30 ans de Handicap International : ''Je le vis, je le sens, comme au premier jour''

ENTRETIEN - Jean-Baptiste Richardier, cofondateur et directeur général d'Handicap international revient sur les trente ans de l'ONG lyonnaise, fêtés le 19 juillet dernier. L'événement sera célébré le 29 septembre prochain, lors de la pyramide de chaussures, place Bellecour (Lyon 2e).

Lyon Capitale : Handicap International fête ses 30 ans. Bonne ou mauvaise nouvelle ?

JB Richardier : (Rires) C'est plutôt une bonne nouvelle, car c'est le signe d'une institutionnalisation, mot qui nous faisait horreur il y a 30 ans. Quand on a commencé, on était rempli de volontarisme romantique, on était des indignés ! Notre utopie créatrice voulait qu'on travaille à notre propre disparition, on était simplement là pour corriger une ''injustesse''. Handicap International a défini son rôle au fil des années. En 30 ans, on a pris conscience que la pérennité d'Handicap International était une bonne chose, car aujourd'hui, nous sommes devenus le vecteur d'un accompagnement social.

Justement, pouvez-vous nous raconter dans quelles conditions vous avez créé l'association ?

C'était au Cambodge, pendant le régime des Khmers rouges. Je n'aurais jamais été à l'origine de cette organisation sans ma femme, Marie. C'était un projet de couple. Mais c'était aussi grâce à mon ami, Claude Simonnot et sa femme Marie-Eve, qui accessoirement, est ma sœur ! Il y avait une dimension familiale que l'on ne trouve plus aujourd'hui. Là-bas, on était au service des gueules cassées. J'étais obstétricien chez Médecins sans frontières. C'est la révolte intellectuelle qui a conduit à la création d'Handicap International. Nous ne comprenions pas comment l'armada d'aide humanitaire était incapable de répondre aux besoins des 6000 amputés et de la centaine de paraplégiques réfugiés. On n'avait pas le droit de faire simplement ce qu'on pouvait! Il fallait offrir une solution acceptable au plus grand nombre, ce que l'appareillage académique ne savait pas faire.

Vous êtes encore présent dans plus de 60 pays. Comment expliquez-vous cette situation, en 2012 ?

On a travaillé en France aussi ! Mais dans les pays du sud, les carences de réponses spécifiques au handicap sont pires. On a réussi à convaincre les bailleurs de fonds qu'il était nécessaire de sortir des moyens pour ces personnes, doublement touchées en situation de crise ou de guerre. Nous voulions travailler aux côtés des collectivités pour induire un changement durable. Nous avons favorisé l'émergence de partenaires locaux, travaillé à la réorganisation et parfois à la création de formations... Tout ça prend du temps!

Depuis 30 ans, quels ont été les moments d'espoir et de désillusion les plus marquants ?

Les conséquences du génocide au Rwanda ont été très douloureuses, tout comme mes premiers contacts avec la mutilation, au Cambodge. Un des pires moments d'abattement, c'était pendant la guerre des Balkans. J'ai maudit les politiques européennes de ne pas avoir été capable d'être aux côtés des acteurs de la paix. Je suis meurtri d'avoir dû baisser la tête à Sarajevo. Mais c'est aussi dans les Balkans que j'ai ressenti de l'espoir, quand nos convois apportaient de quoi survivre à la centaine d'institutions présentes. On a réussi à obtenir un cessez-le-feu pour les faire évacuer, et on a créé un réseau d'approvisionnement. On a réussi à fédérer autour d'un projet des gens qui, sans ça, se seraient détestés.

Vos motivations et votre façon de faire de l'humanitaire ont-elles changé depuis 30 ans ?

Les sensations sont les mêmes, même si aujourd'hui je n'ai plus les outils dans les mains. J'essaye de transmettre, car j'en parle dix fois mieux maintenant qu'il y a 30 ans, et je suis plus à l'aise avec l'analyse politique. Mais je ne suis pas du tout blasé, la détermination à se battre demeure. Je le vis, je le sens, comme au premier jour.

Parvenez-vous à dialoguer facilement avec les gouvernements ?

Oui, les situations d'absence de dialogue sont les plus rares. La plus marquante reste à nos débuts, avec les Khmers rouges. Mais un gouvernement a la responsabilité de protéger sa population, ce qui généralement prévaut sur le reste.

Quand et comment est apparue la première pyramide de chaussures ?

Cette manifestation existe depuis 18 ans. La première signification, c'était ce geste rageur que représentait le fait de jeter ses chaussures pour dire non. A l'époque, la mobilisation a été au-delà de nos espérances, on a fait l'ouverture des trois JT de 20h. Cette pyramide, c'est un symbole qui a une grande noblesse. Avant de jeter leurs chaussures, les gens ont un temps de recueillement au pied de la pyramide. Ils se sentent concernés, c'est important.

Vous ne parlez pas du tout des mines antipersonnelles, comme on pourrait s'y attendre. Pourquoi ?

Les mines, c'est un étendard qui nous rend identifiables, et c'est une force d'être identifié à une cause. Si je n'en parle pas, ce n'est pas un reniement, c'est simplement que notre projet va bien au-delà.

A ce sujet, sur quels terrains êtes-vous le plus optimiste ? Et pessimiste ?

Aujourd'hui, la Syrie nous inquiète tous. Tout est possible là bas, il y a une telle concentration d'armement. Mais nous avons des joies aussi. Le Mozambique, qui a connu une guerre civile parmi les plus cruelles, est en train de devenir un eldorado touristique. Nous y avons concentré une grande partie de notre programme de déminage, tout comme au Laos, au Cambodge, au Sénégal, et en Libye.

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