Au 2 place de Francfort, juste derrière la gare de Lyon Part-Dieu, Andéol Ayzac produit et vend sa propre bière. Il a fait le choix de contrôler tous les aspects de son produit, de la création à la dégustation, en ouvrant un brew pub
Assis à table à côté d’une fenêtre, les clients du Malting pot de Lyon Part-Dieu dégustent leur plat et savourent leur bière. Face à eux, une vue dégagée sur l'intérieur de la cuisine, mais aussi sur l’intérieur de la micro-brasserie. Si cela peut sembler être une évidence que les plats qui nous sont servis au restaurant soient préparés sur place, il est plus étonnant qu’il en soit de même pour la bière. C’est pourtant le choix qu’a fait Andeol, le propriétaire des établissements Malting Pot : produire et vendre sa bière au même endroit. Comme des centaines d’autres brasseurs français, il a décidé d’ouvrir un brew pub, c'est-à-dire un bar qui brasse la bière qu’il propose.
Proposer une expérience
Vendre soi-même la bière qu’on propose, c’est une occasion unique d’avoir le contrôle total sur l’expérience des consommateurs. Le propriétaire du malting pot le rappelle, dans ses trois établissements, “l'esprit, c'est de faire découvrir, ce n'est pas d'alcooliser les gens”. Et faire découvrir dans un brew pub, c’est certes vendre des bières qu’on connaît et qu’on est donc capable de conseiller, mais pas que. C’est aussi offrir une expérience, accompagner la dégustation de la bière avec une cuisine et une ambiance.
Dans ses établissements, l’expérience qu’Andeol souhaite donner à ses clients est surtout basée sur la qualité et la convivialité. Pour les bières, l’idée est de ne jamais être obligé de boire tout le temps la même chose. À la carte, il y a toujours dix bières différentes qui changent régulièrement. D'ailleurs, ce choix est presque une spécificité du brew pub. Comme le propriétaire du Malting Pot l’explique, “dès qu'un brassin est fini, on peut faire une autre bière”. Mais chacun trouvera son compte. Il y a toujours “au moins une blonde, une blanche, une IPA, une IPA aromatique type NEIPA, par exemple, et en général, une triple.”
Mais encore une fois, le brew pub ne se résume pas à la bière. Dans ce brew pub, la nourriture est presque aussi importante que la bière. On le voit notamment à son slogan, “Bières d’ici, cuisine d’ailleurs”. Comme le souligne Andéol, “on fait de la cuisine un peu élaborée. En mode pub sympa où vous pouvez vraiment manger. On est plus orienté sur venez chez nous, on va vous faire découvrir la cuisine du monde.”
Mais proposer une cuisine aussi élaborée que les bières que l’on produit, ce n’est pas la seule manière d’offrir une vraie expérience de dégustation. Quand on pense aux bières lyonnaises, il y a un nom qui nous vient rapidement en tête, Ninkasi. Cette brasserie, créée en 1997, est maintenant connue dans la France entière. Et pour cause, c’est aujourd’hui une franchise à la tête de 26 établissements. Comme Andeol le spécifie, entre le Ninkasi et le Malting pot “il y a une grande différence de concept et d'orientation”. A la base, le Ninkasi c’est, en effet, un concept inspiré des micro-brasseries américaines des années 90. Dans celles-ci, le but est de déguster des bières, de manger des burgers, mais aussi d’écouter de la musique. Dans ces établissements, l’idée est moins de magnifier la bière avec une cuisine élaborée que de proposer une ambiance festive.
Des bières brassées à quelques mètres à peine
Dans un brew pub comme le Malting Pot, le moins que l’on puisse dire c'est que les bières sont produites à proximité. Derrière le bar, de grandes cuves en métal sont visibles. C’est dedans que l’on transforme le malt et le houblon en bière. Dans "la salle de fermentation, on va fabriquer ce qu'on appelle le moût. C'est le liquide sucré qu'on fait à base de malt de céréales et de houblon. Le malt de céréales va pouvoir amener le sucre, et le houblon pourra amener l'amertume et les côtés aromatiques ou floraux.” nous explique Andéol. Et à côté : les fermenteurs. C’est dans l’une de ces cuves que le moût va pouvoir devenir la boisson que l’on connaît tous. Pour cela, on récupère le liquide sucré puis “on le met en fermentation dans un des huit fermenteurs. À ce moment-là, on rajoute la levure. Celle-ci va digérer le sucre pour créer d'un côté du CO2, qui amène les bulles dans la bière, et de l'autre de l'alcool. Ce processus dure de deux à trois semaines, et quand il est terminé, la bière est prête.” termine Andéol.

