Damien Bonaimé, directeur général de la SAFER Auvergne-Rhône-Alpes, est l'invité de 6 minutes chrono / Lyon Capitale.
Protéger le foncier agricole tout en accompagnant l’urbanisation : c’est la mission que mène la SAFER Auvergne-Rhône-Alpes (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural), une société anonyme, sans but lucratif (sans distribution de bénéfices). Invité de l’émission 6 minutes chrono, Damien Bonaimé a détaillé les enjeux auxquels l’établissement doit faire face, notamment sur le territoire de la métropole de Lyon et du Nouveau-Lyon, où la pression urbaine est particulièrement forte.
Pour la SAFER, l’objectif est de limiter l’étalement urbain tout en permettant à l’agriculture de rester productive et diversifiée. "L'enjeu, sur le territoire du Nouveau-Lyon et de la métropole, est de préserver des terrains agricoles malgré une urbanisation forte, et de maintenir différents systèmes de production", explique Damien Bonaimé.
Ce dernier précise que cela passe par un équilibre entre filières longues, comme les céréales ou l’élevage, et filières courtes comme le maraîchage, essentielles pour répondre à une demande locale croissante. "Nous nous concentrons sur le foncier et sur la capacité d’y accéder pour pouvoir installer", ajoute-t-il.
Une vigilance accrue face à la consommation "masquée"
Au-delà de l’artificialisation des sols, qui reste sous contrôle dans la métropole de Lyon, la SAFER pointe du doigt un phénomène plus insidieux : l’utilisation détournée de terres pourtant classées agricoles. "Ces terres restent à vocation agricole ou naturelle sur les documents d'urbanisme, mais elles peuvent être utilisées autrement : dépôts de matériaux, carcasses de véhicules ou loisirs privés", décrit le directeur général. Résultat : près de 4 800 hectares seraient détournés de leur usage agricole dans la région, un chiffre supérieur à celui de l’artificialisation officielle.
Interrogé sur les plaintes déposées au niveau national par la FNAIM, qui accuse la SAFER d’abus de position dominante, Damien Bonaimé se veut rassurant : "Le travail avec les agences immobilières se passe très bien en Auvergne-Rhône-Alpes. Nous représentons seulement 2,8 % de l'activité immobilière sur les espaces agricoles et forestiers". Il rappelle également que la SAFER ne reçoit pas de financement direct de l'État pour ses opérations courantes : "Je démarre l'année avec un budget à zéro et sans dotation financière de la part de l'État."
Plus de détails dans la vidéo :
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La retranscription complète de l'émission avec Damien Bonaimé :
Bonjour à tous, bienvenue dans l'émission 6 minutes chrono, le rendez-vous quotidien de la rédaction de Lyon Capitale. Aujourd'hui, on va parler de foncier, de ruralité et d'agriculture puisque nous recevons Damien Bonaimé, directeur général de la SAFER Auvergne-Rhône-Alpes. La SAFER, c'est la Société d'Aménagement Foncier et d'Établissements Ruraux. Bonjour Damien Bonaimé.
Bonjour Monsieur.
Merci d'être venu sur notre plateau. On va rentrer un peu dans le vif du sujet. Est-ce que vous pouvez d'abord, parce que ce n'est pas connu de tout le monde, nous rappeler vos missions ?
Tout à fait. Les SAFER ont été créées pour et par les jeunes agriculteurs. Comme l'indique leur nom, l'objectif est d'installer des agriculteurs et de mettre en valeur le foncier pour qu'il soit facilement travaillé. Les missions ont été étendues par l'évolution des textes de loi, notamment pour la protection de l'environnement et l'accompagnement des projets de développement rural, souvent portés par les collectivités.
Alors comment ça se passe ? D'après ce que j'ai compris, les notaires vous notifient lors de la vente d'un terrain et vous vous organisez ensuite pour créer une cohérence territoriale selon les enjeux que vous avez définis ?
Exactement. Le guide pour nous, c'est le Programme Pluriannuel d'Activité Stratégique de la SAFER, le PPAS 2022-2028, qui trace la trajectoire des projets sur l'ensemble des départements et la métropole de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Nous recevons environ 50 000 notifications envoyées par les notaires et, pour chaque projet d'acquisition, nous essayons de trouver la meilleure adéquation entre le bien, les enjeux du territoire et le projet de l'acquéreur, pour éviter tout problème de prix et pour valoriser au mieux les espaces naturels, agricoles et forestiers de la région.
Et de trouver des équilibres aussi, sur la production, ce qui va être produit sur le terrain. Cela fait partie de vos missions ?
De s'assurer que les projets soient en conformité avec les stratégies des filières sur nos territoires pour garantir les enjeux de souveraineté alimentaire. C'est un enjeu fort.
On peut commencer à en parler : est-ce que c'est un des enjeux sur le territoire de la métropole de Lyon et du Nouveau-Lyon ? Pouvez-vous nous dire un peu les caractéristiques de ce territoire du point de vue de la SAFER ? Quel équilibre et quelle cohérence essayez-vous de créer selon le plan que vous avez cité ?
