“Wikipédia n’est pas une encyclopédie”

Fiabilité, modèle collaboratif, baisse du nombre de contributeurs… Rémi Mathis, président de Wikimédia France, répond à nos questions.

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Lyon Capitale : En quoi le Wikipédia de 2013 est-il différent de celui de 2001 ?

Rémi Mathis : Sur le fond, rien n’a changé. Le fait que n’importe qui peut contribuer, que la validation se fait a posteriori, ça n’a pas bougé et ça ne changera pas. Si, en 2007-2008, il y avait des articles qui étaient des torrents d’injures, on s’est rendu compte que Wikipédia était fiable, et qu’il n’y avait aucune raison de modifier le système pour faire plaisir à trois journalistes français.

Wikipédia redéfinit-il le chemin de l’information ?

Wikipédia est un outil pour gens intelligents qui savent l’utiliser. Il ne crée pas de savoir, mais se contente de diffuser des choses qui existent par ailleurs. Ça amène les gens à se poser des questions sur leur rapport à l’information, ce qui n’était pas le cas auparavant. Car, quand on leur donne une information signée Le Monde ou un livre fait par tel expert, les gens croient, ce qu’il ne faut surtout pas faire. Sur Wikipédia, nous sommes clairs : on alerte qu’il n’y a aucune garantie sur ce que vous lisez, et qu’il faut garder toujours un esprit critique.

Wikipédia a-t-il tué les encyclopédies classiques ?

Les objets hybrides et qui n’apportaient aucune source ni expertise, comme le Quid, ont déposé le bilan car ils ne servent plus à rien avec Internet. Celles qu’on avait quand on était petit, comme Encarta, étaient assez peu sérieuses. Aucun article n’était signé et il n’y avait aucune source. Maintenant, restent les encyclopédies “de référence”, si elles réussissent à montrer qu’elles apportent encore quelque chose. Moi, sur des sujets que je connais bien, je vois autant d’erreurs dans l’Universalis que sur Wikipédia. Wikipédia a amené de nouvelles demandes de la part du lectorat et, si les encyclopédies traditionnelles ne réagissent pas et ne répondent pas à cette demande, elles auront des problèmes.

Wikipédia n’a donc pas de défauts ?

Les défauts sont inhérents au mode de fonctionnement. Ce n’est pas une encyclopédie, c’est un projet qui progresse petit à petit et il y a des articles qui ne restent pas bons, incomplets. Il faut du temps pour que ça s’améliore.

Dans “La révolution Wikipédia”, les étudiants de Pierre Assouline expliquent que l’étude de la revue Science (2005), qui a démontré que l’encyclopédie de référence Britannica possédait sensiblement le même taux d’erreurs que Wikipédia, comparait uniquement des articles scientifiques. Ne faudrait-il pas faire la même étude sur des sujets plus polémiques, comme l’histoire ou la politique ?

Un mémoire de master fait en deux mois par quatre étudiants ! (Sourire.) Les articles les plus polémiques sont ceux liés à la religion. C’est vrai qu’il y a des questions où l’on se prend plus la tête que d’autres, mais ce n’est pas aussi simple. Une des plus grosses batailles qu’il y a eues dans la communauté, c’était pour savoir si on devait appeler l’article sur l’endive “endive” ou “chicon”. Et ça a duré des mois, avec des cartes dessinées, pour déterminer quel pourcentage de la population francophone utilisait l’un ou l’autre mot... Ça allait super loin. Je suis assez sceptique sur ces questions d’erreurs, car une erreur ne veut tout simplement rien dire. Dans les articles de sciences humaines ou historiques, vous pouvez avoir des sujets qui sont complètement nuls et n’avoir aucune erreur factuelle. Alors que des articles qui posent les bons enjeux, mais qui vous disent que tel événement s’est passé en 1611 et non pas en 1612, c’est une erreur, mais on s’en fiche. Ce qui est important, c’est le déroulé, le sens.

Lyon Capitale : Déontologiquement parlant, le fait qu’une entreprise ou un acteur public puisse modifier son propre article ne constitue-t-il pas une vraie faille du libre ?

