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Willy Pasche

Financement des syndicats – Extraits des auditions de la commission parlementaire

EXCLUSIF - Le rapport de la commission d'enquête parlementaire sur le financement des syndicats a été enterré (lire Financement des syndicats). Lyon Capitale publie ici des extraits de l’audition de deux anciens responsables de comité d’entreprise de la SNCF par la commission. Leurs révélations sont accablantes.

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Richard Mallié [président de la commission d’enquête] : Nous allons entendre M. Philippe Chabin.

Philippe Chabin* : Pour ce qui me concerne, j’ai observé en 2005, à la fin de mon deuxième mandat, une anomalie, que j’avais remarquée depuis 2001 : une partie de la dotation sociale, qui aurait dû revenir au CE que je dirigeais, ne lui revenait pas. La direction de la SNCF, que j’ai interrogée, m’a renvoyé vers ma fédération syndicale, où l’on me répond depuis 2001 que “ce n’est pas le moment de parler de ça” ou que, “camarade, il y a des enjeux qui vous dépassent” – phrase symbolique fréquemment entendue. La SNCF compte 26 CE, dont 25 gérés par la CGT. La structure est très cloisonnée et, lors des réunions trimestrielles, il était impossible d’aborder certains sujets et nous restions confrontés à nos problèmes. J’ai cependant persévéré et, fin 2005, j’ai fait état, dans un document distribué à tous les cheminots, de ce problème de dotation sociale, indiquant qu’il convenait de récupérer ces sommes, qui représentent 200 000 euros par an sur les six ans d’existence du CE. J’ai alors été mis à l’écart. On m’a fait comprendre que deux mandats suffisaient – même si certains dirigeants de la CGT en accomplissaient bien plus – et j’ai été écarté des listes électorales.

(...)

Dans le cadre de mon mandat de secrétaire, j’avais identifié très rapidement certains fonctionnements anormaux. Certaines activités organisées sur des financements tirés de la dotation n’étaient même pas offertes aux ressortissants, mais réservées à certains élus, qui pouvaient participer au marathon de New York ou de Chicago. En 1998, par exemple, un dirigeant de la SNCF sollicité pour compléter une de ces activités a offert, au titre des bonnes relations avec les organisations syndicales, une somme de 100 000 francs prise sur le budget de formation de la SNCF.

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Richard Mallié : Que pensez-vous du financement public des syndicats ?

Willy Pasche : (...) La police judiciaire a découvert que les syndicats se partagent chaque année 340 000 euros de formation avec des factures fictives.

Phillipe Chabin : Il y avait au comité d’établissement de la région de Lyon un pacte aux termes duquel, à l’initiative de la CGT, les huit organisations syndicales se partageaient depuis 1995 les deux tiers de la dotation totale de fonctionnement en fonction de leurs résultats électoraux, soit 140 000 euros par an pour la CGT. Tout le monde se partage les miettes du gâteau, y compris SUD.

Willy Pasche : Les responsables n’étant pas responsables personnellement – car c’est le syndicat qui est attaqué –, ils continuent (...) Ce système – notamment de fausses factures – qui dure depuis vingt ans, se poursuit.

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Nicolas Perruchot [rapporteur] : Peut-on penser que M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, a connaissance de ces pratiques ?

Philippe Chabin : Oui. M. Thibault est directement impliqué, car il était cheminot et son épouse travaillait au comité central d’entreprise (CCE). L’un des contrôleurs de gestion qui avait communiqué des éléments à la presse a été licencié sur un témoignage précis de Mme Thibault. On peut aussi évoquer le népotisme : j’ai appris dernièrement que le fils de M. Thibault a été également embauché au CCE. Il est donc forcément au courant de la situation. En tant que responsable de la CGT, les salariés harcelés l’ont saisi, mais il n’a jamais daigné répondre.

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Nicolas Perruchot : Les financements invisibles, comme les rétrocessions, donnent-ils lieu à enrichissement personnel ?

