LC 715 Carte logts vacants

Réquisition des églises : pourquoi pas les logements vides des instits ?

ENQUÊTE - La ministre du Logement Cécile Duflot envisagerait de réquisitionner les églises. Mais pourquoi ne pas utiliser d’autres locaux, qui sont déjà des logements et font même partie du parc public ? Rien qu’à Lyon et dans son agglomération, près de 33.000 m2 d’anciens logements de fonction d’instituteurs et autres personnels de l’Éducation nationale sont aujourd’hui vacants. 400 appartements seraient même vides depuis cinq à dix ans.

Un immeuble de quatre étages à la
 façade décrépie fait face au collège Jean-Mermoz, dans le 8e arrondissement de Lyon. Ses volets blancs, en fer rouillé, sont tous fermés. À 
l’intérieur, 20 logements ont été laissés à l’abandon. Seules deux fenêtres sont ouvertes, au rez-de-chaussée : l’appartement du gardien. Croisé 
dans la cour du collège, l’agent municipal refuse 
de répondre à nos questions. “Je ne peux rien dire, ma hiérarchie me l’a interdit. Posez directement 
vos questions à la Ville de Lyon, ce sont eux les propriétaires”, nous confie-t-il. Autrefois réservés aux enseignants du collège, les logements de fonction ont été peu à peu vidés. “On est presque en
 colère, on a tout un bâtiment qui est désaffecté en
face de nous, et depuis plus de dix ans. Et pour l’instant je n’ai entendu parler d’aucun projet de ré-
habilitation ou de vente”, s’insurge Rémy Apanon, le principal du collège.

Montée du Télégraphe, sur les hauts du quartier Saint-Just, l’histoire se répète. Accolé au groupe scolaire Albert-Camus, un imposant immeuble de 12 appartements semble désespérément vide. Une chaîne, doublée d’un cadenas, entrave la porte
 d’entrée, qui donne directement dans la rue.
Yolande, gardienne depuis dix-sept ans, est plus
 prolixe que son collègue du 8e : “Avant, tous les 
appartements étaient habités par des instituteurs, mais depuis trois ans il n’y a plus personne. La Ville 
de Lyon les a délogés pour mettre en place un programme de rénovation. Mais, depuis 2009, les travaux n’ont toujours pas débuté”, assure-t-elle.

Lors de nos pérégrinations dans les rues lyonnaises, le constat est le même partout : une accumulation de logements vides, aussi bien dans le 9e arrondissement que dans le 6e boulevard des États-
Unis, dans les collèges, les lycées...

24.000 anciens logements de fonction vides en France

Au total, près de 400 logements sont inoccupés à Lyon et dans son agglomération, d’après les chiffres communiqués par la Ville et les communes du Grand Lyon. 550 sont vacants, si l’on ajoute les lycées de la région Rhône-Alpes et les collèges du département du Rhône. Ce qui représente 33.000 mètres carrés de logements vides, soit près de 66 millions d’euros de foncier inexploité.
 À l’échelle nationale, si l’on considère que l’agglomération lyonnaise représente 1/60 de la population française, ce serait 24.000 anciens logements de fonction d’instituteurs qui seraient laissés à l’abandon. Enfin, pas complètement... Plusieurs sources, dont des élus municipaux, nous ont confirmé que les appartements étaient chauffés l’hiver : “Un minimum, pour ne pas que les canalisations pètent.”

Comment expliquer un tel gâchis, à l’heure où 60.000 personnes recherchent un logement social dans le Grand Lyon ? La Ville de Lyon, qui est le plus mauvais élève concernant la gestion de son parc d’anciens logements de fonction des instituteurs (180 logements vides, 64% de vacance), explique difficilement l’origine de cette gabegie. La stratégie de la Ville reste de vendre, sous forme de baux emphytéotiques, la plupart de ses immeubles vacants. 60 logements seraient ainsi en cours de cession, sans que cela soit totalement effectif. Quant à la question de la mise à la disposition de logements d’urgence, Louis Lévêque, l’adjoint chargé du logement à la Ville de Lyon, invoque le fait que la Ville n’a pas vocation à être gestionnaire de logements et n’a pas la compétence en matière de logement social.

