Référendum poutinien en Crimée : la régression soviétique

Mykola Cuzin, président du comité Ukraine 33 et du comité pour la défense de la démocratie en Ukraine, analyse dans cette nouvelle tribune libre le vote de ce dimanche 16 mars en Crimée.

Ainsi donc, le référendum organisé au moyen d’une invasion militaire et sous la menace du tsar Poutine aura produit le résultat attendu, digne des élections présidentielles de l’ère soviétique à un seul tour et avec candidat unique : près de 95 % de voix pour. Mais “pour” quoi au juste ?

“Oui… ou oui”

La Cour constitutionnelle de Kiev était la seule habilitée à décréter et organiser ce référendum. Or, c’est une puissance étrangère et belligérante qui l’a imposé. Ensuite, il n’était absolument pas question de quorum à atteindre pour en valider les résultats, ce qui est une seconde fois anticonstitutionnel. Enfin, la question posée n’était pas de savoir si les gens étaient favorables à un rattachement à la Russie ou à une continuité au sein de l’Ukraine. Il s’agissait ni plus ni moins de se prononcer pour un rattachement immédiat ou après une courte période d’indépendance (1). Cela revenait en fait à dire soit “oui”, soit “oui”.

“Tout n’aura été que mensonge”

Au-delà de l’intervention armée et du cynisme avec lequel ce processus a été mené, tout n’aura été que mensonge. Mensonge sur la “menace nazie” venue de Kiev (une rengaine servie des centaines de fois pendant la guerre froide et qui a servi entre autres à discréditer les Polonais de la diaspora dans les années 1950 lorsqu’ils ont commencé à réclamer la vérité sur le massacre de Katyn), tricherie lors des opérations de vote auxquelles les Tatars (2) et les Ukrainiens ont été dissuadés de participer par les menaces et les confiscations de passeports, mascarade sur la qualité des “votants” venus massivement de la Russie voisine et ajoutés à la main sur les listes d’électeurs, absence totale de transparence puisque les journalistes ont été exclus des opérations de décompte et que les quelques rares “observateurs” présents étaient triés sur le volet (par exemple, un représentant du Front national, parti politique très complice avec le maître du Kremlin !).

“Il va falloir sortir de l’angélisme”

On peut parler d’un véritable Anschluss de la Crimée, qui sera sans aucun doute entériné dès demain à Moscou. À partir de là, sachant que Poutine ne tiendra aucun compte de l’avis des instances internationales – Onu y compris – avec lesquelles il ne collabore que lorsqu’elles servent ses intérêts exclusifs, il va falloir sortir immédiatement de l’angélisme dans lequel le “monde libre” semblait plongé depuis la chute de l’URSS et la fin de la guerre froide en 1991. Contrairement à ce qui s’est passé avec l’Allemagne, avec le procès de Nuremberg, il n’y a jamais eu aucune condamnation ferme et définitive des crimes de masse – auxquels il faut ajouter le génocide ukrainien en 1933 – commis pendant la période soviétique, ni une reconnaissance sincère et “humaine” des souffrances endurées par des dizaines de millions de personnes déportées, torturées, exilées, massacrées…

Encore faudrait-il ajouter l’inévitable examen de conscience de ce fameux “monde libre” qui a prospéré pendant des décennies à l’ombre du Rideau de fer derrière lequel l’autre moitié de l’Europe dépérissait, dans le silence des conversations feutrées des chancelleries…

“L’homo sovieticus n’est pas mort”

Contrairement aux espérances d’Andreï Sakharov, l’homo sovieticus n’est pas mort. Il a produit en Vladimir Poutine un avatar particulièrement coriace qui, outre le fait de maintenir son propre peuple dans un état de semi-dictature autocratique, abhorre la démocratie, la liberté de la presse et tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin au libre arbitre. Autant dire qu’il renie tout ce pour quoi le reste de l’Europe s’est battu depuis la fin de la dernière guerre.

La cérémonie des JO de Sotchi a surtout été l’occasion pour Vladimir Poutine de célébrer les valeurs soviétiques – au premier rang desquelles l’impérialisme – dont il ne reniera rien, fût-ce au mépris des accords internationaux et au risque de créer une conflagration au cœur même de l’Europe. Les tyrans ne se satisfont que du désordre et de la destruction. Poutine n’en a pas terminé avec l’Euromaïdan puisque, en ce moment, ses troupes massées à la frontière orientale de l’Ukraine et des bus d’activistes circulant entre Kharkiv et Donetsk essaient par tous les moyens de susciter des violences intercommunautaires, afin de justifier une nouvelle intervention “fraternelle” et de nouvelles annexions…

Après l’Ukraine, les pays Baltes ? D’autres ex-Républiques de l’URSS où la colonisation russe a installé d’importantes communautés exogènes ? L’appétit de Poutine n’a pas de limite, il est prêt à matraquer ses propres citoyens pour leur faire accepter ses aventures guerrières (ce qui a été le cas ce week-end à Moscou et Saint-Pétersbourg) et il représente un véritable danger pour la paix et la coopération en Europe et dans le monde. La Russie poutinienne vient de bouleverser la façon d’envisager les relations internationales. Nous allons devoir nous y adapter en urgence !

(1) Pour mémoire, une enquête privée menée en mai 2013 à la demande du gouvernement ukrainien avait établi que seulement 23 % de la population de Crimée était intéressée par un éventuel rattachement à la Russie.
(2) Qu'adviendra-t-il des 250 000 Tatars de Crimée, le seul peuple autochtone de la péninsule (présence attestée dès le XIIIe siècle ), déporté presque entièrement par Staline en 1945 et qui avait recommencé à s'installer petit à petit, à la faveur de l'indépendance de l'Ukraine en 1991 ?

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