Perquisitions chez Bernard Tapie et Stéphane Richard

Les policiers de la brigade financière ont mené deux perquisitions aux domiciles de Bernard Tapie et Stéphane Richard -actuel P-dg de France Télécom et ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde au ministère de l’Économie en 2008- dans le cadre de l'affaire dite "Lagarde-Tapie". Les enquêteurs ont agi sur commission rogatoire des juges du pôle financier parisien, qui conduisent depuis septembre 2012 une information judiciaire ouverte initialement pour usage abusif de pouvoirs sociaux et recel de ce délit au préjudice du Consortium de Réalisation (CDR), la structure créée en 1995 afin de gérer le passif du Crédit lyonnais après sa quasi-faillite deux ans plus tôt.

En juillet 2008, un tribunal arbitral –c’est-à-dire une juridiction privée- avait accordé la somme vertigineuse de 403 millions d'euros, intérêts compris, à M. Tapie, afin de mettre un terme au litige l'opposant au Crédit lyonnais dans le cadre de la cession d'Adidas. La somme, comme la méthode, avaient choqué les Français, spécialistes du droit ou non, surtout les 45 millions d’euros versés par le CDR à l’homme d’affaires pour "préjudice moral". Ce sont donc les conditions dans lesquelles l'arbitrage du conflit entre Bernard Tapie et le Crédit lyonnais a été réglé qui intéresse la justice, le CDR étant soupçonné d'avoir largement favorisé les intérêts de l'homme d'affaires, via une possible instruction politique émanant du sommet de l’État. Hier, mercredi 23 janvier, les juges de droit commun, qui travaillent en accord avec les magistrats de la Cour de justice de la République (CJR), ont ainsi obtenu du parquet de Paris l'extension de leur saisine aux faits de "détournement de fonds publics" et de "faux".

Sur la période en question (2007-2008), Bernard Tapie a beaucoup fréquenté Nicolas Sarkozy, d’abord au ministère de l’Intérieur, puis à l’Elysée. Le premier appellera, on s’en souvient, à voter pour le second en 2007 et en 2012. Mais ce qui intéresse aussi les enquêteurs, outre un éventuel "renvoi d’ascenseur", c’est une une lettre anonyme, expédiée dans une enveloppe à entête du ministère des finances, adressée à François Bayrou, qui indique l’avoir immédiatement transmise à la justice. Dans cette lettre, il est indiqué que Christine Lagarde, alors ministre de l’Économie et des Finances, ne saurait être tenue responsable d'une procédure qui lui aurait été imposée par l'ex-avocat de M. Tapie -un certain Jean-Louis Borloo- et par Nicolas Sarkozy en personne.

Un arbitrage privé particulièrement controversé

Christine Lagarde, aujourd’hui à la tête du Fonds monétaire international (FMI), sera prochainement convoquée par la CJR, compétente pour juger les infractions commises par les ministres durant l'exercice de leurs fonctions. A l’époque des faits, c’est en effet la ministre de l’Économie qui avait autorisé un arbitrage privé, via celui qui était alors son directeur de cabinet, Stéphane Richard. Avant de se décider pour cette procédure, Christine Lagarde "a entendu tous les avis, positifs comme le mien - de très loin les plus nombreux -, et aussi les réserves", expliquait Stéphane Richard au JDD en 2011, au moment de l’ouverture par la CJR de l’enquête pénale sur le rôle de la ministre, ajoutant, "j'avais des contacts réguliers avec la présidence de la République, et la question a été évoquée avec l'équipe du président, mais il n'y a eu ni insistance particulière ni feu vert de l'Élysée".

Problème : Bernard Scemama, un haut fonctionnaire intervenu en 2007 pour déclencher ledit arbitrage, dit exactement le contraire et affirme avoir reçu à l’époque des consignes de Stéphane Richard en ce sens. Bernard Scemama avait été nommé le 15 septembre 2007 à la tête de l'Etablissement public de financement et de restructuration (EPFR), organe qui chapeautait lui-même le CDR. Ce qui est reproché à Christine Lagarde, c’est bien d’avoir recouru à cet arbitrage privé alors qu’il s’agissait d’argent public, d’avoir eu connaissance de la partialité de certains juges arbitres, d’avoir fait modifier le protocole initial pour y intégrer la notion de préjudice moral et enfin de ne pas avoir exercé de recours contre cet arbitrage controversé, alors même que d’éminents spécialistes l’y avaient vivement encouragée.

Ce que dira Mme Lagarde à la CJR est par conséquent capital pour tous les protagonistes directs et indirects de cette affaire. Pas certain que dans le contexte politique actuel elle s’exprime à la façon désinvolte et triviale de son ex "dircab", qui avait lâché il y a un an et demi : "C’est du délire complet". Entre temps, François Hollande est devenu président de la République… Quant à la justice, elle s’intéresse de plus en plus aux agissements de son prédécesseur entre 2007 et 2012, en France comme à l’international, ainsi qu’à ses amis. Quoique, pour ce qui concerne Bernard Tapie, on ait pu constater, à l’occasion de sa prise de contrôle de La Provence et de Nice-Matin, que tous les socialistes –et apparentés- ne lui étaient pas aussi hostiles qu’un Arnaud Montebourg et qu’il comptait quelques soutiens de poids dans le gouvernement de Jean-Marc Ayrault. En politique, c’est bien connu, l’amitié c’est sacré. Bernard Tapie ne vient-il pas d’écrire à la capitainerie du Vieux-Port de Marseille pour demander un emplacement pour son yacht de 75 mètres, quai de la Fraternité ?

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