Nuits de Fourvière : une présidence majeure

Magistrale ! Ainsi peut-on qualifier la mise en scène signée par Michel Raskine de la pièce de Thomas Bernhardt Le Président. À Fourvière jusqu’au 28 juin.

La spécificité des pièces de Thomas Bernhardt, mais aussi de ses romans, est d’installer deux ou trois situations, pas davantage, qui permettent aux personnages de se lancer dans de longs monologues où s’expriment autant leur nature profonde qu’une vision du monde résolument noire. En d’autres termes, ce n’est ni l’action ni l’enchaînement de péripéties, réduites aux acquêts, qui touchent le spectateur, mais l’écriture incisive, la lucidité sans fard et l’humour implacable qui s’en dégagent. L’enjeu pour le metteur en scène qui place de telles partitions sur le métier est de faire entendre le texte, d’en faire résonner toutes les nuances. Gageure parfaitement tenue par Michel Raskine à Fourvière. En premier lieu grâce au choix du lieu de représentation : un petit chapiteau de moins de 200 places, idéal pour instaurer un lien de proximité avec les deux comédiens qui incarnent les protagonistes de l’œuvre.

Deux comédiens au sommet de leur art

Marief Guittier et Charlie Nelson sont, dans des registres complémentaires, au sommet de leur art. Ils incarnent un couple présidentiel, régnant sur un petit pays balkanique qui vient d’échapper à un attentat. Cette agression, dont leur fils n’est peut-être pas innocent, a laissé sur le carreau leur chien et le colonel qui les accompagnait.

Sur le devant de la scène durant toute la première moitié du spectacle, l’épouse du président s’adresse au tableau qui représente le chien, mort d’une crise cardiaque. Ou bien à sa gouvernante, matérialisée ici, comme tous les personnages secondaires, par une marionnette. Récriminant, pestant inlassablement contre son dictateur de mari, elle décortique le lien et l’histoire singulière qui les unissent. Elle fait exploser une à une les apparences trompeuses, jusqu’à ce que celles-ci laissent place à l’amère vérité. Impressionnante, Marief Guittier restitue à cette femme sa verve et sa férocité.

Une réflexion sur le pouvoir saisissante

Le président prend le relais pour livrer, en un monologue qui fait étrangement écho à celui de son épouse, sa version des faits. On est loin, là aussi, de tout romantisme. Sa femme se livre à des amours torrides avec le boucher du quartier, et lui se vante de la tromper avec une jeune actrice (interprétée par Marief Guittier masquée) à qui il distribue des billets comme on donne des bonbons à un enfant. Suit une réflexion sur le pouvoir, marquée par un incroyable cynisme. D’autant plus saisissante qu’elle est assénée avec une vulgarité et une gouaille qui lui confèrent un comique irrésistible.

L’impact de ces monologues successifs est renforcé par les décors de Stéphanie Mathieu : ils composent de véritables petits tableaux expressionnistes. Véritables écrins au sein desquels la précision et l’inventivité de la mise en scène prennent leur sens. Ce Président mérite tous nos suffrages.

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Le Président, jusqu’au 28 juin, sous chapiteau sur l’esplanade de l’odéon, dans le cadre des Nuits de Fourvière 2012.

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