Assises du Roman : Céline en Self service

Une rencontre a priori improbable qui fournit l'occasion de se demander ce que le meilleur auteur anglais de ces quinze dernières années a en commun avec le plus grand écrivain français du 20ème siècle.

Une première œuvre choc

Will Self : En signant Cock & Bull (Vice Versa en Français) en 1992, Will Self frappe un grand coup. Ce diptyque de nouvelles satiriques met en scène un rugbyman qui se découvre un vagin dans le creux du genou et une jeune femme dont le clitoris se transforme en pénis. Le procédé permet à Self de questionner l'identité sexuelle comme moteur des comportements sociaux. Mais aussi d'être régulièrement pris à partie dans la rue par des rugbymen qui ne supportent pas de voir leur virilité mise en doute. Le livre installe Self à la tête d'une nouvelle garde anglaise peu soucieuse d'académisme.

Louis-Ferdinand Céline : Dès sa sortie, en 1932, Voyage au bout de la Nuit impressionne par son souffle "anglo-saxon", ratant le Goncourt de deux voix mais raflant le Renaudot. Sorte de Forrest Gump tragique déplorant "la sale âme héroïque et fainéante des hommes" et "la mode d'être courageux pour les autres", Bardamu y traverse le début du siècle de la guerre et de l'industrialisation avec un détachement horrifié. A propos du roman, Paul Nizan écrira dans L'Humanité : "Cet énorme roman est une œuvre considérable, d'une force et d'une ampleur à laquelle ne nous habituent pas les nains si bien frisés de la littérature bourgeoise". Tu l'as dit bouffi.

Un style inimitable

Will Self : Self, qui se réclame de Jonathan Swift, auteur de Gulliver qualifié de "Shakespeare de la satire", est un satiriste d'une violence rare. Un styliste au verbe exubérant qui piétine le protocole. Qu'il ressuscite les morts (Ainsi Vivent les Morts), transforme la City en territoire bonobo (Les Grands Singes) ou théorise sur la quantité invariable de folie contenue dans le monde (La Théorie Quantitative de la Démence), Self parvient toujours à pointer, derrière l'extraordinaire, l'absurde banalité de l'existence.

Louis-Ferdinand Céline : Avec Voyage..., puis Mort à Crédit, Céline brise l'académisme et invente un langage parlé, velléitaire et imagé dont le bon sens désosse un monde lui aussi absurde et partagé entre ruines (la 1ère Guerre Mondiale) et construction (le Nouveau Monde, le Nouveau Siècle). Sans Céline, L'Etranger (d'Albert Camus) ou L'Attrape-Cœur (de JD Salinger) n'auraient sans doute jamais vu le jour.

Une réputation sulfureuse

Will Self : Journaliste, Will Self a pour fait de gloire de s'être vanté, dans l'un de ses articles, d'avoir pris de l'héroïne dans l'avion de campagne du très rigide John Major, alors premier ministre. Difficile d'imaginer le tollé qui s'ensuivit dans la perfide et prude Albion en plein étripage électoral. Son employeur, The Observer, apprécia modérément et l'épisode valut à Self, jouisseur invétéré, infatigable iconoclaste junkie et... conservateur revendiqué, une réputation de fou furieux.

Louis-Ferdinand Céline : Son antisémitisme pamphlétaire, très présent dans Bagatelles pour un Massacre et L'Ecole des Cadavres, et sa proximité avec Vichy, valurent à Céline l'exil (relaté dans son ultime trilogie) et l'indignité nationale. Son discours haineux tranche alors avec le pacifisme, l'anticolonialisme et la dénonciation de l'exploitation industrielle (sujet sur lequel il se contredit beaucoup) à l'œuvre dans Voyage au bout de la Nuit. Et constitue une tache indélébile dans la vie et l'œuvre d'un écrivain réhabilité pour son talent littéraire mais jamais absout.

Vu d'ailleurs (un écrivain étranger traverse l'œuvre d'un auteur français du patrimoine) : Louis Ferdinand Céline par Will Self. Le vendredi 29 mai aux Subsistances.

Egalement, dans le cadre des Assises du Roman : Antonin Artaud par Rick Moody. Mardi 26 mai aux Subsistances. Emile Zola par Colum McCann. Mercredi 27 mai aux Subsistances.

Notre dossier spécial sur les Assises Internationales du Roman en cliquant ici lien

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