Pascal Le Merrer, fondateur et organisateur des Journées de l'économie, est l'invité de 6 minutes chrono / Lyon Capitale.
C'est du jamais vu : Lyon accueille trois prix Nobel d'économie.
Jean Tirole (lauréat 2014), Esther Duflo (2019) et Philippe Aghion (2025) sont les invités des Journées de l'économie (Jeco) qui se tiennent à Lyon les 4, 5 et 6 novembre.
Cet évènement, qui réunit économistes, (quelques chefs d’entreprise, c'est la où les Jeco pèchent un peu), des experts de l’administration, des journalistes, des acteurs sociaux et des responsables politiques, rassemble chaque année plus de 40 000 participants, 65 conférences et plus de 250 intervenants.
L'idée : proposer aux citoyens de tous horizons des clés pour mieux comprendre le monde qui les entoure, en échangeant sur une grande diversité de sujets d’actualité abordés avec un éclairage économique.
Vieux démons et nouveaux mondes
Le thème de cette 18e édition : Vieux démons et nouveaux mondes. De nouveaux mondes émergent, avec l’irruption de l’intelligence artificielle, l’accélération de la crise environnementale, un débat public dominé par les réseaux sociaux et une transition démographique qui transforme nos sociétés. Dans le même temps, de vieux démons resurgissent : la montée des tensions géopolitiques avec des empires avides de conquêtes, la progression des mouvements populistes qui fracturent les démocraties, et une Europe en quête de repères.
"Nous avons une chance incroyable : l’économie française a une réputation mondiale, explique Pascal Le Merrer, fondateur et organisateur des Journées de l'économie. On s’arrache les économistes français, car leurs analyses sont au front de la connaissance, au plus haut niveau. Ils ont un engagement intellectuel qui leur permet de mesurer l’impact réel des politiques économiques les plus efficaces. Prenez Esther Duflo : si vous lui demandez où investir un euro dans les pays en développement — vaccins pour éviter les maladies, ou enseignants pour les écoles — elle sait répondre. C’est pareil pour Philippe Aghion sur l’innovation, ou Jean Tirole sur la concurrence et la place respective des acteurs publics et privés. Il existe des réponses sur tous ces sujets. Nous allons enchaîner les interventions. Nous commencerons par l’Europe et nous terminerons par l’Europe. Sur de nombreux enjeux actuels, au lieu de regarder du côté de l’Assemblée nationale, il faudrait commencer par regarder à l’échelle européenne, notamment pour savoir si nous serons capables d’avoir une vraie politique d’innovation. Nous dépendons de plus en plus de la Chine et des États-Unis."
"Les Européens financent les Américains qui rachètent les entreprises en Europe."
Avec , en toile de fond, la dette française qui finance principalement le système social, et non l’investissement d’avenir (et des députés qui tentent de voter un budget, l'oeil plus ou moins rivé sur cette dette. Avec, cerise sur le gâteau, l'envoie "de plus de 300 milliards d’euros aux États-Unis chaque année" explique Pascal Le Merrer. "Les fonds américains se servent de cette épargne pour racheter les belles entreprises françaises en pleine croissance. Les Européens financent les Américains qui rachètent les entreprises en Europe."
Les 3 Nobel d'économie
Jean Tirole membre de l’Institut. Premier récipiendaire du prix Yrjö Jahnsson (1993) et du BBVA Frontiers of Knowledge Award (2008), il reçut la médaille d’or du CNRS en 2007 et, en solo, le Prix Nobel d’économie en 2014. Jean Tirole travaille actuellement sur les liens entre comportements et cohésion sociale, l’identité, les organisations, et l’économie digitale.
Esther Duflo est Professeur (chair Abdul Latif Jameel pour le le développement et la lutte contre la pauvreté) au département d'économie du Massachusetts Institute of Technology (MIT) et Chaire, Pauvreté et politiques publiques au Collège de France. Elle est également co-fondatrice et co-directrice de J-PAL, laboratoire d'action contre la pauvreté. Dans ses recherches, elle cherche à comprendre la vie économique des pauvres, dans le but d'aider à concevoir et évaluer les politiques et programmes sociaux. Elle a travaillé sur la santé, l'éducation, l'inclusion financière, l'environnement et la gouvernance.
Philippe Aghion est professeur au Collège de France, à l'INSEAD, et à la London School of Economics et membre de l'Econometric Society et de l'American Academy of Arts and Sciences. Ses recherches portent sur l'économie de la croissance. Avec Peter Howitt, il a été le pionnier du paradigme de la croissance schumpétérienne qui a ensuite été utilisé pour analyser la conception des politiques de croissance et le rôle de l'État dans le processus de croissance. Une grande partie de ce travail est résumée dans leur livre Endogen Growth Theory (MIT Press, 1998) et The Economics of Growth (MIT Press, 2009), dans son livre avec Rachel Griffith sur la concurrence et la croissance (MIT Press, 2006), et dans son enquête « What Do We Learn from Schumpeterian Growth Theory » (conjointe avec U. Akcigit et P. Howitt).
La retranscription intégrale de l'entretien avec Pascal Le Merrer
Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouveau rendez-vous de 6 minutes chrono. Nous accueillons aujourd’hui Pascal Le Merrer, fondateur et organisateur des Journées de l’économie depuis 2008. Bonjour, merci d’être venu sur ce plateau.
