Iran : la mémoire des disparus ravive le vent de la liberté

Alors que plusieurs milliers de franco-iraniens sont attendus ce week-end, le 1er juillet, à Villepinte, Alex Taraj, président de l'association des franco-iraniens du Rhône pour la démocratie et la laïcité, décrypte la révolte qui couve au pays de Mollahs, alimenté notamment pas la mémoire du massacre de 30 000 opposants à l'été 1988.

C’est devenu un rituel. Comme chaque année, les franco-Iraniens se donnent rendez-vous depuis toute la France, aux côtés de sa diaspora qui se réunit en un gigantesque rassemblement au nord de Paris le premier week-end de juillet. L’occasion pour dénoncer, encore et toujours, le visage inhumain de la république islamique d’Iran. Pour autant, on aimerait bien se passer de ce type de rassemblements. Mais tant que des tyrans gouverneront, des hommes et des femmes se lèveront pour lutter contre cette tyrannie. Cette année à Villepinte, le 1er juillet, ils seront encore plusieurs dizaines de milliers à réclamer justice, liberté et démocratie.

Si le guide suprême au pouvoir à Téhéran porte un intérêt empli d’inquiétude à ce rassemblement, c’est que le vent de la liberté semble souffler de plus en plus fort, y compris à Téhéran. Et les dernières actualités révèlent un édifice étatique religieux dont les fissures se font de plus en plus larges. Déjà, des crevasses apparaissent au grand jour, à travers les attaques venimeuses que se livrent les deux factions, d’un côté celle du Président, le mollah Hassan Rohani, de l’autre celle du Guide, le mollah Ali Khameneï. La récente campagne présidentielle a accentué la brèche tout en permettant à une ancienne plaie de s’ouvrir au sein de la société iranienne, celle du massacre des prisonniers de l’été 1988 : plus de trente mille opposants incarcérés, parmi lesquelles des adolescents et adolescentes et même des femmes enceinte, abattus de sang-froid par les sbires du régime.

Un tabou refoulé fait surface

Cette remontée d’un épisode sombre de la république islamique, une fois n’est pas coutume, n’est pas que le seul fait du peuple. Un peuple qui veut des réponses, qui souhaite que les coupables de ce qui fut un crime contre l’humanité, l’un des plus imposants en nombre et qui ne ciblait que des ennemis potentiels du régime, soient jugés. Non. L’ombre de ce massacre est remonté jusque dans les discours de certains dignitaires du régime, repris par la presse de l’état, disqualifiant d’office certains candidats dans une hypocrisie générale proche de l’idiocratie. Quand le président sortant, Hassan Rohani accuse fort justement son concurrent, Ebrahim Raïssi, le préféré du guide suprême, d’avoir perpétré ces exécutions sommaires, il oublie que lui-même a nommé ministre de la justice un certain Mostafa Pourmohammadi, lui-même fortement impliqué dans l’application de la fatwa du guide suprême d’alors, fondateur de la république islamique, l’ayatollah Khomeiny.

Pour rappel, une commission de la mort était alors composée par Khomeiny de quatre personnage : Ebrahim Raïssi, Mostafa Pourmohammadi, Hossein-Ali Nayeri et Morteza Echraghi. Tous occupent encore de hautes fonctions au sein de l’état islamique Iranien. Qu’ils se nomment réformistes ou conservateurs, tous assument ce massacre en vérité, et le justifient ouvertement comme ayant été un bienfait pour la sécurité de l’état. Il aura suffit qu’un enregistrement audio d’Hossein-Ali Montazeri (dauphin par la suite écarté de Khomeiny) avec ces fameux membres de la commission de la mort soit révélé au grand public en août dernier, pour que l’édifice vacille sur ses bases. Et les tremblements ne cessent de résonner. La désignation du candidat malheureux de la présidentielle par le camp conservateur d’une des figures de ce massacre a fait déborder le vase.

Le vent se lève, et il souffle avec lui des horizons de liberté

Pour bien comprendre, reprenons simplement quelques termes de la fatwa lancée par Khomeiny en 1988. Lassé de la résistance à son encontre, ce dernier décide de lessiver le pays de toute résistance à sa "parole d’évangile" : "Tous ceux qui sont emprisonnés à travers le pays et qui persistent dans leur hypocrisie sont condamnés à mort car ils sont en guerre contre Dieu. Il serait naïf d'être clément à l'égard de ceux qui ont déclaré la guerre à Dieu. L'intransigeance de l'Islam à l'égard des ennemis du Dieu fait partie des principes intangibles du régime islamique. J'espère que votre colère et votre haine révolutionnaire contre les ennemis de l'Islam produiront la satisfaction de Dieu. Que les Messieurs chargés de prendre les décisions ne fassent preuve d’aucune hésitation, ni doutes, ni atermoiement. Ils doivent s'efforcer à réprimer les mécréants avec la plus grande violence."

Et il ne s’agit que d’un extrait. Bien sûr, l’idée même que le peuple demande des comptes à ceux qui confisquent le pouvoir depuis 38 ans révulse complètement le guide suprême actuel, Ali Khameneï. Ce dernier est d’autant plus en colère et frustré qu’il a totalement échoué dans sa quête de trucage des élections présidentielles. Son poulain n’a pas été élu, malgré l’ingénierie électorale bien connue des Iraniens. Il n’a pas apprécié que l’on se serve de cette page de l’histoire pour discréditer son candidat. Les manifestants scandaient le nom de Raïssi en le traitant de bourreau. Alors le Guide n’a pas hésité à fustiger le peuple et tous ceux qui réclament des comptes à l’état iranien en déclarant notamment : "Ceux qui cherchent à ternir l'image de notre système, nous rappellent les années 1980 (...) Ils n’éprouvent aucune honte à troquer la place du ‘"meurtrier’’ et celle du "martyr’’ !" Pour Khameneï, les héros sont donc les meurtriers. Et les résistants enterrés dans des fosses communes, endossent donc l’habit du diable. Une inversion des valeurs qui ne manque pas de choquer, mais qui est pourtant partout reprise dans la presse officielle. De fait, le peuple a su se saisir de ce mot de Khameneï pour le subvertir et crier sa défiance au système. Ni bourreau, ni charlatan ! Le tout, en brandissant affiches et slogans au nom de l’opposante Maryam Radjavi, la présidente élue du Conseil de la Résistance Iranienne. Gageons que ce mot d’ordre sera repris avec ferveur par une foule immense lors du prochain rassemblement à Villepinte pour "un Iran libre", le 1er juillet prochain. Un rendez-vous suivi largement par satellite et réseaux sociaux interposés par les Iraniens de l’intérieur. De quoi contribuer à fissurer plus largement encore un édifice qui ne demande plus qu’à s’écrouler sur lui-même.

Par Alex Taraj, président de l’Association des franco-iraniens du Rhône pour la démocratie et la laïcité

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