Minguettes : prison ferme pour un “caillassage” de la BAC

Ce mardi 27 juillet, deux jeunes de Vénissieux ont été condamnés à cinq et trois mois de prison ferme pour le "caillassage" de membres de la brigade anti-criminalité. Sur les seules déclarations des agents de police. Un procès qui en dit long sur les relations entre la BAC et les habitants des quartiers dits "sensibles".

Devant la 5e chambre correctionnelle de Lyon, s’est tenu un procès aux ingrédients d’une affligeante banalité : des jeunes des Minguettes qui fument du cannabis, un équipage de la brigade anti-criminalité (BAC) en patrouille, une interpellation qui tourne au caillassage. Et devant la barre : la parole des policiers face aux dénégations des deux prévenus considérés par le parquet comme des émeutiers en puissance.
Nous aurions pu y voir plus clair si le tribunal avait accédé à la demande de l’avocat d’un des prévenus qui souhaitait un supplément d’information. L’audience de ce mardi 27 juillet n’a donc été que la copie conforme de la comparution immédiate qui devait se dérouler trois semaines plus tôt.

La parole des policiers assermentés…

La version policière tout d’abord. Lundi 5 juillet, vers 20 heures, un équipage de la BAC patrouille aux Minguettes. Arrivés avenue des Martyrs de la Résistance, les trois membres de l’équipage avisent un jeune en train de rouler un "joint". Pour l’interpeller en flagrant délit, ils décident de faire le tour de l’immeuble. Là, Lamine (le premier prévenu), 19 ans, prévient ses collègues en criant : "attention, voilà les connards de deks" et en proférant d’autres insultes à l’endroit des policiers. Se sentant outragés, ils décident de l’interpeller. C’est le brigadier qui s’en charge non sans mal. Le jeune homme se débat, crie et lui aurait même porté un coup de tête lui laissant une belle entaille (visible sur des photos). Des habitants du quartier s’approchent de la scène. Certains jettent des projectiles. Deux équipages arrivent en renfort et dispersent à coups de grenades lacrymogènes "150 habitants", selon les comptes-rendus cités par la juge. Un nombre qui a fait beaucoup rire les habitants venus à l’audience.

Parmi les habitants présents ce soir-là, il y a Julien (le second prévenu), 22 ans, qui, toujours selon la version policière, a jeté deux pierres. Une aurait atteint un "BACman", l’autre le pare-brise du véhicule. Il se serait ensuite enfui chez lui où les policiers sont allés l’interpeller le soir même.

…Contre la parole des prévenus

Les deux jeunes nient en bloc la version policière. Lamine reconnaît seulement avoir prévenu ses collègues, qui fumaient du shit, de l’arrivée de la BAC. Pour le reste, il raconte que l’équipage de la BAC l’a d’abord insulté au moment où ils voulaient procéder à son contrôle d’identité : "tu fous rien de la journée. T’es un bon à rien". Lamine a répondu sur le même ton. C’est là que le brigadier s’est jeté sur lui pour l’interpeller. Selon Lamine, ce n’est pas lui qui a mis le coup de boule mais le policier. Une "quinzaine" de jeunes et des parents se sont approchés pour exiger que Lamine soit relâché par le brigadier qui "l’étrangle". C’est là que des projectiles ont été jetés.

A l’audience Julien a farouchement nié avoir jeté des pierres. "Je jouais avec ma fille de deux ans en compagnie de ma mère et de ma sœur. Quand j’ai entendu l’intervention de la police, je me suis approché". Assez rapidement, il est remonté chez sa mère où il vit. Quelques instants plus tard, les policiers l’interpellent non sans avoir défoncé la porte d’entrée de l’immeuble.

Des maux mais pas d’éléments matériels

Au deuxième jour de sa garde à vue, Julien a reconnu être le jeune homme qui portait le t-shirt rayé qu’ont reconnu les policiers comme étant l’un de leurs agresseurs. "On m’a frappé. J’ai même perdu une dent", avance-t-il. Son avocate, Florence Vincent s’est engouffrée dans la brèche. "S’il y avait eu un supplément d’information, le tribunal aurait pu demander une perquisition chez la mère de Julien pour retrouver ce fameux t-shirt. Il n’en a rien été".

L’avocat de Lamine, Sébastien Guérault aurait également souhaité que l’on exploite les caméras de vidéosurveillance qui avaient été installées quelques jours avant les faits (le 30 juin) avenue des Martyrs de la Résistance. "Les policiers disent qu’ils sont victimes et c’est eux-mêmes qui font l’enquête. Le tribunal a pris pour argent comptant la version policière sans accepter un seul moment que cette parole-là soit remise en cause. Dans le temps du renvoi, ce n’était pas compliqué d’ordonner des actes d’enquête supplémentaire, notamment en saisissant les bandes vidéo. En les refusant, on donne la vérité au service de police".

Le juge suit le procureur

Sans surprise, Lamine a été condamné à cinq mois de prison ferme. Il sera maintenu en détention car il avait déjà été condamné à un mois avec sursis pour rébellion. Julien a pris trois mois de prison ferme (mais sans maintien en détention). La juge Thivolière a suivi en grande partie les réquisitions de la procureur qui demandait six mois fermes pour les deux prévenus. "Ce sont des faits inadmissibles, a martelé la procureur dans son réquisitoire. Des policiers ont été empêchés d’agir dans l’exercice de leur fonction". L’avocat d’un des policiers partie civile, Laurent Bohé, avait au préalable dressé le contexte de ce procès : "Dans le cadre des difficultés rencontrées à Grenoble par la BAC, ce ne sont pas des faits anodins. Cette intervention aurait pu tourner au drame".

Un jugement vécu comme une injustice par les habitants

Sans surprise également, ces deux jugements ont été vécus, entre colère et résignation, comme une énième injustice. "Lamine va rester en prison pour des choses qu’il n’a pas faites, déclare calmement Bilel, un de ses amis. Ça veut dire que simplement si je marche dans la rue, je risque d’aller en prison. Dès que je vois une voiture de la BAC, je ne me sens plus en sécurité". “Depuis ce qui s’est passé, des équipages passent en dessous de chez moi pour nous narguer, poursuit la mère de Julien. Ils mettent le gyrophare ou nous font des doigts".

A la sortie du tribunal, membres de la BAC de Vénissieux et habitants du quartier se sont toisés. "C’est parce que Nicolas Sarkozy ne vous a pas donné de prime que vous nous faites des procès ?", lance aux "BACmen" le frère aîné de Julien, en référence aux 900 euros que Julien devra verser aux deux policiers partie civile. Quelques minutes après leur départ, la quinzaine de policiers venus sécuriser le palais de Justice s’est retirée, sous l’œil, cette fois amusée, des habitants.

Photo : Les tours des Minguettes à proximité de l'avenue des Martyrs de la Résistance

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