Marion Gachet : "La rétention est de plus en plus dure à vivre"

Bilan 2007 : le centre de Saint-Exupéry, à deux pas de l'aéroport, s'en tire assez bien sur le plan des conditions matérielles d'accueil. Mais le placement en rétention est vécu de plus en plus durement. Politique du chiffre oblige.

Lyon Capitale. En décembre 2006, un employé de la Cimade déclarait dans Lyon Capitale que depuis l'agrandissement du CRA, "les conditions matérielles de ce lieu de gardiennage était acceptables". Un an et demi après qu'en est-il ?
Marion Gachet : Par rapport à d'autres centres, ce centre de rétention est effectivement au niveau matériel pas trop mal. Il reste que c'est extrêmement choquant de voir l'espace pour enfants, avec un toboggan entouré de grillages. Ça reste un lieu d'enfermement et donc un lieu de souffrance pour les personnes, même si les conditions matérielles sont moins mauvaises que dans d'autres centres ailleurs en France. C'est très dur pour les enfants aussi. On a eu encore il y a trois semaines, un bébé de deux mois. De l'avis de la Cimade, la place d'un enfant n'est pas d'être derrière les grilles d'un centre de rétention.

Fin décembre, des révoltes ont éclatés dans des Centre de rétention de la région parisienne. Lyon n'a pas été touché par ce mouvement. Comment l'expliquez-vous ?
Il y a eu des débuts de révolte mais cela n'a pas pris la même ampleur que celles du Mesnil-Amelot ou de Vincennes. Pour deux raisons. D'abord parce qu'il s'agit d'un petit centre (une centaine de places occupées constamment). Ensuite, parce qu'il y a un dialogue régulier en tous les intervenants qui n'existe pas dans la plupart des autres centres. S'il y a des revendications, que ce soit la Cimade ou d'autres essayent de les relayer auprès de l'équipe policière pour faire en sorte que les choses se passent le moins mal possible. Il y a quand même eu, ceci dit, deux personnes qui ont tenté de s'immoler.

Quelles conséquences de la politique des "quotas d'expulsions" constatez-vous au quotidien ?
On dénonce cette politique du chiffre qui consiste à faire n'importe quoi pour faire gonfler les statistiques qui entraîne souffrance et humiliation. En 2006, l'Etat a beaucoup fait de chiffre sur les Roms roumains. En 2007, depuis que la Roumanie est entrée dans l'Union européenne, les Roms roumains ne devraient plus être "expulsables". Mais il y en a encore qui passent au centre de rétention pour le faux motif de trouble à l'ordre public ! Ça augmente les statistiques mais c'est complètement vain puisque tout le monde sait que ces Roms vont revenir la semaine d'après. On a eu aussi des personnes arrêtées dans l'aéroport en possession d'un aller simple pour leur pays. Qu'on les escorte jusqu'à l'avion pour être sûr qu'ils partent, pourquoi pas. Mais de là à les placer au centre de rétention, c'est un non-sens complet. Tout ça pour faire du chiffre et renvoyer des étrangers aux frais du contribuable.

Les étrangers vivent-ils plus durement leur expulsion en 2007 qu'en 2006 ?
Ce qui est plus difficile, surtout, ce sont les conditions d'interpellation. Les gens ont un profond sentiment d'injustice. Par exemple, certains sont interpellés parce qu'ils n'ont pas traversé dans le passage clouté... ça cache du contrôle au faciès. Comme par hasard, les seuls qui se font contrôler pour ce type de motif, ce sont des étrangers, de préférence un peu basanés. On voit bien qu'il y a une espèce de chasse à l'homme qui s'organise. Les gens vivent très mal aussi d'être arrêtés à domicile. Des gens arrivent parfois en pantoufles au centre de rétention parce qu'ils sont arrêtées à 6 heures du matin chez eux. Les conditions d'interpellation rajoutent de l'humiliation à l'angoisse que génère la rétention. Les gens sont plus mal qu'auparavant.

La Cimade, présent à l'intérieur du centre de rétention de Saint-Exupéry, veille à ce que les étrangers aient accès à leur droit. Les personnes retenues peuvent-elles les exercer pleinement ?
On a un souci majeur avec la demande d'asile. On a la malchance d'avoir un dispositif expérimental avec la mise en place de la visioconférence pour les entretiens avec l'officier de l'Ofpra* qui instruit la demande d'asile. On est dans un double déni de droit. Premièrement, au lieu de monter à Paris pour leur entretien, les personnes sont enfermées dans un préfabriqué, face à une caméra. Ce n'est déjà pas facile d'aller raconter son histoire à quelqu'un en face à face. C'est évidemment encore plus difficile de la raconter à une caméra. Ça génère beaucoup d'angoisse. On risque donc de multiplier les erreurs et de renvoyer des personnes menacées chez elles. Secondement, si la personne refuse cette façon de mener l'entretien, sa demande d'asile est rejetée ! La seule justification est de faire des économies en temps et en argent puisque, chaque fois qu'un étranger va à Paris, il faut une escorte policière et un fourgon. On aurait pu imaginer que l'officier de l'Ofpra descende.

*Ofrpra : l'Office français de protection des réfugiés et apatrides est l'établissement public chargé d'assurer l'application du droit d'asile en France.

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