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Géolocalisation : les doutes sur la future loi

Après les sénateurs, c’est au tour des députés d’examiner le projet de loi sur la géolocalisation, ce mardi 11 février, dans le cadre d’une procédure accélérée. Tout le monde s’accorde sur l’urgence à légiférer, mais beaucoup s’inquiètent des possibles dérives.

Une mère de famille prise dans un réseau de proxénétisme et retrouvée vivante grâce à son téléphone portable, des trafiquants de drogue pris en flagrant délit grâce à une balise de détection posée sur leur véhicule… Les policiers ne comptent plus le nombre d’affaires judiciaires résolues grâce à la géolocalisation. Mais un projet de loi visant à l’encadrer suscite des inquiétudes.

“Le danger est de voir s’immiscer dans notre système juridique une sorte de Patriot Act à la française”, dénonce Pierre-Olivier Sur, bâtonnier de Paris, se référant à cette loi américaine votée après les attentats du 11 septembre 2001 qui autorise les services de sécurité à accéder aux données informatiques des particuliers et des entreprises sans accord préalable et sans en informer les utilisateurs. Pister pour mieux serrer…

Une loi vaut mieux qu’un vide juridique

À première vue, rien d’effrayant dans la future loi sur la géolocalisation. Au contraire même : jusqu’à ce que la chambre criminelle de la Cour de cassation annule, le 22 octobre 2013, deux procédures de géolocalisation dans des affaires de terrorisme et de stupéfiants, cette pratique souffrait de n’avoir aucune base légale. Elle est pourtant très utilisée par les policiers : 5 500 balises posées en 2012, quatre fois plus de téléphones portables géolocalisés. “La géolocalisation est particulièrement pratique dans les affaires de trafic de stupéfiants, car elle permet d’éviter la filature, difficile à mettre en œuvre”, confirme Lionel Ascensi, magistrat et docteur en droit à Angers.

Le projet de loi est donc une avancée. Mais les parlementaires jouent un véritable numéro d’équilibriste quant aux modalités de mise en œuvre. D’abord, sur les autorités qui auront la prérogative de géolocaliser et le contrôle qui en sera fait. Ensuite, sur les infractions concernées : les crimes et les délits punis de trois ans d’emprisonnement, incluant le vol simple, ou les infractions punies de cinq ans, avec une exception pour les menaces de mort, les agressions sexuelles, l’évasion et la non-présentation d’enfants. “Autant de formalisme qui consacre les libertés individuelles”, estime Anthony Bem, avocat spécialiste du droit d’Internet. Mais, si le projet de loi rassure par son formalisme, il inquiète par son champ d’application.

Du bon usage des policiers

“Nous devons limiter ces méthodes d’enquête pour ne pas faire droit systématiquement aux demandes des forces de police”, prévient Alain Tourret. Dans la ligne de mire du député du Parti radical de gauche, un amendement qui laisse l’initiative à l’officier de police judiciaire (OPJ) de placer un individu sous géolocalisation. “Il faut rester en phase avec la réalité du terrain, estime au contraire Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois du Sénat. Il y a des situations où il faut agir vite. Nous avons voté un amendement pour que l’OPJ obtienne l’autorisation écrite du procureur sous 12 heures. Si sa réponse est non, toute la procédure sera nulle et non avenue.” Un garde-fou suffisant pour le sénateur.

Pourtant, les juges de la Cour de cassation ont justement annulé les procédures de géolocalisation par rapport à l’autorité qui s’en prévalait. “La technique dite de géolocalisation constitue une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessite qu’elle soit exécutée sous le contrôle d’un juge”, ont-ils écrit.

Le projet de loi prévoit un contrôle du juge a posteriori, en présumant du bon usage qu’en feront les policiers et gendarmes. Autrement dit, tout individu que l’on soupçonnera de commettre une infraction pourra être pisté. “Il faut faire confiance aux OPJ”, justifie, un peu légèrement, Sébastien Pietrasanta, rapporteur auprès de la commission des lois de l’Assemblée nationale.

Autre interrogation sur la future loi : la question de la géolocalisation a posteriori. Quand elle n’est pas réalisée en temps réel, la géolocalisation peut en effet être confiée à des experts de la police dont la tâche est d’extraire toutes les données d’un téléphone portable. Un accès au journal intime virtuel, en somme… “Cette méthode est elle aussi très pratiquée, s’étonne Étienne Vergès, professeur de droit à Grenoble. Pourtant, rien ne la prévoit dans le Code de procédure pénale et rien ne la prévoit dans le projet de loi.”

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