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@Pexels /Madison Inouye

A Lyon, les irritants du quotidien

Quand rien n’est fait, on crée de la conflictualité. L'éditorial du rédacteur en chef de Lyon Capitale.

À Villeurbanne, on lutte désormais contre les “irritants du quotidien”, emmerdeurs de la première heure et autres enquiquineurs de l’ordinaire. “Patricia, mon petit, je ne voudrais pas te paraître vieux jeu encore moins grossier… L’homme de la pampa, parfois rude, reste toujours courtois, mais la vérité m’oblige à te le dire : ton Antoine commence à mes les briser menu !”

Les Antoine qui laissent leurs godasses sur du Louis XVI (et qui, par-dessus le marché, vous font l’objection que c’est du Louis XV, “remarquez, vous n’êtes pas tombé loin”) poussent comme de la mauvaise herbe, aussi vite que les tags tapissent tout ce qu’il y a de vertical et tient debout (mention spéciale pour Lyon).

Ces sagouins aux comportements crétins, Cédric Van Styvendael, l’un des derniers maires socialistes de la métropole (le sixième d’affilée à Villeurbanne), a décidé de les “rappeler à la règle et au cadre de vie commun”. Pour l’édile, passé par le scoutisme dont l’une des vertus cardinales est le civisme, ces petits gestes du quotidien qui ne sont “pas respectueux du vivre-ensemble” génèrent de l’énervement “pour de nombreux Villeurbannais”.

Depuis avril, dix-neuf agents de la nouvelle “brigade du cadre de vie” sillonnent donc les rues de la ville pour lutter contre ces manquements au civisme ordinaire et ces conduites anodines qui empoisonnent la vie du plus grand nombre. Au programme : contrôle du stationnement gênant en double file et sur les espaces réservés aux personnes à mobilité réduite ou aux livraisons, rappel à l’ordre des conducteurs de vélos, de trottinettes (et de scooters précise la mairie) qui slaloment sur les trottoirs, incitation des maîtres à ramasser les crottes de leur chien, contrôle des comportements inappropriés, notamment lorsque les forbans jettent leurs papiers ou leurs mégots dans les parcs et jardins (pourquoi seulement dans les espaces verts ?). Avec amendes à la clé en cas de récidive.

L’augmentation des incivilités n’est pas une question anodine. Elle peut donner le sentiment d’un délitement social, d’une désagrégation de ce qui fait société, participant de fait à une exaspération partagée croissante. Si le non-respect de ces règles de civilité ne détruit pas une société, il lui porte assurément atteinte.

La plupart du temps, ces incivilités du quotidien sont bénignes (crachats, usage intempestif de son téléphone portable dans le métro ou le train, insultes gratuites, etc.) mais les prendre à la légère, les laisser se développer peut avoir des effets plus sérieux. C’est la théorie de la vitre brisée : quand un carreau n’est pas immédiatement réparé, le lieu est considéré comme abandonné ou délabré et d’autres dégradations suivront. Exemple type : les tags.
Autrement dit, les incivilités engendrent un sentiment d’impunité favorable au passage à l’acte. Il y a aussi le phénomène (en psychologie) de “l’apprentissage vicariant” : si, dans le lieu dans lequel vous êtes, personne ne respecte la règle, vous serez davantage enclin à imiter le comportement général.

Or, quand rien n’est fait, on crée de la conflictualité. En laissant les stigmates de ces incivilités, on rappelle cette conflictualité de laquelle naissent les tensions. On finit par construire des murs, les gens ne parvenant plus à vivre côte à côte mais face à face. Finalement, l’incivisme noyaute ce que nommait le sociologue Norbert Elias le “processus de civilisation” et la “civilisation des mœurs”.

La tranquillité publique, dont le maire est le garant, est intimement liée aux notions de civilité et d’incivilité. Si les civilités sont l’affaire de tous, c’est au premier édile de prévenir les incivilités des “salisseurs de l’espace public”, notamment pour faire retomber les tensions. Cet état de paix sociale (la tranquillité), auquel chacun d’entre nous aspire, est aussi celui d’une société qui garantit à tous le droit de vivre sereinement et paisiblement. Les Villeurbannais ont été entendus. Les Lyonnais ne demandent pas plus.

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