En France, on n’a jamais parlé autant d’économie qu’aujourd’hui : pouvoir d’achat, inflation, logement, emploi, tout ramène à la question du portefeuille, avec en toile de fond ce budget en cours de vote à l’Assemblée nationale, devenu symbole et baromètre. C’est vrai, j’ai interrogé Antonin Bergeaud, prix du Jeune économiste de France dans Lyon Capitale, et il disait que nous n’étions pas au pied du mur, mais dans le mur. Il expliquait que l’un des problèmes de la France est que nous finançons la dette au lieu de financer l’investissement et l’innovation. Cela fait des années qu’on le répète.
Oui. Et en plus, 50 % de la dette est détenue par des non-résidents. Ils ont un pouvoir à partir du moment où ils achètent ou vendent de la dette. Mais au-delà de ça, il y a un faux débat sur le fait que nous serions dans une situation proche de la faillite. À court terme, on maîtrise la situation, et je pense que ce débat anxiogène pour les ménages est anormal, parce que chacun se demande comment va évoluer son pouvoir d’achat. Ce qui affecte le plus le pouvoir d’achat, c’est la difficulté à faire augmenter les revenus. Pour augmenter les revenus, il faut des gains de productivité, de la croissance économique. Il faut que les entreprises aillent bien, et que les relations sociales soient suffisamment constructives pour avoir des politiques salariales qui permettent d’augmenter les salaires. Ce n’est pas en gérant simplement la dette que l’on s’en sortira.
Vous me disiez avant l’émission, au sujet du fait que la France finance la dette au lieu d’investir, que les épargnants français envoient leur argent dans les fonds de pension américains.
Nous sommes une région, ou une Europe, d’épargnants. Nous envoyons plus de 300 milliards d’euros aux États-Unis chaque année. Les fonds américains se servent de cette épargne pour racheter les belles entreprises françaises en pleine croissance. Les Européens financent les Américains qui rachètent les entreprises en Europe.
Quand on entend cela, on se dit que l’on marche sur la tête. La thématique des Journées de l’économie 2025 est “Vieux démons et nouveau monde”. Cette année, trois prix Nobel d’économie seront présents : Jean Tirole, Esther Duflo et Philippe Aghion. Comment, autour de cette thématique, vont-ils articuler leurs approches sur des sujets différents comme les inégalités, la régulation ou la dynamique de croissance ?
D’abord, nous avons une chance incroyable : l’économie française a une réputation mondiale. On s’arrache les économistes français, car leurs analyses sont au front de la connaissance, au plus haut niveau. Ils ont un engagement intellectuel qui leur permet de mesurer l’impact réel des politiques économiques les plus efficaces. Prenez Esther Duflo : si vous lui demandez où investir un euro dans les pays en développement — vaccins pour éviter les maladies, ou enseignants pour les écoles — elle sait répondre. C’est pareil pour Philippe Aghion sur l’innovation, ou Jean Tirole sur la concurrence et la place respective des acteurs publics et privés. Il existe des réponses sur tous ces sujets.
Nous allons enchaîner les interventions. Nous commencerons par l’Europe et nous terminerons par l’Europe. Sur de nombreux enjeux actuels, au lieu de regarder du côté de l’Assemblée nationale, il faudrait commencer par regarder à l’échelle européenne, notamment pour savoir si nous serons capables d’avoir une vraie politique d’innovation. Nous dépendons de plus en plus de la Chine et des États-Unis.
On a l’impression qu’il y a la Chine, les États-Unis, puis l’Europe, et que nous ne comptons pas.
Nous prenons des risques énormes. Nous devrions être plus inquiets de la dégradation géopolitique qui nous amène à dépendre de technologies américaines. Si l’on regarde Starlink, le système utilisé pour protéger les Ukrainiens, ce n’est pas l’Europe qui est capable de le mettre en place. Il faut absolument une politique européenne plus cohérente et plus active. C’est vrai pour la géopolitique, pour l’innovation et pour l’environnement. Les crises environnementales sont constatées par tous, mais nous n’avons pas de stratégie suffisamment cohérente. Là encore, la solution est à l’échelle européenne.
L’enjeu environnemental, est-ce une question européenne ou mondiale ?
L’enjeu environnemental est mondial, mais nous ne pouvons agir qu’à l’échelle européenne, et ce serait déjà très efficace. Si l’on regarde les stratégies d’innovation, prenons l’exemple de l’agriculture : l'OCDE vient de publier un rapport montrant qu’il existe une tendance à créer des financements publics pour favoriser l’innovation. L’agriculture sera confrontée à des sécheresses plus importantes, et à des risques de pandémie liés aux interactions entre monde animal et humain. Il faut être en avance et innover pour que nos économies permettent aux gens de se retrouver et d’améliorer leur bien-être.
C’est l’un des nombreux sujets abordés lors des Journées de l’économie. Allez-y, c’est accessible au grand public et passionnant. Quand trois prix Nobel d’économie sont à Lyon, c’est fabuleux. Merci Pascal Lemaire d’être venu présenter ces Journées de l’économie. Pour plus d’informations, www.lyoncapitale.fr. À très bientôt.
Merci beaucoup. Au revoir.
Au revoir.
