Cible d'un collectif militant étudiant revendiqué "anti France", Fabrice Balanche, maître de conférences à l'université Lyon 2 est aujourd'hui sous protection fonctionnelle, ses cours surveillés par des agents de sécurité. Entretien sans tabou.
Note : cet entretien a été réalisé avant la démission du vice-président de Lyon 2, Willy Beauvallet-Haddad, lundi 5 mai, victime de "harcèlement".
Professeur de géographie politique à l’université Lyon 2, spécialiste du Moyen-Orient, en particulier de la Syrie – il a obtenu en 2024 le prix du livre géopolitique pour ses Leçons de la crise syrienne (Odile Jacob) –, Fabrice Balanche a été placé sous protection fonctionnelle. Une décision rarissime qui fait suite à l’intrusion, pendant un cours qu’il dispensait, d’étudiants hostiles appartenant à un collectif se revendiquant “anti-colon” et “anti-France”. L’amphithéâtre où il exerce est aujourd’hui protégé par des agents de sécurité. Une affaire qui a fait la une des médias et réagir jusqu’au sommet de l’État.
Lyon Capitale : Que s’est-il passé au juste ce 1er avril ?
Fabrice Balanche : Comme d’habitude, je donnais mon cours sur le campus Porte des Alpes de l’université. Ce jour-là, le thème était la politique de voisinage de l’Union européenne et les accords euro-méditerranéens. Une cinquantaine d’étudiants étaient présents – sur cent vingt inscrits, le taux d’absentéisme à Lyon 2 étant absolument délirant, compte tenu que les cours magistraux ne sont pas obligatoires. J’ai vu arriver, par les deux entrées au-dessus de l’amphi, une vingtaine de personnes cagoulées, capuchées et casquettées, vêtues de noir, certaines portant un keffieh. Une grande pancarte disait “Libérez la Palestine. Non au nettoyage ethnique”. Ils criaient à tue-tête : “Racistes, sionistes, c’est vous les terroristes !” Ils ont cerné la chaire où je me trouvais. J’ai commencé à ranger mes affaires pour quitter les lieux. C’est à ce moment qu’ils m’ont invectivé en m’insultant.
Était-ce en lien avec votre intervention, la veille, sur CNews, dans laquelle vous dénonciez l’activisme de militants “islamo-gauchistes” qui avaient demandé, en vain, de pouvoir organiser la rupture du jeûne du ramadan au sein de l’université ?
Clairement, oui. J’ai dit qu’on avait eu droit, sur le campus Porte des Alpes, au premier blocage islamiste de France le vendredi précédent, par ces mêmes étudiants, en représailles après la décision de l’université d’interdire l’iftar à la fac. J’ai simplement indiqué qu’il s’agissait d’une atteinte à la laïcité inacceptable ; ce qui me semble être ni fasciste, ni raciste, ni islamophobe, comme ces étudiants le hurlent à l’envi. Pour l’islamo-gauchisme, terme un peu dévoyé car repris par le RN, je me souviens qu’il y a quelques années, la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, l’avait évoqué en disant que l’université n’y était pas imperméable. De quoi s’agit-il ? Le terme vient du Moyen-Orient. Il s’incarne par exemple dans la figure d’Anis Naccache, compagnon du célèbre terroriste Carlos, un gauchiste libanais qui se mit au service des mollahs iraniens et qui tenta d’assassiner en France, l’ancien Premier ministre iranien Shapour Bakhtiar. Les personnes qui ont interrompu mon cours réclament d’ailleurs la libération de Georges Ibrahim Abdallah*. Chez nous, les islamo-gauchistes sont les militants de gauche qui voient dans les musulmans de banlieue le nouveau prolétariat du XXIe siècle, qu’il faut les défendre, parce qu’opprimés, au même titre que les partis socialistes défendaient les prolétaires aux XIXe et XXe siècles. Cependant, ces populations n’ont pas forcément la conscience de classe que pouvaient avoir les ouvriers de cette époque. Leurs revendications sont davantage communautaristes que sociales et politiques. En Iran, les partis de gauche et les islamistes ont renversé le shah en 1979. Que s’est-il passé ensuite ? Les islamistes ont flingué la gauche et ont pris le pouvoir. Regardez Villeneuve-Saint-Georges, dans le Val-de-Marne : Louis Boyard, de LFI, a été trahi par les siens, après avoir été sèchement battu, en janvier dernier, au second tour de l’élection municipale partielle. Il y a le risque, aux prochaines municipales, d’avoir une liste menée par son ex-allié, Mohamed Ben Yakhlef, militant pro-Hamas qui s’était réjoui des attaques terroristes du 7 octobre. En disant cela, je ne pense pas être un dangereux réactionnaire.
“La direction de l’université Lyon 2 a laissé prospérer ce type de groupuscules en leur octroyant une salle de cours pour leurs activités militantes et, pour tenter d’éviter les blocages, elle négocie avec eux”
Savez-vous à quel groupe ces militants appartiennent ?
Je sais juste que leur groupe s’appelle Lyon2autonome et qu’il se présente, sur son compte Instagram, comme “anti-colon” et “anti-France”.

Vous dites que Gilles Kepel, spécialiste de l’islam et du monde arabe contemporain, qui a préfacé votre livre (louant un travail “aussi riche et détaillé que démonstratif et argumenté (…) une lecture salutaire et nécessaire”), vous avait prévenu : travailler sur le Moyen-Orient génère des attaques constantes. Cela devient-il de plus en plus difficile ?
Oui, car c’est extrêmement politisé. Si vous n’êtes pas dans le courant dominant, celui qui critique Israël et soutient les Palestiniens, vous êtes forcément pro-Israël. C’est une bipolarisation totale : soit vous êtes avec eux, soit vous êtes contre eux. Si vous ne soutenez pas la cause palestinienne, c’est que vous soutenez forcément Israël. Et dans cette polarisation, il n’y a pas de place pour les nuances. Or, l’histoire de la Palestine est éminemment complexe et souvent incompréhensible pour le non-spécialiste. Je dis toujours à mes étudiants qu’avant de donner un avis, il faut comprendre le sujet. Je leur conseille de lire plusieurs livres, d’aller sur place. C’est un problème majeur, car beaucoup de gens ne vont jamais sur le terrain. Ce n’est pas facile, mais c’est possible. C’est comme avec saint Thomas, il faut croire ce qu’on voit. Je parle par expérience. Quand j’étais ado, j’étais communiste. Mes grands-parents étaient résistants, et c’était une tradition familiale. À 18 ans, je suis allé en Union soviétique avec la jeunesse communiste, pour voir par moi-même. Ce fut un choc, et c’est ce choc qui m’a ouvert les yeux et m’a incité à ne plus croire aveuglément aux idéologies. Ce fut une prise de conscience importante. Ce n’est qu’en allant sur le terrain, en vivant les événements de l’intérieur, qu’on peut vraiment comprendre. Les analyses externes échouent souvent à saisir toute la complexité de la situation.
Il vous reste 67 % de l'article à lire.
Article réservé à nos abonnés.