Lyon Capitale n°164
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Il y a 20 ans : Alcool, une "défonce" bon marché pour les jeunes

IL Y A 20 ANS DANS LYON CAPITALE – L'affaire n'est pas nouvelle : en France, les jeunes picolent. Ce qui a changé en vingt ans, ce sont les méthodes de consommation d'alcool de ces derniers, qui dès 1998, se tournent vers le "binge drinking", ou boire à outrance pour être ivre rapidement.

Lyon Capitale n°164, 25 mars 1998, © Lyon Capitale

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Fini le modèle du français qui boit son verre de vin midi et soir, l'année 1998 marque l'avènement des cuites ponctuelles et particulièrement dévastatrices chez les jeunes. A l'époque, le modèle anglo-saxon du "binge drinking", ou le fait de boire beaucoup en un temps restreint pour être ivre le plus rapidement possible, gagne du terrain chez les plus jeunes. Un des indices de cette évolution est l'augmentation de la consommation d'alcool fort chez les jeunes, qui a presque doublé entre 1994 et 1998. Cette année-là, près de la moitié des 12-18 ans déclarent boire des spiritueux aux taux d'alcool élevés. Face à l'augmentation de la consommation d'alcool fort chez les jeunes, qui a presque doublé entre 1994 et 1998, la Conférence régionale de santé s'est fixée comme priorité la lutte contre l'alcoolisation excessive.

Lyon Capitale n°164, 25 mars 1998, p. 7 © Lyon Capitale

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Un article publié dans Lyon Capitale n°164 le mercredi 25 mars 1998, igné par Aude Spilmont.

Alcool : une "défonce" bon marché pour les jeunes

Pendant Longtemps la question de l'alcoolisation des jeunes a été considérée comme mineure, comparativement au problème posé par les drogues. Pourtant, contrairement à l'héroïne ou au haschich, l'alcool est distribué dans tous les commerces à des prix relativement bon marché. Face à une consommation de plus en plus précoce et une montée de l'alcoolisme "défonce" chez les adolescents, La Conférence régionale de santé a défini comme une priorité la lutte contre l'alcoolisation excessive. Du coup, de nouvelles stratégies, d'actions et de prévention en direction des jeunes, se développent en Rhône-Alpes.
Depuis Rabelais, la France s'est toujours enorgueillie d'être la patrie de l'alcool ou du "noble jus de la treille". Objet culturel par excellence, il est difficile d'y échapper. Une rencontre entre copains et on s'offre une tournée, "et glou et glou, il a bu son verre comme les autres, il est des nôtres". Une augmentation et ça s'arrose. Un coup de froid ou un coup de blues et on se prend un petit remontant. Alcool plaisir et convivialité, alcool médicament, alcool anesthésiant, tous les prétextes sont bons pour boire un petit coup. Dans une société où les adultes consomment de l'alcool, il n'est alors pas étonnant que les jeunes prennent progressivement les habitudes de leurs aînés. La France arrive d'ailleurs en tête des pays européens d'alcoolisation précoce : à 11 ans, 22 % des garçons et 8 % des filles déclarent boire au moins une boisson alcoolisée par semaine (1). Mais plus inquiétant encore, on observe une transformation du mode de consommation chez les jeunes. Toutes les enquêtes font, en effet, ressortir un attrait croissant pour les alcools forts chez les 12-18 ans. Cette tendance est assez récente et se confirme d'année en année : de 26 % de consommateurs d'alcools forts en 1994, on passe à 48 % l'année suivante (2). On remarque également une baisse du nombre de buveurs réguliers au profit d'une augmentation des buveurs occasionnels. Ainsi, la consommation dite "à la française" (notamment le vin pendant les repas) cède peu à peu la place à l'alcoolisation sur le modèle anglo-saxon : on se prend une bonne cuite le week-end venu. Bon nombre de jeunes recherchent d'ailleurs très activement des sensations fortes et font volontairement une utilisation psychotrope de l'alcool. Une alcoolisation "défonce" qui va en s'accentuant dans un contexte sociale difficile, caractérisé par un taux élevé de chômage chez les jeunes. "Tout adolescent a besoin de connaître ses limites en expérimentant un jour ou l'autre l'ivresse. Ce serait stupide de le nier. C'est un processus normal, mais cela peut devenir inquiétant lorsqu'il s'adonne à des bitures à répétition et qu'il banalise ses actes. Il y a pourtant une dépendance qui peut progressivement s'installer sans que les jeunes s'en rendent compte. Une dépendance d'abord psychologique. L'alcool possède en effet trois propriétés : c'est un calmant, un désinhibiteur et un euphorisant. Face à des difficultés de vie ou un mal être, il est donc tentant de se l'offrir comme un remède immédiat et illusoire du déplaisir. Seulement c'est vite l'engrenage : on prend l'habitude de contourner ses problèmes avec l'alcool. Et la dépendance physique va elle aussi aller en s'accentuant" explique le Dr François Gonnet, directeur du Centre d'accompagnement en alcoologie de Lyon (C2A). A ses dangers s'ajoute aussi celui de la conduite automobile en état d'ivresse. Un jeune sur quatre conduits, en effet, avec une alcoolémie non nulle entre minuit et quatre heures du matin. Or 65 % des jeunes se tuent précisément la nuit (3).