Ensuite, la bière est soit embouteillée, soit stockée dans un fût, ou, le plus souvent dans le cas du Malting Pot, stockée dans un des sept tanks de la brasserie directement branchés au bar. "Grâce à eux il y a 1 000 litres de bière à disposition directement à la tireuse”. S’il n’est pas impossible de trouver une bière signée Andéol en dehors de l’un de ses trois brew pub, l’immense majorité de la bière qu’il produit est distribuée en pintes ou parfois en bouteilles dans l’un de ses établissements.
Produire au sein même du bar, ça veut également dire produire au cœur de Lyon. Et le mode de vie urbain implique souvent un espace plus restreint. “Vous avez moins de place, donc il faut beaucoup optimiser l'espace”, souligne le propriétaire. Parfois, il faut même renoncer. Renoncer à un fermenteur de plus, à des tanks plus gros ou à un espace pour stocker des bouteilles.
Brew pub, le futur de la brasserie artisanale ?
De manière générale, le marché de la bière française est en expansion depuis les années 2000. Cependant, d’après l’Insee depuis deux ans on observe une certaine baisse des profits. Des études non-officielles comme celle du “projet amertume” visant à recenser les brasseries françaises relèvent qu’en 2024, seules 33 nouvelles brasseries se sont créées quand 104 ont fermé leurs portes.

Étant sur le marché depuis 10 ans, Andéol a effectivement remarqué que ce milieu a évolué. S’il a effectivement remarqué que le marché n’est pas au meilleur de sa forme depuis quelques années, il souligne également le fait que les barrières à l’entrée se sont également accentuées. Il nous explique qu'"avant, les petits brasseurs qui se montaient, étaient souvent des gens qui démarraient avec un tout petit investissement et qui grossissaient progressivement. Aujourd'hui, vous avez des investisseurs qui se sont intéressés à la question et qui, mettent des budgets plus conséquents. Nous, quand on a commencé il y a 10 ans, quelqu'un qui investissait 10 000 euros, pouvait démarrer dans son garage et se développer. Aujourd'hui, si vous mettez moins d'un million d'euros sur la table, c'est risqué..”. A cela, il ajoute qu’il y a également une concurrence plus importante des “grands groupes qui ont tendance à améliorer leur gamme et faire des gros efforts en marketing pour amener les consommateurs chez eux”.
Difficile donc de se démarquer de ses concurrents en proposant uniquement de la bière. Ainsi, proposer une expérience de dégustation en ouvrant un brew pub semble être une solution. C’est en tout cas le chemin que souhaite suivre l’équipe du malting pot. Son propriétaire explique : L'avenir, on le voit plus aujourd'hui sur la montée d'autres brew pub parce que c'est ça qui fonctionne et que le marché de vente de fûts ou de bouteilles à des bars ou à des caves à bières est assez saturé.”
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Vendre de la bière, quand les consommateurs boivent moins d’alcool
D’après les derniers rapports de l'observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), en 2023, la vente et la consommation d’alcool ont poursuivi leur baisse en France. Pour Andéol, il y a deux causes à cela. Des campagnes de santé publique, qui ont permis de faire baisser la consommation d’alcool tout comme la consommation de tabac. Et la baisse du pouvoir d’achat.
Face à des français qui boivent moins d’alcool, il peut sembler risqué de travailler dans le milieu brassicole. Cependant, le propriétaire des malting pot ne s’inquiète pas pour le futur de ses établissements. Selon lui, “le futur des brasseries, c'est plutôt de se diversifier parce qu'aujourd'hui, les consommateurs boivent moins d'alcool. Il faut qu'on puisse aussi répondre aux besoins de ces gens [ceux qui ne boivent pas d’alcool] parce que si on les ostracise de toute façon, ils ne vont plus venir. C'est aussi pour ça que c'est intéressant d'être en brew pub. Nous, on a d'autres relais. On peut aller sur le soft et proposer d’autres choses. C’est pour ça qu’on a rajouté deux softs [faits maison] à la carte.”