Biographie hospitalière : “prendre soin” en redonnant de la valeur au vécu

La biographie hospitalière - qui permet aux personnes en fin de vie de se raconter une dernière fois - se développe depuis 20 ans. À Lyon, ce service a déjà été mis en place au centre Léon-Bérard et à l’hôpital Saint-Luc Saint-Joseph. Un nouveau projet porté par plusieurs biographes hospitalières de la région lyonnaise est en cours de discussion aux Hospices Civils de Lyon. 

Après avoir complété sa formation de soignante avec un Master d'histoire et une formation au métier de biographe hospitalière, Evelyne Gass exerce désormais au sein de l'association Passeur de mots et d'histoires. Elle nous raconte l'histoire de sa première rencontre avec la biographie hospitalière : elle se rendait régulièrement chez une personne âgée, que les troubles cognitifs empêchaient de rester seule chez elle. “Elle me racontait des choses si émouvantes sur son enfance, avec force détails, anecdotes. Je trouvais ça tellement livresque, je voyais les images, je la voyais brosser les longs cheveux blancs de sa grand-mère”. C’est cette rencontre qui marque le point de départ de son aventure de biographe hospitalière : “un jour, je suis venue avec un cahier, parce que je me suis dit qu’il fallait que je l’écrive ; et j’ai continué à tirer les fils. Ça allait presque de soi”. 

Collecteuses de récits de vie

Écrire le récit de vie de cette dame l’a aussi marquée car “il se trouve que quelques mois plus tard, elle était dans l’incapacité totale de raconter son enfance”. Proposer un service comme celui-ci répond alors au besoin - tellement humain - de laisser une trace, de raconter une dernière fois des histoires qu’ils n’ont parfois jamais pu ou voulu dire.

C’est dans ce rôle de “récolteuse d’histoire de vie” qu'Evelyne Gass a le sentiment d'aider au mieux les personnes qu'elle accompagne, mais aussi leurs proches et, dans le cadre hospitalier, le personnel soignant. Par exemple, du côté de l’équipe qui a, par la suite, accueillie cette nouvelle patiente en EHPAD, ce livre a permis de mieux la connaître : “ce n’était plus seulement une personne avec des troubles cognitifs sévères, incapable de se raconter ou d’être en communication avec les autres” mais “c’était aussi cette dame, avec toute la richesse de son vécu”. 

Cécile Bouiller, biographe hospitalière dans l’association Mon mot à dire nous raconte ses premières expériences : c’était pendant la pandémie de Covid19, à un moment où, dans les hôpitaux, les patients étaient particulièrement isolés de leurs proches. Quand Cécile Bouiller, qui avait alors une formation d'assistante sociale et de biographe, a proposé ses services, sa mission consistait d’abord à “alimenter un carnet de bord de leur hospitalisation” à destination des proches. Mais assez vite, elle s’est rendue compte que les patients avaient un besoin de raconter leur vie, leur enfance, de parler à quelqu’un qui a véritablement le temps de les écouter. Cette première expérience l’a donc convaincue de l’utilité de proposer la biographie hospitalière comme un soin de support dans les hôpitaux, et de rejoindre l’association Mon mot à dire, créée en 2021. 

Raconter son histoire, ça soigne
C’est d’abord pour les personnes qu'elle accompagne qu'Evelyne fait ce métier, pour les apaiser, pour soigner les derniers moments de vie qu’il leur reste. Evelyne résume la biographie hospitalière comme “l’occasion de prendre soin de soi en opérant un retour sur sa vie [...], de se reconfigurer, [...] de se restaurer, souvent une dernière fois”. “Raconter son histoire, ça soigne - ça ne guérit pas mais ça prend soin” : c’est là toute la subtilité du métier. Contrairement aux médecins il ne s'agit pas de repousser l’imminence de la mort mais de permettre aux gens de “se retrouver en se racontant” et, s’ils le veulent, de “transmettre” leur histoire. Ainsi, pendant le temps de l'entretien, les patients sortent de leur identité de “sujet, ou même objet de soin” pour se réapproprier leur humanité. 