L'enjeu, sur le territoire du Nouveau-Lyon et de la métropole, est de préserver des terrains agricoles malgré une urbanisation forte, et de maintenir différents systèmes de production. Il s'agit d'avoir des productions de filières longues, notamment les céréales, voire de l'élevage sur une couronne plus large, mais aussi de permettre des projets de filières courtes, comme le maraîchage, pour répondre aux besoins de la population de ce territoire. Il faut garantir la production sur des terrains à forte valeur agronomique, avec de l'eau et des filières d'écoulement : vente directe, marché, contractualisation. Nous nous concentrons sur le foncier et sur la capacité d'y accéder pour pouvoir installer.
Et c'est préserver donc de l'étalement urbain et aussi d'un autre phénomène un peu méconnu. Pouvez-vous nous le décrire ?
Nous avons deux phénomènes qui posent problème sur nos territoires. L'artificialisation, encadrée par les textes et la loi Climat Résilience, vise à réduire la consommation de terres. La trajectoire en France est bonne, avec une baisse d'environ 4 % par an et une consommation nationale de moins de 20 000 hectares. Sur la métropole, la consommation est très faible : sur 3-4 ans, moins de 60 hectares. C'est toujours trop, évidemment. L'autre phénomène, plus méconnu, est la consommation masquée des terres agricoles. Ces terres restent à vocation agricole ou naturelle sur les documents d'urbanisme, mais elles peuvent être utilisées autrement : dépôts de matériaux, carcasses de véhicules, dépôts sauvages qui polluent les sols ou empêchent l'exploitation agricole. Parfois, il s'agit d'usages de loisirs sur des propriétés où le propriétaire ne souhaite pas mettre les terrains à disposition d'un agriculteur, ce qui retire ces surfaces de la production et donc de l'alimentation de la population.
Et dans quelle ampleur ?
À l'échelle de la région, ce phénomène est plus important que l'artificialisation : environ 4 800 hectares sont détournés de leur usage agricole, alors que 3 000 hectares sont artificialisés. Sur la métropole, le phénomène est inversé en proportion, mais reste significatif, car il s'agit de petites surfaces, donc d'un mitage diffus sur le territoire. Cela complique la lutte contre cette perte de surfaces. C'est tout l'enjeu, lorsque le notaire nous notifie une vente, de s'assurer que les terrains attachés au bien bâti conservent une vocation agricole.
Très bien, abordons un dernier point. En mars dernier, la FNAIM, la fédération des agents immobiliers, a porté plainte et vous accuse, au niveau national, d'abus de position dominante. Elle vous reproche de faire un travail de marchand de biens et de sortir de vos missions premières, notamment grâce à des moyens publics importants. Cela fait l'objet d'une deuxième plainte. Comment répondez-vous à ces accusations ?
Un élément extrêmement important pour nous, en Auvergne-Rhône-Alpes : le travail avec les agences immobilières se passe très bien. Nous sommes en contact avec les responsables de la FNAIM et nous n'avons pas de difficulté, au contraire, c'est une collaboration précieuse. La mise en vente et la promotion d'un bien, qui est le travail des agences, nous est très utile pour capter le meilleur projet pour ce bien. Sur la question du droit européen et de la distorsion de concurrence, nous sommes en capacité de vendre des biens nous-mêmes. À l'échelle de la région, nous représentons 2,8 % de l'activité sur laquelle les agences immobilières interviennent : c'est très faible.
Et c'est toutes immobilières confondues ?
Toutes immobilières confondues, pour les espaces agricoles et forestiers. Si l'on rapporte à l'ensemble de l'immobilier, la proportion est encore plus faible, car nous nous concentrons sur ce volet uniquement. En matière de subsides ou de financement, la SAFER Auvergne-Rhône-Alpes, à part un accompagnement de la région sur des projets très précis, ne dispose d'aucun financement de l'État. Nous sommes une société anonyme, mais privée, et nous fonctionnons uniquement par la marge ou la prestation de service. Je démarre l'année avec un budget à zéro et sans dotation financière de l'État. Il y a donc une mauvaise information.
Mais avec des actionnaires hybrides, privés et publics ?
Tout à fait, des actionnaires privés et publics, mais ce sont des personnes morales. Nous intervenons pour le bien commun et l'intérêt collectif. Il n'y a pas de prise d'intérêt privé. Dans notre capital, les actionnaires sont exclusivement ceux qui sont aussi autour de nous pour nos projets, avec un enjeu de bien commun et de maintien de l'intérêt général des terres agricoles.
Merci beaucoup d'être venu sur notre plateau pour dresser ce panorama, qui, j'espère, permet de mieux comprendre ce qu'est la SAFER, ce qui est rare dans les médias grand public. Merci beaucoup.
Je vous remercie.
Merci d'avoir suivi cette émission. Plus d'infos sur lyoncapitale.fr