Événement à l’Auditorium avec Les Indes galantes de Jean-Philippe Rameau dans cette folle version de 2019 proposée de concert par Leonardo García-Alarcón et Bintou Dembélé : un ovni où s’entrechoquent l’opéra baroque et l’énergie de la danse hip-hop et krump.
En 2017, le plasticien et vidéaste Clément Cogitore, né en 1983 – exactement 300 ans après Rameau –, revisite “La Danse du Grand Calumet de la Paix exécutée par les Sauvages” des Indes galantes, à sa façon – krump, du nom de cette danse dérivée du hip-hop née dans les ghettos noirs de Los Angeles suite aux répressions policières à la fin du XXe siècle.
Cette vidéo de cinq minutes fera date et deux ans plus tard, Cogitore voit la création, à l’Opéra Bastille, d’un spectacle ô combien novateur et dont il assure la mise en scène.
Un premier essai transformé puisque la production est un succès phénoménal doublé d’un choc esthétique.
Fruit d’une étroite collaboration avec la chorégraphe Bintou Dembélé et le chef baroque Leonardo García-Alarcón, l’œuvre originale inspirée par l’orientalisme et les expéditions coloniales de son siècle (le XVIIIe) se voit ici régénérée grâce à des partis pris tranchés l’inscrivant dans une brûlante contemporanéité.
Mais la comédie-ballet originale de 1735 ne portait déjà pas en elle quelques accents subversifs (pour l’époque) ?
Ballet décolonial
Composée de quatre entrées (ou tableaux) – baptisées “Le Turc généreux”, “Les Incas du Pérou”, “Les fleurs, fête persane” ou “Les Sauvages” (étymologiquement ceux de la forêt) –, l’œuvre met en scène quelques romances exotico-folkloriques entre indigènes ou chrétiens.
Mais au sein de ce flot de “bons sauvages” humanisés grâce à la pacification coloniale, quelques détails discrets et délicatement subversifs – insérés çà et là par l’astucieux librettiste Louis Fuzelier, adepte des messages cryptés et sans doute franc-maçon – s’inscrivent parfaitement dans cette époque des Lumières.
De même, Rameau, en reprenant le rythme d’une danse entendue en 1725 à la Comédie-Italienne, lors d’une exhibition d’indigènes des Indes occidentales (Amérique du Nord), ne rend-il pas (même inconsciemment) hommage au monde non chrétien ?
Nul doute que cette analyse – certes contemporaine – des Indes galantes constitua un terreau fertile pour cette recréation qui pousse éminemment plus loin le message en creux.
Un message politique jamais asséné mais suggéré, ici par des danseurs semblant se déchaîner quand il est dit “enchaîne-moi”, là par l’expression de la révolte évoquée par des danses urbaines exécutées par des corps racisés.
Enfin dans le fait que la création attira – bien au-delà de l’audience habituelle d’un opéra – un public jeune, divers, hybride, métissé, miroir des artistes présents sur le plateau.
Un plateau des plus fournis réunissant les solistes Julie Roset, Ana Quintans, Mathias Vidal, Andreas Wolf, le Chœur de chambre de Namur et la troupe de danseurs et danseuses hip-hop de la compagnie Structure Rualité emmenée par Bintou Dembélé.
Dans la fosse, la Cappella Mediterranea dirigée par Leonardo García-Alarcón nous régalera d’une des plus belles pages de l’opéra baroque dotée notamment d’une orchestration moderniste et visionnaire, le tout sur instruments d’époque comme il convient aujourd’hui d’interpréter ces partitions.
Les Indes galantes – Mercredi 4 juin à 20 h à l’Auditorium