Doubrovsky - Angot : autof(r)ictions aux Assises du roman

Serge Doubrovsky et Christine Angot présentent à ces 7es Assises internationales du roman leur façon d’aborder l’autofiction, genre littéraire – controversé mais incontournable – au centre de leur œuvre.

“Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre : ce n’est pas raison que tu emploies ton loisir en un sujet si frivole et si vain.” Cet avertissement que l’on trouve en préambule aux Essais de Montaigne, publiés en 1580, prouve s’il en était besoin que les écrits autobiographiques ont plusieurs siècles d’existence. Peut-on dire pour autant que l’autofiction existait avant que le terme ne soit inventé en 1977 par Serge Doubrovsky ? Lui-même répond à la question dans un entretien accordé au magazine Le Point à l’occasion de la sortie de son dernier roman, Un homme de passage (éd. Grasset), en 2011 : “Si j’ai inventé le mot et le concept, je n’ai absolument pas imposé le genre. Si on va au fond des choses, Rousseau fait ainsi déjà de l’autofiction quand il dit dans ses Confessions qu’il s’est laissé emporter par l’écriture et l’imagination. Quand on écrit sur des choses vécues, l’écriture les réinvente naturellement. J’ai ainsi cessé d’opposer autobiographie et autofiction. L’autobiographie est une forme du XVIIIe siècle. Aujourd’hui, dans l’ère postmoderne, on ne se raconte plus de la même façon, en débutant par “Je suis né à Genève en 1712”… À chaque époque correspond une manière de s’exprimer sur le sens à donner à sa vie.” C’est bien sur ce dernier point que l’autofiction marque sa différence, elle est en effet profondément liée à notre époque.

Jusqu'au drame

Là où Rousseau et Montaigne faisaient œuvre de moralistes, les “autofictionneurs” d’aujourd’hui plongent dans l’intime, cherchent ce qui constitue leur identité la plus singulière avec une bonne dose d’impudeur. Ce qui les soumet évidemment à l’accusation de nombrilisme brandie par leurs détracteurs, incapables de distinguer la force littéraire que contiennent certaines de leurs œuvres. Et ce qui ne va pas sans danger puisqu’ils mettent en cause ceux qui partagent ou ont partagé leur vie. Lesquels peuvent se sentir blessés par l’image que l’écrivain donne d’eux. Doubrovsky a d’ailleurs connu ce problème. Jusqu’au drame, puisque la femme avec qui il vivait succomba à une surdose d’alcool peu après qu’il lui eut fait lire un chapitre de son livre en cours (Le Livre brisé, Grasset) où son alcoolisme était cruellement dépeint. Ce qui n’empêcha pas l’écrivain, aujourd’hui âgé de 84 ans, après une période noire, de continuer à faire de sa vie la matière principale de ses livres.

Fulgurant

Une démarche que partage Christine Angot, dont l’un des premiers livres s’intitulait justement Sujet Angot*. N’était que, si elle retrace certains épisodes récents de son existence dans nombre de ses ouvrages (Les Désaxés, Les Petits…), c’est sur un épisode lointain et traumatisant qu’elle ne cesse de revenir, l’inceste vécu avec son père. Après L’Inceste, sorti en 1999, elle s’est de nouveau attaquée au sujet avec Une semaine de vacances, qui a encore créé la polémique lors de cette dernière rentrée littéraire. Très loin des “merdes de témoignages” qu’elle ne cesse de fustiger, elle y évoque avec une crudité glaçante, une distance qui crée fascination et malaise, les abus sexuels orchestrés par son père. À l’accusation récurrente de nombrilisme évoquée supra s’est ajoutée celle d’exhibitionnisme et même de pornographie. Pourtant, la puissance de ce petit livre est incontestable, fulgurante. Elle est une preuve supplémentaire que l’écriture sur soi, l’autofiction théorisée par Serge Doubrovsky, a encore de beaux jours devant elle.

* Les livres de Christine Angot cités ici sont tous disponibles en format poche.

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Rencontre avec Serge Doubrovsky. Mercredi 29 mai, à 15h, au musée des Moulages, 3 rue Rachais, Lyon 3e.

Comment faire parler ses personnages ? – Christine Angot, Ronit Matalon et Sandro Veronesi. Dimanche 2 juin, à 14h30, 8 bis quai Saint-Vincent, Lyon 1er.

Christine Angot sera aussi au Comœdia, samedi 1er juin, à 11h, pour présenter le film de Guy Debord “In girum imus nocte et consumimur igni”, projection suivie d'une discussion.

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A lire aussi : les autres chapitres de notre série – le pouvoir de Powers et le temps de Tristan Garcia.

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