Gérer sa consommation entre le plaisir et le risque

Augmentation de l'usage d'alcools forts, croissance de la consommation de type toxicomaniaque, conduites à risques... Face à ses nouveaux modes d'alcoolisation, la dernière Conférence régionale de santé en Rhône-Alpes, comme dans la majorité des autres régions de France, a retenu comme une priorité "la lutte contre l'alcoolisation excessive", notamment des jeunes. Education pour la santé, organisation de la prise en charge hospitalière, réinsertion, évaluation, activité de formation : ce programme entend développer et organiser des actions autant dans le domaine du soin que de la prévention. Pour contribuer à cet enjeu, les comités départementaux de prévention de l'alcoolisme et les associations d'éducation pour la santé se sont eux aussi mobiliser en organisant des journées d'échanges dans chaque département, ouvertes à tous les acteurs locaux (lire ci-dessous : alcool jeunes défis). "fi s'agit pour nous d'identifier les acteurs et les besoins et de développer des stratégies d'actions concertées", souligne Alain Douiller, directeur de L'ADES (Association départementale d'éducation pour la santé). Chacun s'accorde aussi à reconnaitre que la prévention ne doit, aujourd'hui, plus se faire sur un mode manichéen ("boire ou conduire, il faut choisir") ou culpabilisant (tu t'es vu quand t'a bu"). Les campagnes des dernières décennies opposant les bien-buvants d'un côté et les ivrognes de l'autre ont en effet été peu efficaces. "Arrêtons de jouer les pères fouettards, en prônant l'interdit auprès des jeunes. On ne peut pas leur dire : fais ce que je dis mais pas ce que je fais Ce n'est pas crédible. Il faut arrêter de se focaliser sur le produit. L'important c'est d'interroger la relation qu'on entretient avec l'alcool. Et que chacun apprenne à gérer sa consommation entre le plaisir et le risque", souligne Jean-François Vallette, responsable des actions de prévention à Aides alcool. "Si on ne veut pas se heurter sans cesse à une résistance à la prévention, il faut adopter une attitude authentique vis-à-vis des jeunes : reconnaître que l'alcool est source de convivialité tout en essayant d'en modifier l'usage", renchérit le Dr François Gonnet, alcoologue. Fini les slogans moralisateurs et la prévention style prêt à porter. Travail en réseaux des associations et des structures institutionnelles, nouvelles stratégies de communication auprès des jeunes : une politique de prévention globale de l'alcool s'organise en Rhône-Alpes. Gageons qu'elle porte rapidement ses fruits.
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