Philippe Chabin : Je ne dispose d’aucun élément en ce sens. Au comité de région de Lyon, par exemple, on organisait des apéritifs ou on louait des voitures. Aujourd’hui, les détournements au CCE représentent 800 000 euros de fausses factures, avec un préjudice chiffré à 350 000 euros : je suis persuadé qu’il y a de l’enrichissement personnel. La personne qui s’est accusée n’a même pas été licenciée du CE pour faute lourde, mais pour faute grave uniquement. Quant à savoir où va l’argent, il est impossible de le savoir.

Quand les prestataires “frères” prennent de la pub

Philippe Chabin : Je vais maintenant exposer la manière dont la fédération CGT ponctionne – sans d’ailleurs que ce soit forcément illégal – la dotation sociale des comités d’établissement (...) Une fois par an ou tous les deux ans, une conférence des secrétaires de CE se tient à Montreuil, avec un mini-salon des “prestataires frères” et des “prestataires amis”. La Tribune des cheminots, journal adressé à l’ensemble des syndiqués, comporte des pages de publicité, par exemple pour une compagnie d’assurances ou pour le groupe Secafi. Ce dernier, “prestataire frère” a été créé par des dirigeants de la CGT et du Parti communiste français et phagocyte la totalité de l’expertise comptable dans les comités d’établissement de la SNCF ainsi que, par le biais d’une myriade de filiales, tous les aspects de l’expertise. Les dirigeants de ce groupe assistaient directement aux réunions de secrétaires de CE. Lorsque j’ai dû me séparer d’un expert-comptable incompétent qui appartenait à Adexi Étoile, une filiale de ce groupe, le responsable du secteur CE-CCE m’a fait part de sa surprise et m’a indiqué qu’en cas de problème avec Secafi, c’était à lui que je devais en référer.

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Richard Mallié : Comment savez-vous qui sont les “frères” et qui sont les “amis” ? Cela est indiqué sur la page de publicité ?

Philippe Chabin : Cela se sait. Le cirque Pinder, par exemple, qui est prestataire pour l’arbre de Noël des 8 ou 9 CE parisiens deux années sur trois – ce qui représente 45 000 à 50 000 places de spectacles – fait généreusement de la publicité dans le journal de la CGT.

J’ai un jour reçu la visite du commercial d’un prestataire qui nous fournissait des jouets et qui nous donnait satisfaction. Il m’a indiqué qu’il quittait la société et souhaitait “entrer dans le circuit”. Devant ma surprise, il m’a indiqué qu’une rétrocesssion de 5 à 10 % du chiffre d’affaires global réalisé avec les 26 CE de la SNCF était opérée sous forme de publicité dans les journaux de la CGT. (...)

Je souligne que le groupe Secafi certifie également les comptes du groupe SNCF et qu’il est souvent chargé d’expertises dans le cadre du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Ces expertises étant facturées de 45 000 à 50 000 euros, c’est un moyen de “fluidifier les relations sociales”. Bien que la direction de la SNCF ait la possibilité de dénoncer cette pratique devant le tribunal, elle ne le fait pas.

Des fausses factures de 400 000 à 500 000 euros

Philippe Chabin : M. Pasche a évoqué les détournements opérés au CCE. L’émission diffusée le vendredi 23 mai 2008 par France3 dans le magazine Pièces à conviction a démontré l’existence de fausses factures au sein du CCE, pour un montant de 400 000 à 500 000 euros. Je vous remettrai le compte rendu de la réunion exceptionnelle du service comptabilité-finances du CCE du lundi 26 mai : la question n’était pas de vérifier si les informations relatives à des détournements étaient fondées, mais de virer ceux qui avaient remis des pièces comptables aux journalistes. De fait, toutes les personnes concernées ont été renvoyées peu après, ce qui s’est accompagné de condamnations pour harcèlement moral, pour lesquelles le CCE avait provisionné des sommes importantes sur la dotation des cheminots. Le 4 juin, dans une information au personnel, le ton avait changé : le directeur a déclaré qu’il y avait eu de fausses factures et qu’une plainte avait été déposée.

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* Ancien secrétaire du comité d’établissement Clientèle de la SNCF à Paris.

** Salarié du comité d’établissement SNCF de Lyon.

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Lyon Capitale n° 707, janvier 2012.

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