Non, car on ne peut écrire des choses que s’il y a des sources validées par ailleurs. Il y a des discussions. C’est sûr que ça marche s’il y a suffisamment de gens qui s’intéressent à un sujet.

Un vandalisme peut rester en ligne une semaine, mais avoir des conséquences énormes...

Il y a 50 % des vandalismes qui sont supprimés dans les deux minutes. Le risque de présence d’un vandalisme non vu dépend du nombre de passages sur une page. Dans un article sur un graveur du XVIIIe siècle, c’est fort possible qu’il y ait un vandalisme et que personne ne l’ait supprimé. Dans l’article sur Nicolas Sarkozy, c’est impossible.

Le modèle collaboratif est-il une utopie ? On sait que le profil type du contributeur est plutôt masculin, jeune et éduqué. Comme une communauté d’experts qui ne serait pas ouverte à tout le monde...

Ce n’est pas faux du tout. Wikimédia France a pour cela lancé Afripédia avec l’Institut français et l’Agence universitaire de la francophonie, afin de faire en sorte que les habitants d’Afrique noire puissent également devenir wikipédiens, malgré les difficultés techniques : nous tenons beaucoup à cette diversité culturelle. En ce qui concerne la diversité sociale, il y a des travaux sur le changement de l’interface pour la rendre plus compréhensible, plus facile à appréhender pour Monsieur Tout-le-Monde.

Wikipédia a-t-il toujours une image d’encyclopédie peu fiable ? L’AFP interdit par exemple à tous ses journalistes d’utiliser Wikipédia comme source.

De moins en moins, car les grands critiques se sont tus. Ils ont compris qu’ils s’étaient plantés, qu’ils n’avaient pas saisi le fonctionnement profond de Wikipédia, qui est beaucoup plus rigoureux que celui de beaucoup de journaux, beaucoup plus proche des habitudes universitaires de critique et de citation des sources. Sur l’AFP, on a trouvé ça exagéré et naturel. Si on veut citer un article ou une thèse, il vaut mieux regarder quelle est la source utilisée dans Wikipédia, et citer la source, pas Wikipédia. Une position aussi radicale est étrange, elle va à l’encontre d’une approche raisonnée de l’information, à juger et évaluer au cas par cas. Je doute d’ailleurs qu’une interdiction de lire Wikipédia puisse être appliquée !

Depuis 2008, le nombre de contributeurs sur la version anglophone est en baisse. Le modèle de Wikipédia est-il viable sur le long terme ?

Nous n’avons aucune vision sur l’avenir. Wikipédia fonctionne s’il y a suffisamment de gens pour le faire avancer. Sur la version francophone, on n’a pas encore vu une baisse du nombre de contributeurs, et nous faisons tout pour éviter que cela arrive. C’est aussi pour ça que Wikimédia France essaye de faire des ateliers ou des partenariats avec des écoles, des bibliothèques ou des musées.

Finalement, il y aura toujours plus d’articles, mais pas forcément plus de contributeurs...

On espère que si. En tout cas, le nombre de contributeurs actuel est minime par rapport aux personnes qui utilisent Wikipédia. Il suffirait qu’il y ait ne serait-ce que 1 % des gens qui consultent Wikipédia qui savent que, quand il y a un vandalisme, on peut, dans l’historique, revenir à une version précédente, et qui n’hésitent pas à corriger une faute d’orthographe quand ils la voient, pour que ça roule. Il suffirait de peu de chose pour que le nombre de contributeurs explose.

Avec les générations qui ont 20 ans aujourd’hui, on a des jeunes qui ont fait tout leur collège, tout leur lycée avec Wikipédia. Ils savent ce qu’est l’encyclopédie en ligne, ils n’ont pas peur. Notre directrice des programmes a deux enfants de 9 et 12 ans qui contribuent sous sa surveillance. C’est un outil formidable ! Dans le cadre de l’éducation, leur apprendre à lire, à critiquer ses sources, c’est super intéressant. Universalis, c’est vraiment de la consommation pure, quand Wikipédia construit leur esprit, et dessine de quelle manière la connaissance se crée.

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Pour tout savoir sur l'encyclopédie en ligne la plus consultée au monde, lire notre enquête : Faut-il avoir peur de Wikipédia ?

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