauté de communes du pays de L’Arbresle (elle-même membre du Smadeor, qui pilote le projet). Sans compter qu’un projet de contournement routier de L’Arbresle, déjà asphyxiée par le trafic, serait à l’étude.

Sollicité par Lyon Capitale sur ce dossier à tiroirs, le cabinet du préfet n’a souhaité faire aucun commentaire, “des procédures (étant) en cours d’instruction”. Il se dit, en coulisses, que les services de la préfecture, en contact avec ceux de Michel Mercier, seraient fortement agacés par les méthodes de l’ancien ministre de l’Aménagement du territoire qui, pour obtenir gain de cause, passe directement par ses réseaux au ministère. Mais lors d’une réunion interne avec les élus de la communauté de l’ouest rhodanien, le préfet Pascal Mailhos aurait clairement émis des doutes en estimant que le projet était largement perfectible et, en l’état, pas abouti.

Pollution, bétonnisation, destruction de la biodiversité... Depuis 2010, l’équivalent de deux terrains de foot d’espaces agricoles sont artificialisés chaque semaine dans la métropole de Lyon. Lors du Salon de l’agriculture, Emmanuel Macron dénonçait la disparition des terres agricoles. “La France, pour ne parler que d’elle, a perdu un quart de sa surface agricole sur les 50 dernières années, avait alors déclaré le président de la République. Pour y remédier, nous avons fait ce choix radical avec le gouvernement de viser le ‘zéro artificialisation nette’ et donc nous sommes en train de voir comment tenir cet engagement, en particulier dans nos politiques d’urbanisme.” Le dossier “Smadeor” fait grand bruit et devient éminemment politique. Pour Slim Mazni, ancien journaliste à Lyon Capitale et pressenti pour devenir candidat à la mairie de Tarare : “On est en train de construire les friches industrielles de demain. Les élus locaux n’ont aucune vision de l’avenir de leur territoire. À terme, Tarare va-t-elle devenir la déchèterie de Lyon ?”

Si les élus locaux misent sur la logistique pour donner un second souffle à cet ancien fief du textile et du tissage, contraint depuis plusieurs années à une douloureuse reconversion, cela se fait aux dépens de toutes les orientations nationales en matière de biodiversité qui ne semblent pas (encore ?) avoir un grand écho.

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