Dans certains arrondissements, des immeubles sont inoccupés depuis près de dix ans. “Il y a eu des lourdeurs administratives. Les choses sont toujours longues à se mettre en place. Le fait que certains instituteurs restent dans les logements n’a pas facilité les choses. Mais, de toute façon, c’est un délai trop long quand on parle d’urgence d’accès au logement”, tente d’expliquer Louis Lévêque. Pourtant, les collectivités locales ont eu vingt-deux ans pour établir des stratégies de réaffectation de leurs bâtiments. C’est un décret, publié le 1er août 1990, qui a changé la donne, avec la création du statut de professeur des écoles, lequel ne donnait plus droit à un logement de fonction - droit reconnu pour les instituteurs depuis la fin du XIXe siècle). À l’époque, les communes avaient obligation de loger leurs instituteurs à côté des écoles. Dans les années 1950-60, avec le baby-boom, d’importants groupes scolaires ont été construits, avec, à proximité, des logements pour les enseignants. Mais, depuis, les appartements se sont vidés, et de nombreux instituteurs qui ont décidé de changer de statut sont devenus “expulsables”. Certaines municipalités en ont alors profité pour loger leurs agents, créer de nouvelles classes, des bibliothèques ou des locaux associatifs.

“À la fin des années 1990, on nous a demandé de partir. Les logements ont été vidés au fur et à mesure que les enseignants partaient à la retraite”, indique Françoise, une institutrice de 58 ans qui a habité pendant seize ans au Pérollier, à Écully, au-dessus de sa classe. “Je sais que tous les appartements ont été réaffectés aux employés de la mairie. Ils n’ont pas voulu les proposer aux particuliers pour des problèmes de sécurité. En même temps, dans cette commune, le prix des loyers est trop élevé pour que les logements restent vides...”, ajoute-t-elle.

“Priorité aux bâtiments d’usage scolaire”

Les problèmes d’accessibilité – les logements donnent dans l’enceinte de l’école – et de sécurité par rapport aux élèves expliquent, en partie, le nombre restreint de logements sociaux ayant remplacé les logements de fonction. C’est ce qu’explique Christel Bonnet, directrice générale adjointe en charge de la vie lycéenne à la région Rhône-Alpes, laquelle compte 182 logements vacants (sur 2.246 logements de fonction, soit 8 % de taux d’inoccupation) : “Nous réaffectons uniquement ces logements à des fonctionnaires. On ne peut pas laisser entrer n’importe qui dans nos bâtiments”, justifie-t-elle. Sur 182 logements vides dans les lycées de la région, 50 sont habitables immédiatement et 132 sont à rénover, mais aucun chantier n’est en cours. “En rénovation, les investissements sont lourds, ce qui engendrerait des dépenses importantes. La priorité va aux bâtiments d’usage scolaire”, ajoute-t-elle.

Dans les collèges du département du Rhône, 82 logements sont vacants (sur 533, soit 15% de vacance). “Soit parce qu’ils sont en restructuration, soit parce qu’ils sont trop petits”, nous explique-t-on d’une phrase lapidaire, Danielle Chuzeville, vice-présidente du conseil général du Rhône n’ayant pas souhaité répondre à nos questions. Et, sur 45 communes du Grand Lyon (12 n’ont pas souhaité répondre), 111 logements sont vacants sur 679, soit 16% d’inoccupation.

Quelques rares élus se saisissent de la question, sans avoir de réelles réponses quant au devenir des bâtiments. À Villeurbanne, Caroline Lagarde, d’EELV, a rappelé lors du vote d’une désaffectation de logements de fonction, le 14 décembre 2011, qu’il existait 43 logements vides dans les différents groupes scolaires. Notons que Villeurbanne nous a communiqué le chiffre de 28 logements vacants (l’adjoint responsable du logement n’a pas pu nous expliquer cette différence). “En matière de logement, il y a plutôt urgence... et 40 logements vides qui dorment c’est frustrant. Pourquoi aura-t-il fallu plus de deux ans pour demander seulement une désaffectation de ces appartements ?” interroge Mme Lagarde lors du conseil municipal. “Le maire se range derrière des arguments d’accessibilité et de parking, mais cela ne tient pas. On a vu que l’on pouvait aménager un accès indépendant”, s’emporte-t-elle.

Exemptés de taxe

La ministre du Logement, Cécile Duflot, qui présentait le 5 septembre une nouvelle étape de son plan pour atténuer la crise du logement, avec notamment la cession par l’État de 930 terrains, a-t-elle pensé à réquisitionner les anciens logements de fonction des instituteurs ? La ministre a également revu à la hausse (2,5 %) la taxe sur les logements vacants, qui oscille désormais entre 12,5 et 20%. Calculée à partir de la valeur locative de l’appartement, à quoi il faut ajouter des frais de gestion, la taxe concerne uniquement les propriétaires de logements habitables non meublés, après deux ans de vacance. Mais pas les logements de fonction inoccupés...

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