Karim Aou

“L’extension de la déchéance de la nationalité n’est pas une solution”

“Au nom de la concorde nationale, il faut retrouver raison”, exhorte l’ancien conseiller municipal PS de Villeurbanne Karim Aou, dans la tribune libre que nous publions ci-dessous.

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“Les poisons sont quelquefois des remèdes, mais certains poisons ne sont pourtant que des poisons.”
Léon Blum

Fils de la République, je croyais l’être pleinement et non un adopté, un sous-citoyen ou un terroriste en puissance. Né dans la capitale des Gaules il y a 38 ans d’une mère lyonnaise enfant de l’après-guerre et d’un père originaire d’Algérie alors française, j’avoue que le climat et les débats actuels me blessent comme ils blessent tous les démocrates et les républicains.

Issu de deux cultures, je suis le produit d’un mélange de la France qu’on louait encore il y a quelques années, notamment à l’issue de la Coupe du monde de football en 1998. Mon père a en effet choisi en 1962 de prendre la nationalité algérienne, ce qui fera de moi quinze ans plus tard un Franco-Algérien, un métisse. Le métissage a été, enfin je le pensais jusqu’à présent, une forme d’enrichissement pour notre pays qui est un groupe social et non une hypothétique ethnie dont il faudrait m’expliquer les contours.

Par choix, mes parents m’ont inscrit à l’école publique et m’ont appris le sens des valeurs humanistes et les devoirs qui fondent notre communauté de destins. Laïc et démocrate, je me suis toujours opposé à l’obscurantisme, aux communautarismes quels qu’ils soient, au racisme et à toutes les injustices.

Parce que au quotidien j’ai connu et je connais encore le racisme ordinaire, les discriminations à l’embauche ou au logement, le délit de faciès, j’ai multiplié les formes d’engagement pour démontrer à tous que je suis un citoyen comme les autres et que j’ai le souci de contribuer au vivre ensemble.

Dans ma jeunesse, j’ai d’abord découvert le militantisme associatif, d’abord par le sport, puis contre le racisme sans doute parce que j’y étais de fait déjà sensibilisé. La mutualité a aussi été pour le citoyen en formation que j’étais une façon de découvrir la générosité de notre société.

Ensuite c’est dans le champ syndical et politique que se sont portés mes intérêts. Au lycée puis à l’université, le sort de mes condisciples m’a toujours tenu à cœur. Le brassage social durant mon cursus m’a fait comprendre que, malgré des inégalités tenaces, nous avions en principe les mêmes chances de réussir.

“Liberté, Égalité, Fraternité, Tolérance”

Pour renforcer le pacte républicain, je me suis engagé en politique. J’y ai investi du temps et toute mon énergie : vingt années passées au Parti socialiste, dont sept en tant qu’élu municipal à Villeurbanne, et depuis bientôt trois ans à Europe Écologie-Les Verts dans le 5e arrondissement.

Militant politique, j’ai combattu les ennemis du vivre-ensemble, les opposants aux principes qui ne sont pas que des mots pour moi, au regard de mon parcours personnel : Liberté, Égalité, Fraternité. J’en ajouterai même un : Tolérance.

Le contexte démocratique, économique et social se durcit de jour en jour et ce depuis des décennies. Le lien social est battu en brèche, l’individualisme prospère en ces temps de crise, laissant aux populismes toute la latitude pour se développer.

Au mois de janvier d’abord, puis en novembre, le peuple français a vécu l’inacceptable. Le terrorisme sur notre territoire et le risque persistant d’une potentielle récidive peut amener à des mesures exceptionnelles. Cependant, je ne crois pas que celles-ci doivent s’inscrire dans le temps et encore moins dans la Constitution.

Opposé à la prolongation de l’état d’urgence, je m’insurge surtout contre l’extension de la déchéance de la nationalité, faisant des binationaux des citoyens en sursis, mais surtout les stigmatisant comme étant des terroristes en puissance.

La proposition est absurde, d’ailleurs : qui peut croire qu’être déchu de ses droits civiques et politiques, qu’être expulsé du territoire va dissuader un seul de ces fanatiques ? L’idée de cette mesure est une réaction à l’horreur, elle participe peut-être d’une sincère envie de rassurer les Français, mais elle n’aura pour fin que de les diviser, d’animer la suspicion et évidemment la haine.

Je ne me hasarderai pas dans des comparaisons historiques douteuses, mais je l’écris sans retenue à l’adresse du président de la République, du Premier ministre et de toute la représentation nationale, porter cette mesure au vote du Congrès ou par référendum constituerait à mes yeux, comme à ceux de nombre de nos concitoyens, une faute politique et morale sans précédent.

La déchéance de la nationalité doit sortir du projet de révision constitutionnelle, au nom de la concorde nationale. Il est encore temps de retrouver raison.

Karim Aou
Ancien conseiller municipal de Villeurbanne
Militant Europe Ecologie-Les Verts du groupe de Lyon

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