Charges fragiles dans l’enquête sur la BAC de Vénissieux

Selon nos informations, l'enquête sur des faits de corruption visant des fonctionnaires de police de la BAC de Vénissieux pourrait être prochainement. Onze mois après l’éclatement de cette affaire, les éléments à charge concernant la corruption apparaissent faibles. Lyon Capitale a repris l’enquête depuis ses débuts et dévoile les incohérences du dossier et les doutes de la police des polices sur les faits de corruption.

L'affaire avait sapé le moral de la police lyonnaise, en mettant l'accent, un an après l'affaire Neyret, sur de nouveaux agissements de flics ripoux en son sein. Le 11 septembre 2012, sept policiers opérant, pour la plupart, à la BAC de Vénissieux étaient interpellés dans une vaste affaire de corruption. Neuf mois plus tard, le dossier, s'il n'est pas complètement vidé de sa substance, s'oriente semble-t-il vers d'autres incriminations pénales. La corruption – présentée comme l'élément à charge majeur de cette affaire – a vécu.

"La procédure dans ce genre d'affaires permet de relativiser énormément les charges. Il s'agit de dossiers où il n'est pas étonnant d'achopper sur des éléments probatoires", analyse une source judiciaire proche du dossier. En clair, et pour autant qu'ils existent, les faits de corruption impliquant les fonctionnaires de police sont difficiles à mettre en évidence. Pourtant, l'affaire avait soufflé un vent de panique dans toute l'institution judiciaire, puisque même un vice-procureur de la République de Lyon ainsi que son épouse avaient été auditionnés dans la procédure. Mais des éléments de l'enquête interrogent aujourd'hui.

Les flics de la Golf 4 et les narcos

Après une enquête préliminaire débutée en août 2011, le juge lyonnais Philippe Duval-Molinos héritait d'une information judiciaire en octobre de cette même année pour des faits de trafic de stupéfiants en bande organisée, de trafic d'influence et de corruption au sein de la BAC de Vénissieux. Un informateur anonyme, enregistré au Bureau central des sources, racontait comment "depuis de nombreuses années plusieurs policiers affectés au commissariat de Vénissieux se [livraient] à des vols et à des actes de corruption visant à faciliter les trafics de drogue" – témoignage cité dans une note émanant de la brigade des affaires générales de la sûreté départementale, chargée des premières investigations sur la BAC de Vénissieux.

"Le témoin nous narrait tout d'abord comment, en 2005, il avait commencé à entendre parler des policiers de la Golf 4. Selon la rumeur de l'époque, lorsque ces policiers procédaient aux contrôles de jeunes du quartier porteurs de cannabis, le produit et, le cas échéant, l'argent étaient confisqués et les jeunes étaient relâchés sans autre forme de procédure", poursuit le document d'une quarantaine de pages. L'indic va jusqu'à affirmer que "les policiers [recevaient] de l'argent de la part des trafiquants de drogue en échange d'informations visant à faciliter le trafic de drogue sur la commune de Vénissieux".

Les enquêteurs vont même recevoir le nom d'une famille de narcotrafiquants très puissante à Vénissieux, dont l'un des membres aurait fêté en 2011 "à Monaco son deuxième million d'euros dans la plus grande tradition des trafiquants". Des policiers de la BAC de Vénissieux auraient été présents lors de cette "célébration" à Monaco, selon des indicateurs. Cette famille, soulignent les enquêteurs, attendait "des policiers de connaître le nom des personnes faisant l'objet d'une enquête ou d'objectifs de la police, des dates d'opérations de police, ou encore des informations issues des fichiers de police aux fins de localiser des concurrents, ennemis ou mauvais payeurs. Ces prestations feraient l'objet d'une rémunération dont la valeur pécuniaire n'est pas fixe". Mais les révélations des indics vont se révéler totalement creuses et inexploitables.

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Les Bœuf-Carottes à contre-courant

L'Inspection générale de la Police nationale (IGPN), cosaisie de l'enquête, va en effet freiner les ardeurs des sources qui se sont confiées aux limiers de la brigade des affaires générales. Une note de synthèse de la “police des polices”, que nous avons pu consulter, va à contre-courant des conclusions de cette brigade.

Pour les Bœuf-Carottes, les indicateurs de la brigade des affaires générales de la sûreté départementale n'ont “jamais été témoins directs d'une remise d'argent [aux policiers], ne [citent] aucune date, ni aucun montant précis à ce propos, les vérifications sur la téléphonie déjà effectuées par la sûreté départementale ne révélant d'une part aucun lien direct entre les familles et les policiers et, d'autre part, ne révélant pas l'activation courant 2011 de bornes téléphoniques dans le secteur de Monaco par les téléphones habituellement utilisés par les policiers".