Je m’ennuie souvent quand je lis des romans maintenant
Au-delà des bienfaits pour les patients, les proches et le personnel soignant - ce qui est déjà beaucoup - Evelyne nous raconte comment, pour elle, les “petites histoires” sont connectées à la “grande histoire” et comment laisser une trace de ces histoires individuelles et familiales est nécessaire au bon fonctionnement de notre société.

Nos sociétés souffrent d’un défaut de transmission”. Evelyne entend montrer l’importance de connaître notre passé, aussi bien individuellement que collectivement, pour savoir qui nous sommes et vers quoi nous nous dirigeons. Pour elle, il ne faut pas mettre la mort et les personnes âgées à l’écart de notre société, mais au contraire les écouter et “se nourrir de leur expérience, s’en inspirer”. Evelyne nous confie qu’elle “trouve souvent que les vies sont plus intéressantes, plus émouvantes que les romans [...] : elles sont tellement pleines de rebondissements, d’épreuves, de réussites aussi, de capacité à résister, à se dépasser

Proposer la biographie hospitalière à l’hôpital Edouard-Herriot
Sophie Francioni est médecin-cheffe de service aux Hospices Civils de Lyon. Forte de sa précédente expérience dans l’USP du Mans, où la biographie hospitalière a été intégrée aux soins en 2015, elle nous explique combien ce soin de support est essentiel, tant pour les patients que pour l’équipe soignante. Pour les équipes, la biographie hospitalière permet de changer le regard qu’elles portent sur les patients, en leur redonnant une dimension de personne. 

C’est dans cette perspective qu'Evelyne Gass et Cécile Bouiller - ainsi que d'autres biographes hospitalières de la région lyonnaise - se sont associées pour proposer leurs services dans trois unités des HCL : oncologie, hépato-gastroentérologie et à l’unité de soins palliatifs (USP) de l'hôpital Edouard-Herriot.

La particularité de ces derniers est que la guérison n’est plus un horizon vers lequel regardent les familles, les soignants ou les patients. Les regards ne sont pas tournés vers le futur mais vers l’instant et tous s’activent à le rendre plus doux. La démarche de laisser trace, mais aussi simplement de regarder vers sa vie - avec une hauteur propre à l’imminence de la mort - peut pleinement contribuer à donner du sens au présent.

Sophie Francioni nous dit que tout est prêt pour proposer ce service aux patients le plus rapidement possible. Cependant, malgré la reconnaissance par l’Assemblée nationale de l'utilité de la biographie hospitalière dans le cadre d’un accompagnement médical complet, ce métier ne bénéficie pas (encore) d’un financement public et repose donc principalement sur le mécénat privé. Cela signifie que les biographes hospitaliers doivent faire eux-mêmes les démarches pour obtenir des subventions, une activité chronophage et non rémunérée qui peut les freiner dans l’exercice de leur métier.

L’enjeu actuel pour les patients, les biographes hospitaliers et l’équipe soignante est donc d’obtenir les financements nécessaires à la mise en place de ce soin. Selon la cheffe de service de l’USP d’Édouard Herriot, proposer ce service aux HCL pourrait faire avancer la reconnaissance de l’importance de la biographie hospitalière, particulièrement pour les patients en fin de vie. 

Reconnaître ce métier est aussi important pour l’encadrer correctement : la charte professionnelle commune à tous les collectifs et associations de biographes hospitaliers de France, écrite au cours de l’année 2024/2025 à la demande du ministère, est un pas vers l’encadrement de la pratique.

Pour plus d'informations, vous pouvez écrire à bhlyonhcl@gmail.com (adresse mail commune pour le projet aux HCL)


Avec l’introduction de la biographie hospitalière au sein de l’hôpital de Chartres en 2007, puis avec la création de l’association Passeurs de mots et d’histoire en 2010, Valéria Milewski à créé ce nouveau métier en France - qui se développe et se structure ainsi depuis presque 20 ans.


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