Impossible en clair d'exploiter les renseignements fournis par leurs indicateurs sur les liens entre les policiers et des membres liés au trafic de stupéfiants sur Vénissieux. Les enquêteurs vont néanmoins concentrer le gros des investigations sur une autre famille de Vénissieux, les frères Hamoud, qui sont eux très éloignés du trafic de stupéfiants.

Des pizzas pour les Restos du cœur

Les quatre frères Hamoud entretiennent des relations suivies et répétées avec plusieurs policiers de Vénissieux, mais également avec des magistrats du parquet de Lyon. Echange d'informations sur des affaires en cours, consultation et communication du fichier des personnes recherchées en vue d'éclairer la famille Hamoud sur la situation de l'un des leurs, annulation de contraventions, clémence sur le défaut de permis d'un membre de la famille.

Les fonctionnaires auraient profité en échange de téléviseurs, de lecteurs DVD, de téléphones portables ou de matériels électro-ménagers à des tarifs préférentiels. Miloud Hamoud, l'aîné de la fratrie, est à la tête d'une florissante société qui détient des contrats avec de grandes marques comme Samsung, Toshiba ou LG. Les enquêteurs de la sûreté le considèrent comme le chef présumé du réseau de corruption, “étant entendu qu'il apparaît comme celui qui, grâce à son statut social, fournit les compensations financières aux fonctionnaires, soit directement, soit à la demande” de ses frères. Mais, là encore, la police des polices restera dubitative.

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Avant l'interpellation et le placement en garde à vue de tous les protagonistes du dossier, la note de synthèse de l'IGPN va rappeler à plusieurs reprises que certains faits “semblent prescrits” et que plusieurs “faits dénoncés dans les renseignements recueillis sous X... n'ont pu être allégués”. Rappelant la réalité des charges qui pèsent sur chacun des policiers mis en cause, les Bœuf-Carottes indiquent par exemple pour l'un des fonctionnaires que “les faits de corruption allégués dans les renseignements initiaux ne sont, à ce stade, pas établis” ou encore qu'il “n'est pas établi, à ce jour, que les services du policier aient donné lieu à des contreparties, autres que des déjeuners, permettant de caractériser l'infraction de corruption” dans le cas d'une autre fonctionnaire mis en cause.

Il y a un exemple dans lequel ne manqueront pas de s'engouffrer les avocats de la défense au moment du procès. Dans une écoute téléphonique, l'un des frères Hamoud – conduisant sans permis – propose à un fonctionnaire de police “un lot de 200 pizzas pour le resto de sa femme”. Le restaurant en question s'avère être le Resto du cœur de Vénissieux, géré par la concubine du fonctionnaire de police ! Mais 400 000 euros retrouvés lors des perquisitions vont permettre de donner du relief à l'affaire et susciter beaucoup de fantasmes.

400 000 euros

Dans un premier temps, il sera expliqué que cette somme d'argent a été retrouvée au sein de la société gérée par Miloud Hamoud. En réalité, si ces 400 000 euros ont bien été retrouvés dans la société en question, l'argent n'était pas chez M. Hamoud mais chez Jacques Odier, son associé, lui aussi mis en examen mais dont on parle beaucoup moins dans le dossier. Outre l'argent, en liquide, était retrouvé chez M. Odier un lingot d'or d'un kilo.

Et pourtant, si Miloud Hamoud a l'interdiction de reprendre son activité professionnelle et subi un contrôle judiciaire strict, la justice a donné l'autorisation à Jacques Odier de gérer la société. Deux poids, deux mesures ? David Metaxas, l'avocat de Miloud Hamoud, vient d'envoyer au magistrat en charge de l'enquête une requête pour dénoncer cette différence de traitement. Différence de traitement qui illustre les nombreuses anomalies du dossier.

Une clôture de l'enquête serait prévue pour septembre prochain. Selon une source judiciaire, les éléments les plus convaincants reposeraient sur des faits de violation du secret professionnel et un détournement de fichiers, voire une escroquerie à l'encontre de plusieurs policiers et un abus de bien social caractérisé pour Miloud Hamoud.

Il faudra cependant attendre les réquisitions du procureur de la République de Lyon pour savoir ce qu'il advient des charges de corruption.

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